26.2

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Mon travail au ministère me permettait de suivre les agissements de Carlington. Il usait de courbettes afin de consolider ses amitiés et semblait avoir laissé de côté ses velléités envers Duntulm. Son armée d’avocats ne retournait plus importuner ma mère, nous espérions le danger écarté. C’est dans ce temps, que l’on pensait apaisé, qu’est née ma petite Ayla en mars 1995. Sa venue a illuminé notre vie, mais a aussi marqué le début d’une guerre acharnée.

Six mois après sa naissance, une demande de confirmation de titre de propriété a relancé notre méfiance. La démarche s’adressait à la mairie de Portree, au service des enregistrements des propriétés territoriales, et contestait le fait que le château de Duntulm ainsi que les terres, ait été rendu à un soi-disant descendant des Conwell, il y a de ça plusieurs décennies. Aucun document ne prouvait la filiation de cet homme avec le clan, ce qui rendait caduque l’arrangement de l’époque. C’est le maire en personne qui est venu voir ma mère afin de la prévenir que les vautours revenaient à la charge. Cela était impossible, les autorités n’auraient pas rendu Duntulm sans documents officieux, mais les pages du livre contenant les justificatifs avaient été arrachés. Dénués de preuves, nous avons remonté la trace de cet homme jusqu’en 1818, années de son arrivée en Écosse. Il se nommait Donnchadh, ce qui veut dire « guerrier sombre », Donnchadh Conwell. Ma mère aussi était une guerrière, mais ces recherches, cette bataille sans fin l’épuisait. Je le constatais à chaque retour sur Skye, la fatigue se lisait dans l’azur de ses yeux. Papa l’avait observé aussi, mais raisonner une Conwell était impossible. Je pensais arrêter mon travail pour l’aider encore plus, mais elle ne voulait pas que je sacrifie ma vie et mon amour comme elle le faisait, alors nous avons continué à chercher.

Donnchadh vivait dans une demeure proche de Portree, avec sa femme et son fils unique. Ils arrivaient de France, de Bordeaux. Sa fortune, qu’il disait conséquente, était en fait limitée, les droits payés pour la restitution de Duntulm avaient entamé ses réserves. Il avait entrepris la reconstruction du château, pierre après pierre, mais sans y arriver, emporté qu’il fut par la maladie. Sa femme l’a suivi de près, ne restait que son fils. Celui-ci, épousa une femme originaire de Uig, elle donna naissance à une fille au milieu des ruines du château, la première de toutes. Mais, nous ne savions toujours pas si Donnchadh, était un Conwell de sang ou pas.

Début 1996, et malgré la lassitude de ma mère, nous avons décidé de poursuivre nos investigations à Bordeaux. Là-bas, nous trouverions ce que nous cherchions, avec la hantise de rentrer bredouille. Mais, notre décision est montée aux oreilles des avocats de Carlington, ce qui s'est ensuivi démontre la férocité de cet homme.

Ma mère m’avait rejoint à Édimbourg afin de finaliser notre voyage. Nous pensions rester deux semaines en France, le temps que nous estimions nécessaire à nos démarches, j’avais prévu des congés. Le soir avant notre départ, alors que j’allais sortir du travail, elle m’a appelée bureau. Je l’ai sentie affolée, et j’ai eu du mal à comprendre ses paroles. Elle se trouvait sur l’esplanade du château, je lui ai dit de ne pas bouger, et que je la rejoignais aussi vite que possible. Je suis arrivé quinze minutes plus tard, à la nuit tombée. Un attroupement s’était formé contre le parapet, l’agitation était palpable. Je me suis approchée, redoutant le pire. En bas des remparts, des faisceaux de lumières fouillaient les taillis, avant qu’ils ne la trouvent, j’ai su. La police est arrivée, a dispersée la foule. Moi, recroquevillée dans un angle, j’attendais que mes tremblements cessent. La scientifique a relevé des traces de pas sur le muret, les empreintes correspondaient aux chaussures que portait ma mère. Puis, comme la dépouille ne portait aucune marque de coups ni de lutte antérieure au décès, ils en ont déduit qu’elle avait glissé puis était tombée. J’ai trouvé cela inconcevable. Je la savais exténuée, mais pas au point de se suicider. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer toute la nuit à la police, sans certitude que mes propos aient porté.

