16.1

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Nora, n’avait pas traîné sur la route entre Clashnessie et Inverness. Collines, lochs, prairies, avaient défilé sans qu’elle y prête attention, interrompant pour deux heures l’affolement qui l’avait saisi en partant de chez Kyle. Concentré, son esprit avait fait abstraction de l’évènement irréel en l’écrasant sous sa semelle de plomb. Mais, dès le pied posé sur le tarmac du Dalcross airport de Inverness, la panique l’avait saisi de nouveau, distillant dans ses veines une émotion qu’elle avait assimilée à de la peur. C’était à la course qu’elle avait rejoint l’escalier d’accès à la cabine de l’avion, espérant semer ce qu’elle ne s’expliquait pas.

Cependant, assise sur le moelleux d’un fauteuil, le sentiment était revenu à la charge et ne l’avait pas quitté. Prostrée sur son siège, elle avait ignoré le champagne et les petits fours. Le vin servirait à abreuver les pilotes, les mignardises à les nourrir. Seuls ses ongles avaient trouvé grâce à ses dents, certains en avaient perdu leur vernis rouge. Elle les avait rongés. Le voyage avait été un calvaire, son cerveau se perdant dans un méandre de questions. D’où était venu ce vent, aussi soudain que brutal ? Portes, fenêtres, tout avait claqué sans justification. Le souffle, puissant, ne s’était produit qu’à l’intérieur, l’obligeant à se retenir aux murs. Et ce bruit. Cette stridence qui avait percé ses tympans. Jamais elle n’avait entendu pareil son. Quel phénomène avait pu le produire ? À sa connaissance, aucun. Cela l’avait angoissée. À ses appréhensions, s’était ajouté le froid sur son poignet et la teinte qui en avait suivi. Elle avait retroussé la manche de son sweat afin de regarder la peau blanche de son avant-bras et, si aucune trace n’était visible, le bleu de ses veines lui avait paru anormal. Deux mots était alors sorti de sa bouche : malade et folle.

Assise face à elle, Evra ne l’avait pas quitté des yeux. L’effroi qu’elle avait lu sur le visage de l’usurpatrice l’avait intriguée puis amusée. Son sourire s’était alors transformé en rire, projetant contre la carlingue des vibrations qu’elle seule avait captées.

Un SUV avec chauffeur attendait Nora, à la sortie de l’aéroport. Elle s’y engouffra sans un mot ni un regard au type qui tenait la portière. Elle chut sur la banquette. Nuque calée contre l’appui-tête, elle ferma les yeux. Le chauffeur lui demanda de boucler sa ceinture, l’esprit déjà ailleurs, elle ne l’entendit pas. Le gars pensa que la rouquine dormait, dommage, un peu de conversation ne lui aurait pas déplu. Pourtant, si les paupières de Nora étaient closes, le mouvement de ses doigts, trahit l’effervescence qui régnait sous son crane.

La mission ! Ne penser qu’à son objectif, rien d’autre, et tout mettre en œuvre pour l’atteindre. Son boss avait été clair. La fille de Fearghas savait où étaient les documents et détenait la clé de son retour sous les tropiques. Un instant son imagination l’enveloppa de chaleur, de mojitos et de grains de sables, elle se fit violence afin de revenir à la réalité. Qui allait-elle trouver face à elle ? Le portrait craché de son père, aussi têtu et revêche ? Oui, à n’en pas douter, les chiens ne font pas des chats. Mais Kyle avait fini par céder, personne ne lui résistait. Ayla parlerait, et si la gamine usait de son temps, Nora emploierait la force. N’avait-elle pas carte blanche ? Personne ne trouverait à redire si elle s’emportait, personne ne serait en mesure de l’arrêter… Elle ouvrit les yeux. Si, quelqu’un pouvait l’en empêcher. James ! Lui seul en était capable. D’une manière ou d’une autre, il savait pour l’enlèvement de la fille, et il serait là, à Bordeaux. Maudit Ventrouillard.

Sa première rencontre avec Buclock remontait à 2017, trois ans après la scission entre ses patrons. Fraîchement embauché, le commandant enquêtait sur un cold case du côté de Leeds, et tout pensait à croire qu’il piétinait. Elle l’avait suivi deux jours durant. James passait son temps entre le domicile de la victime, le commissariat, le Marriot Hôtel et sa table réputée. L’homme avait des goûts de luxe et le salaire qui allait avec, avait-elle pensé.

