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Ayla, bougea. D’abord imperceptible, une phalange commença sa danse de tremblement, puis, les vibrations se propagèrent aux autres et gagnèrent la main. Son poing se desserra, ses doigts s’étirèrent vers le haut à la recherche de la surface de cet océan sombre dans lequel elle se débattait. Elle nageait. Enfin. Cetus avait relâché son emprise, les berges du réveil allaient chasser ce cauchemar et le reléguer au fond des abysses. Tom serait là, elle s’accrocherait à son bras, prendrait appui contre son épaule, lui, purgerait ce flot acide qui coulait encore dans ses veines. Son sauveur, son Persée.

Ses yeux s’ouvrirent sur un regard de brouillard. Du blanc l’accueillit, était-ce une traînée de nuages ? Impossible à dire, tant son environnement s’imprégnait de flou. Elle perçut un bruit lointain semblable aux cornes de brumes d’un bateau, et pensa qu’elle était allongée sur le sable d’une plage. D’ailleurs, sa peau ressentait la fraîcheur de l’air du large, et un goût salé parcourait ses lèvres. Plus de doute, la liberté l’appelait, elle afficha un sourire fatigué.

Ayla voulut tourner la tête, mais une vague de supplice maltraita son cerveau. Une lame envoya bouler son esprit, le passa au shaker du rouleau, puis l’écrasa contre les digues de sa boite crânienne. La douleur électrisa ses pensées, elle renonça et attendit la placidité du ressac. Le calme revenu, elle voulut s’asseoir, mais son corps chiffonné se rappela du voyage dans le coffre d’une bagnole. Ses bras, ses jambes, n’étaient que souffrance. Elle insista, mais le sang afflua à ses tempes, l’étourdissant un instant. Le malaise passé, elle comprit que ses sensations la trompaient depuis le début.

En guise de nuages, le plafond se composait de plâtre, le bruit se transforma en barouf de machines de chantier, le sable en un vieux matelas. Quatre murs l’entouraient, une fenêtre haute dispensait un peu d’air frais chargé de poussière. Aucun meuble. Sur sa gauche, une porte. Malgré les douleurs, elle se leva avec la conviction de manœuvrer la poignée, mais dut se résigner devant la résistance du loquet. Sous la fenêtre elle cria, quelqu’un l’entendrait, un passant, un ouvrier, n’importe qui. Mais seul le vacarme des marteaux-piqueurs lui répondit. Elle s’adossa contre un mur et se laissa glisser. Assise, elle serra ses genoux contre sa poitrine et prit sa tête entre ses mains. Ses pensées fusèrent vers Tom, les questions le concernant affluèrent. Où était-il ? Les malfrats s’étaient-ils acharnés sur lui ? Était-il encore vivant ou retenu prisonnier ? Du noir embruma ses réflexions. Comment savoir ? Elle l’imagina d’abord étendu au sol, perclus de bleus, l’appelant à l’aide, puis courant à sa recherche, étudiant une solution afin de la retrouver, tout, mais pas séquestré… comme elle. De libre, elle se retrouvait recluse, sans repère, sans savoir ce qu’on lui voulait. Seule.

Seule ? Non ! Jamais elle ne l’avait été. Depuis toute jeune, à chaque coup dur, à chaque désillusion, à chaque étape, à chaque larme, se dressait deux soutiens indéfectibles : les pierres ancestrales de son château et son père. Duntulm savait tout de son existence, absorbait tout de sa vie, et ne lui renvoyait que courage, force et fierté. Alors, elle, la dernière des Conwell, se tiendrait droite, toiserait les éléments et résisterait à l’ennemi. Rien ne l’abattrait. Et s’il ne devait rester qu’un espoir, son père, son roc, l’incarnait. Lui, n’hésiterait pas à venir la chercher, elle en était persuadée.

Ayla se releva. Une pique vrilla son cerveau, elle la brisa. Ses membres lui firent mal, comme ceux des guerriers qui défendaient leur terre.

