25.2

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– Je vous sens morose cet après-midi, commença le Suisse.

– Ce n’est rien, des broutilles. Où en étions-nous ?

Clavius posa un pichet de citronnade et un d’eau. Meyer se servit un verre, but d’une traite.

– Si vous le permettez, je voudrais que l’on revienne sur les faits passés en 1996 à Édimbourg. Vous avez été évasif la semaine dernière concernant un fait assez tragique, et hier au soir en mettant au propre mes notes, j’ai buté sur cette partie noire. Vous savez comment je procède, je n’aime pas laisser de zones d’ombres dans mon esprit, cela me perturbe.

– Je comprends que vous vouliez respecter la chronologie, mais 1996 est une année particulière. Je ne voudrais pas que son ressenti influe sur les évènements à venir, ni sla perception que vous avez de moi. Même si j’imagine, qu’après ce que je vous ai déjà raconté, cette impression n’est pas reluisante. Nous y reviendrons plus tard, lorsque je serais revenu d’Angleterre.

Carlington avait raison, l’image qu’il véhiculait ne plaidait pas en sa faveur. Avant d’entreprendre le voyage jusqu’à Grand Cayman, Meyer s’était renseigné. Il n’acceptait pas les nouveaux jobs sans savoir où il mettait les pieds. Le titre de Lord ne seyait plus à Carlington depuis longtemps, dès le début de sa carrière politique au vu des antécédents. Mais celui qu’on surnommait l’Emperor avaient les dents longues et des amitiés solides. Il s’était forgé une réputation d’inflexible, ses interventions à la chambre haute du parlement étaient attendues autant que redoutées. Pourtant, ses pairs n’avaient pas hésité à le renvoyer à ses bas-fonds de Birmingham, faute de preuves, les suspicions l’entourant avaient suffi. Ce milieu se satisfait souvent de crapules, mais lui avait dépassé les limites. Son dédain, pour ne pas dire son dégoût, de la gent féminine, assorti à des présumées frasques, avaient provoqué son déclin. Sa chute avait fait grand bruit, il avait préféré battre en retraite, ici, sur une île où il pouvait se cacher. Tout cela aurait dû rebuter Meyer, au contraire. Plus les gens sont sales, plus ils ont besoin de laver leur linge en essayant de se dédouaner aux yeux du monde. Souvent ils embellissaient leur version, ou mentaient. L’Emperor dérogeait à cette règle. Il avait été clair dès leur première conversation téléphonique, rien se serait laissé sur le bord de la route, ce qui faisait de lui un sujet à part. Il s’était tenu à sa parole, ses débuts à Brum et la force des détails évoqués donnaient froid dans le dos, le Suisse en avait tremblé. Alors, quand il disait qu’il reviendrait plus tard sur l’année 96, Meyer ne pouvait que le croire, et déjà lui tardait le retour de son hôte.

– Comme vous voulez ! Revenons donc à 2003, et à cette visite à Bordeaux.

Meyer but une nouvelle gorgée de citronnade puis enclencha la touche de son enregistreur.

– Comme évoqué précédemment, vous savez que mes avocats s’occupaient à suivre Evra Conwell dans ses déplacements à Bordeaux. Ceux-ci se résumaient à ses trajets jusqu’à l’école de sa fille et à son travail au consulat. Rien de particulier donc, jusqu’à ce qu’elle trouve la preuve dont nous avons parlé hier. J’ai compris alors que je devais intervenir. Ma qualité de Lord me permettait de me déplacer à l’étranger afin de rencontrer diverses personnalités. Sans être un voyage officiel, cela consolidait les relations que nous pouvions avoir de-ci, de-là. Ma fonction servait aussi de couverture. Mon secrétariat a donc organisé un déplacement à Bordeaux, afin que j’y rencontre le maire et des entrepreneurs locaux. En particulier des vignerons qui s’offusquaient des taxes que leur imposait le Royaume-Uni. Vous vous doutez que j’y allais afin de dérober cette preuve, ou tout au moins un de mes assistants. Nous n’avions qu’à nous introduire dans une salle d’archive fermée au public, mais mon titre m’ouvrait toutes les portes. Cependant, nous devions tenir Evra hors de portée. Il était certain qu’elle avait eu vent de ma visite et de mes véritables intentions. Je ne pouvais pas la laisser s’approcher, décision fut donc prise de lui faire peur afin qu’elle garde ses distances. Un de mes bras droit de Birmingham connaissait un homme, qui selon lui, se targuait de n’avoir peur de rien. Un certain Costelli, truand local dont les activités prenaient de l’expansion. Le convaincre d’user de la force sans tuer, ne s’est pas fait facilement, nous avions affaire à un chien fou, j’ai donc envoyé Shelby sur place afin qu’il le rencontre.

Début mars 2003, le 4 exactement, s’est produit l’attaque contre Evra. Les hommes de Costelli ont ouvert le feu après avoir bloqué sa voiture, aucune des balles tirées n’a touché les occupantes. Nous pensions que le message était clair, si tu t’approches, nous t’éliminerons. C’est rassuré que je suis parti le lendemain, puis que j’ai commencé ma visite. Le soir, lors d’un dîner dans un restaurant huppé, j’ai demandé au maire de me laisser compulser les archives de la ville. J’argumentais en disant qu’un de mes confrères écossais m’avait chargé de retrouver la trace d’un aïeul, et que je ne pouvais me défausser, lui devant un service. Bien sûr, il a accepté puis a fait le nécessaire afin que je puisse m’y rendre en début d’après-midi le lendemain. C’est ce que nous avons fait avec un proche collaborateur de Birmingham dont je tairais le nom, après mes rendez-vous de la matinée.