La victime, un gars de la haute embringué dans une sale affaire, avait fini dans l’Aire, le crane fracassé et avec un lest de béton aux pieds. Un assassinat banal dans le milieu, un pourri de moins. La police n’avait pas poussé les investigations, manque de temps, de moyen, d’envie. Jusqu’à trois ans plus tard et la nomination d’un commissaire aux méthodes appropriées afin de lutter contre la recrudescence de la criminalité. Leeds était pourtant réputée comme une ville calme, mais servait de plateforme idéale du fait de sa position centrale au Royaume-Uni. Le commissaire avait entrepris un grand nettoyage, et cela commençait par la résolution de certaines vieilles affaires. Le noyé volontaire en était une. Cependant, le manque d’enquêteurs l’avait contraint à faire appel à une agence gouvernementale et, trois semaines plus tard, James avait débarqué.

Nora, avait déjà remplie sa part du contrat en récupérant l’arme du crime, une statuette. Le fils du trépassé, un jeune homme de vingt ans, l’avait caché dans un coffre et s’en servait pour faire chanter l’assassin. Elle l’avait plié à son bon vouloir en une après-midi, le lendemain, elle savait tout de sa vie. Sa mission accomplie, elle aurait pu disparaître, mais elle avait pris un malin plaisir à regarder s’enliser celui qui l’avait remplacée. Grossière erreur. Au soir du troisième jour, alors qu’elle rentrait à son hôtel, elle avait compris que James la baladait. Sa chambre avait été retournée, la statuette n’était plus dans son emballage. À sa place un mot : « Désolé, ma chère, aujourd’hui c’est moi qui emporte le morceau. En espérant ne pas avoir bafoué votre estime personnelle. Votre dévoué, James Buclock. »

D’autres escarmouches avaient eues lieu, les deux se partageaient les réussites, difficile de gagner à tous les coups. Ce job apportait son lot de désillusions, les absorber rendait plus fort, pourtant, leur dernière joute avait laissé un goût âpre. Hors de question que cela se reproduise.

Nora se redressa.

– Pouvez-vous accélérer la cadence ? Je suis attendue en urgence, grogna-t-elle au chauffeur.

– Madame, la rocade est chargée ! Je ne peux pas aller plus vite.

– Débrouillez-vous ! Je ne serais pas une ingrate.

À ces mots, le chauffeur enquilla une rampe de sortie sans se soucier des klaxons qui s’égosillaient dans son sillage. Les pneus crissèrent, la pastille rouge du feu de signalisation fut avalée. D’un coup d’accélérateur, il bifurqua sur le Cours de la Libération. Tout à sa conduite, il ne remarqua pas le sourire narquois de Nora.

Qu’espérait-il ? Ce gars n’aurait rien, ni l’ombre d’un regard, ni doigts qui se frôlent. Peut-être un billet. Tous les hommes tenaient dans le creux de sa main, son pouvoir de séduction n’avait pas faibli. Cette pensée la rassura. Le succès l’attendait au bout de cette ultime mission, quoi d’autre ?

Dix minutes plus tard, le SUV franchit le pont du Guit jouxtant la gare Saint-Jean, puis fila Rue des Gamins. Le quartier, en rénovation, s’affranchissait des codes Bordelais, en proposant des structures sans âmes élevées à coup de toupies de béton. Bâtir haut et vite, l’expansion galopante de la population l’exigeait, quitte à construire moche. Nora fit la grimace en découvrant les travaux. Où était l’image des prospectus vantant la beauté de la ville ? Oubliée, ensevelie sous la pub, prise au piège de la communication. Comme partout ailleurs. Désormais, les devantures ne parvenaient plus à cacher les lubies d’architectes en manque d’inspiration, la conformité gagnait. Regrettable.

La bagnole stoppa au pied d’un édifice en finition, le chauffeur se retourna.

– On m’a dit de vous déposer ici. On a cinq minutes d’avance, on pourrait…

La gifle coupa la parole au pilote, il en resta pour ses frais et regarda Nora sortir du véhicule. Elle claqua la portière sur un juron incompréhensible, puis s’en voulut d’avoir frappé ce type. Tout compte fait, ses doigts avaient plus que frôlé sa peau.

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