Tom, dans le silence de son appartement, tapait fébrilement sur le clavier de son ordinateur. Son idée prenait forme et le temps passé à la mettre en œuvre s’avérait plus rapide que ce qu’il avait pensé. Mais une pause s’imposait, son ventre criait famine. Depuis son retour du commissariat, il n’avait rien avalé, trois pas le portèrent devant son garde-manger. Il fit un sort à un paquet de gâteaux secs, puis entreprit de boire un café. Un frisson parcourut sa nuque, il enfila un sweat à l’effigie des Lakers et rabattit la capuche sur sa tête. Son reflet dans un miroir étira ses lèvres, l’accoutrement lui seyait à merveille. De la sorte, il ressemblait à un hacker, le rôle parfait.

En trois heures, il avait griffonné, sur un cahier, le canevas de son software, seuls quelques détails manquaient. Nul doute qu’il les réglerait, son travail sur les scénarios et les personnages des jeux vidéos à sa charge, s’effectuait de manière similaire. D’abord les grandes lignes, venait ensuite l’inventaire des possibles ou non, les décisions, puis la phase de codage. Le côté rébarbatif selon lui, mais dans lequel il excellait.

Son patron ne s’y était pas trompé en l’engageant, le petit gars de Fresno maîtrisait à merveille son sujet. 3D Art & School n’avait pas tari d’éloge sur son élève, et lui, n’avait pas hésité à ériger un pont d’or afin de l’embaucher. Maison sur la plage à Oxnard dans la banlieue de Los Angeles, gros SUV, gros salaire. Tout ce dont pouvait rêver un gosse issu de la campagne. Et il le lui retournait, tant le foisonnement des scènes qu’il concevait, rendaient jaloux le plus chevronné des programmateurs. En particulier son job sur un jeu situant son action à Bordeaux. Tom, envoyé dans la capitale aquitaine pour six mois afin d’en restituer au mieux l’architecture, n’avait pas lésiné sur les détails, à lui seul, il avait abattu le travail de trois personnes. Cependant, un hic était survenu, Clynac, était tombé amoureux de la ville et n’était jamais rentré. Qu’à cela ne tienne, son patron lui avait déniché un appart, « quand on apprécie ses employés, on ne compte pas » avait-il dit.

Puis, un jour de septembre de l’année dernière, une fille était venue occuper le logement voisin du sien. Blonde comme les champs de blé de son enfance, les yeux d’un bleu incroyable, mince, Tom n’avait pas mis une seconde à tomber sous le charme. Il se surprenait à la mater par la fenêtre tous les matins, il espérait qu’elle agissait de même lorsqu’il partait courir. Un soir, alors qu’il descendait ses poubelles, elle avait pouffé devant sa dégaine, c’est en catastrophe qu’il était remonté et s’était enfermé afin de crever de honte. La suite, faite de petits mots, avait été un délice. Et s’il gardait un arrière-goût mitigé de leur première rencontre, à l’évocation du souvenir, tous deux explosaient maintenant de rire.

Encore quelques lignes et il pourrait tester son petit logiciel. Il regarda l’heure en bas de son écran puis calcula que le père de Ayla devait survoler les côtes françaises. Lui et l’autre gars qu’il avait entendu dans la bagnole, arriveraient sans tarder, il se devait d’être prêt.

Une demi-heure plus tard, il expédia un mail sur son portable, et l’ouvrit. Puis, il déposa son téléphone dans le tiroir d’un placard de sa chambre. De retour à son bureau, il lança son programme. Une carte de Bordeaux s’afficha à l’écran, il zooma sur le centre-ville. Une tête d’épingle rouge clignotait au 7 de la rue Pedroni. Le test, concluant, il envoya un courriel à l’adresse de Ayla, puis, pour la première fois de la journée, il sourit. Il savait sa copine réfractaire aux mots de passe pour accéder à sa messagerie, lorsqu’il la sermonnait, elle rétorquait qu’elle n’avait rien à cacher. Pour une fois, lui qui barricadait le moindre dossier par peur d’intrusion, la félicita de ce manque de protection. Nul doute que ceux qui avaient volé son ordinateur, ouvriraient le message. Comment résister, pour des voleurs, au logo de la Française des Jeux vous invitant à venir retirer votre gain de plusieurs milliers d’euros ?

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