L’archiviste nous a aiguillés dans nos recherches, il nous a indiqué deux livres correspondant aux années demandées, puis s’est effacé discrètement. Nous n’avons pas eu de mal à trouver ce que nous cherchions, ni à découper la page concernée. Personne ne viendrait jamais plus regarder ces ouvrages, j’étais serein, et pouvais rentrer à Londres sans être inquiété. Mais, parce qu’il en faut toujours un, mon retour à l’hôtel a été plus que mouvementé et a provoqué un fait de la plus haute importance. Fait qui trois ans plus tard, a marqué le tournant de ma carrière politique.

Nous étions descendus au Novotel proche de la gare ferroviaire, Shelby, Costelli et d’autres hommes nous y attendaient. Le petit caïd bordelais tenait à me remercier de ma confiance et voulait aussi me proposer quelques deals. Après tout, pourquoi pas, ce voyage se déroulait sous de bon auspices, autant le terminer en concluant une ou deux affaires. Confiant, je n’ai pas fait attention à la personne qui se tenait assise de dos à trois pas de la réception. Elle s’est levée au moment où nous passions, nous avons stoppé. Evra était là, ses yeux d’un bleu incroyable me dévisageaient, je pouvais y lire une haine féroce. Puis, elle a regardé mon collaborateur et l’attaché case qu’il tenait. Elle s’est jetée sur lui. Décontenancé il est tombé sur le dos et a lâché son porte-documents. Après un coup de poing porté au menton, Evra s’en est saisie puis est partie en courant.

– Cette femme ne manque pas de cran !

– Toutes les Conwell sont pourvues d’audace ! Le sang ne ment pas.

Meyer acquiesça d’un mouvement de tête.

– Que c’est-il passé ensuite ?

– J’ai fait avertir Shelby, qui s’est élancé à la poursuite de Evra. Mais elle avait de l’avance et s’est échappée.

– Pouvez-vous me dire ce que contenait la mallette qu’elle vous a dérobée ?

– La page que nous avions découpée aux archives.

– Je comprends ! Cela prouvait le vol que votre collaborateur et vous aviez commis. Regrettable, j’en conviens.

Carlington fit une moue que Meyer releva.

– Votre grimace m’indique que je fais fausse route. Il y avait autre chose dans cet attaché case ?

– Oui ! D’autres documents s’y trouvaient, mais j’ignorais que mon collaborateur se promenait avec. Il me l’a avoué plus tard, dans l’avion du retour. C’est le fait important dont je vous parlais.

– Ceux-là même qui prouvent ce que vous me raconterez plus tard, j’imagine ?

– Vous imaginez bien, Meyer.

– Vous voulez continuer ou préférez-vous que nous arrêtions là pour aujourd’hui ?

– Continuons… Nous n’avons pas traîné pour rentrer à Londres, retrouver Evra était notre priorité principale, même si je savais où elle se cachait. J’ai envoyé Shelby sur Skye avec carte blanche pour retrouver la mallette, dût-il utiliser la violence dont il est capable. Evra était bien à Duntulm, mais jamais elle ne sortait du cottage de son mari. Intervenir lui était impossible, il a attendu le mois de mai pour enfin la suivre jusqu’en haut de l’Écosse.

– Et qu’a-t-il fait ?

– Il l’a abattu d’une balle dans la tête.

Meyer eut un mouvement de recul.

– Comme ça, de sang froid ?

– Shelby ne se pose pas de question, il exécute les ordres que je lui donne, point final. Voyez-vous, je ne supporte pas les gens qui osent se mettre en travers de ma route, quels qu’ils soient.

– … Je vois ! A-t-il récupéré vos fameux documents ?

– Non ! Evra n’a pas parlé.

– Je suis effaré ! Pourquoi tuer cette femme si Shelby ne savait pas où étaient les papiers ?

– La réponse est simple. Un coup de dés. Avec la mort de Evra, les preuves disparaissaient.

– Mais elle aurait pu en parler à son mari, son père… sa fille.

– Oui, mais peu probable. Du moins en ce qui concerne son mari et son père. Vous savez que les Conwell règlent leurs problèmes entre eux. Quant à sa fille, j’ai toujours pensé qu’elle savait.

– Elle n’avait que huit ans à l’époque, la mémoire des enfants peut-être sélective.

– Je suis d’accord. Mais pour moi, inconsciemment, elle sait. Et c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais ordonné sa mort.

– Pour un jour mettre la main sur les documents. Vous êtes redoutable ! Avez-vous fini par les retrouver ?

– Cela ne saurait tarder. Mais nous empiétons sur le présent, revenons à 2003.

– Oui ! Vous avez raison, respectons la chronologie. Que c’est-il passé après l’exécution ?

– Dans les semaines qui ont suivi, je me suis rendu plusieurs fois, de manière anonyme, à Duntulm. J’ai fouillé les ruines du château de fond en comble, mais n’ai jamais rien trouvé. Les documents n’étaient pas là, j’ai fini par abandonner, j’avais d’autres chats à fouetter.

– Des combats à mener sur la scène politique, je suppose.

– Tout à fait. 2003 est l’année des bombardements sur l’Irak, et…

– Excusez-moi de vous interrompre de nouveau, Monsieur Carlington. En avons-nous fini avec Evra Conwell ?

– Oui, je viens de vous le dire !… D’ailleurs je pense que nous en avons terminé pour ce soir, Clavius s’impatiente avec son plateau et mes médicaments.

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