Au petit matin, en regagnant l’appartement que je louais, j’ai vu une voiture garée devant l’entrée. Deux hommes, le dos en appui contre la carrosserie, fumaient une cigarette. À mon approche, ils se sont engouffrés à l’intérieur puis ont disparu. Tous deux portaient des casquettes et des costumes démodés. J’en ai déduit que Carlington n’était pas étranger à ce que je ne considérais pas comme un accident. Par ce geste, il m’envoyait un message fort : lâche prise ou tu finiras comme ta mère. Mais il oubliait qu’une Conwell ne baisse jamais les bras. Dans l’après-midi, j’effectuais une nouvelle réservation pour aller à Bordeaux la semaine suivante.

Sous le crachin et les larmes, nous avons inhumé Mairead dans le petit cimetière jouxtant les ruines de Duntulm. Seules celles dont l’appartenance au clan est avérée en ont le droit. Je sais que mon corps y repose aussi, mais sans mon esprit, que représente-t-il ?

Kyle voulait m’accompagner en France. Il avait peur pour ma sécurité, mais je lui ai dit que je n’avais pas besoin de garde du corps. Il a insisté, nous nous sommes disputés. J’ai pris la route pour Édimbourg, Ayla est restée avec lui. Je suis arrivée à la nuit. La rue était encombrée, je pensais ne pas pouvoir me garer, lorsque un véhicule est parti. J’ai inséré mon auto dans la place disponible, moteur coupé, un homme a ouvert ma portière puis m’a tiré à l’extérieur. Je n’ai pas eu le temps de crier, un coup sur l’arrière du crâne m’en a empêché. Je me suis réveillée assise sur une chaise, un roulement de tambour maltraitait mon cerveau. Mes mains n’étaient pas attachées, je me suis massé la nuque. Après quelques secondes, mes yeux ont fait le net. Au plafond, un lustre diffusait une lumière vive que quatre murs blancs renvoyaient, une plaque de bois obturait la fenêtre. À part la chaise et moi, la pièce était vide. La porte, lourde, étouffait le son des coups que je donnais, je collais mon oreille contre. Aucun bruit ne me parvenait de l’extérieur, j’en ai déduit que mes cris resteraient inaudibles de dehors. Prisonnière, voilà ce que j’étais. Mon avion décollait le lendemain, je ne pouvais le prendre. La porte s’est ouverte deux jours plus tard. J’ai suivi un couloir, descendu un escalier puis me suis retrouvée dehors. Ma voiture était stationnée de l’autre côté de la rue avec les clés sur le contact. Je suis rentrée à mon appartement, dans mon sillage, une berline sombre. À son bord, deux gardes chiourmes. Pour sa sécurité, je n’ai rien dit à Kyle. Il aurait déboulé, se serait fait tuer.

Sous la douche, j’ai pensé qu’avec maman, nous avions vu juste, les réponses à nos questions se trouvaient à Bordeaux. En m’enfermant, Carlington m’avait empêchée de m’y rendre. Sans justificatifs sur la filiation de Donnchadh, il pouvait contester la succession, et prétendre, à coup d’influence et d’argent, aux ruines de Duntulm. Mais il oubliait une chose, ma ténacité. Si, à cause de la surveillance dont je faisais l’objet, je ne pouvais me déplacer à Bordeaux, il était une mesure sur laquelle il ne pouvait intervenir. Je savais que cela prendrait du temps afin de l’obtenir, à moi d’user de tout les recours afin allonger les démarches sur la succession. Ma mutation au consulat de Bordeaux, s’effectua cinq ans plus tard.

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