Chapitre 1 Arrivée à Londres

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C'était la première fois que je prenais l'avion. L'embarquement fut plus rapide que je ne l'imaginais, combien de fois à la télévision j'avais pu entendre à quel point l'attente à l'aéroport pouvait s'éterniser. Le vol Rio-Londres fut rapide et sans imprévu. J'eus même la possibilité de m'installer côté hublot. Je n'avais pas emmené grand-chose dans ma valise, qui n'était d'ailleurs pas très massive. Je ne possédais presque rien pour être honnête. Ma famille n'avait jamais été très fortunée. Bien que mes grands-parents et arrières grands-parents s'en sortissent relativement bien.

C'était avant que leurs économies et leur travail ne soit entravés par les grosses industries qui s'abreuvaient goulûment de tout le territoire. United Milk Company, coupeurs de têtes, étrangleurs d'enfants, exploiteurs d'une main d'œuvre désarmée face à ces géants. Si les habitants et salariés n'ont pas tenté de manifester ne serait-ce que pour les conditions de travail particulièrement difficiles ? Bien sûr que si, mais la répression fut sanglante et sans appel. Les cadavres jonchèrent les rues et l'on pointait du doigt une menace terroriste ou autre fantaisie qui légitimait leur riposte meurtrière. Mes parents y avaient laissé la vie. A l'époque je n'avais que sept ans, mais je me souviens de chaque détail de cette journée comme si c'était hier. Ce jour où l'on m'apprit la nouvelle, même si, avant que l'on vienne me voir, j'avais déjà compris.

Une amie de mes parents résidait non loin de chez nous et m'accueillit chez elle. Elena, c'est elle qui m'éleva durant toutes ces années. Grande, mince toujours vêtue de tenues beiges ou grisâtres. Ses longs cheveux noirs raides comme des pâtes crues encadraient son visage anguleux. Elle faisait d'excellentes soupes, au poireau, à la carotte, bien plus goûteuses que celles de ma mère. Néanmoins, je regrettais les siennes. L'odeur de la cuisine avec les légumes carbonisés à la poêle, la fumée serpentant dans le salon de mon père, les chamailleries de couple quotidiennes qui finissaient en embrassades. Mes yeux s'embuèrent, remémorer ces souvenirs me tiraient à chaque fois des larmes, je n'étais sans doute pas assez forte, depuis le temps j'aurai dû m'être blindée davantage. J'allais bien devoir le faire, partie pour effectuer une année à l'université de Londres il était hors de question que je dévoile ma vie privée à de parfaits inconnus. Je l'avais trop vu et vécu pour le savoir, fournir trop d'informations se retourne contre vous. L'information est aujourd'hui le nouvel or noir.

Quoiqu'il en soit, vous vous demandez sûrement comment une prolo comme moi peut s'offrir le luxe d'étudier à Londres pendant une année entière ? En raison d'exactions commises à l'encontre de mes arrières grands parents, une bourse fut offerte à l'un des descendants de ma famille pour faire un cursus de trois ans à l'université de New York, Philadelphie ou Londres.

Personne d'autre avant moi n'exprima le souhait de partir à l'université à des milliers de kilomètres. Etre loin de sa famille paraissait impensable pour nous. Je n'avais pas prévu d'y aller mais mes parents me firent promettre d'y penser sérieusement. Ils nourrissaient beaucoup d'espoir dans les études supérieures et ce qu'elles pouvaient offrir. Après leur mort, je pris la résolution d'honorer cette promesse et de partir. Mais pour un an. Personnellement je n'avais pas la moindre foi en les possibilités promises par les grandes études. Mais passons, long débat, longues pensées. Mon choix s'était porté sur Londres, car étudier dans une ville américaine en ayant en mémoire les industries qui nous ponctionnaient m'était insupportable. Londres fut un choix par défaut.

A mon arrivée à l'aéroport, je repérais rapidement la personne qui m'attendait. Il était 6h30 un dimanche mi-aout, l'endroit était plutôt désert. L'homme qui tenait la pancarte avec l'inscription Julia Macali patientait stoïquement. Il portait des vêtements affreusement serrés qui devaient lui couper la circulation. Sa chevelure était figée comme pour une publicité dédiée aux gels ultra forts.

– Bonjour, je suis Julia.

– Bonjour Julia, moi c'est Arold. répondit-il cérémonieusement en abaissant la pancarte pour me serrer la main.

– Vous attendez depuis longtemps ?

– Non, pas d'inquiétude. Notre taxi nous attend je vais vous conduire à l'université, le campus avec les chambres se situe sur place.

Le trajet me fit découvrir la ville de Londres, et j'avoue que je ne sentais pas cela très bien. J'apercevais trop de monde, durant tout le trajet le troupeau déambulait dans toutes les directions, les immeubles étaient immenses, le rythme semblait effréné et l'air me parut lourd. Je regrettais déjà les grandes étendues à côté de chez moi, ses chants d'oiseaux, son calme ambiant. Allez, c'est seulement un an. Je comptais suivre les cours avec un minimum de sérieux mais ce n'était pas ma priorité. Je pensais travailler en ville, l'argent récolté me permettrait d'aider Elena et d'autres, amis et voisins. J'avais déjà épluché des annonces sur la toile pour me faire une idée de ce qui recrutait. « Je ne pourrai pas vous accompagner jusqu'à votre logement, » fit Arnold en sortant un plan de sa poche, « j'ai un entretien dans moins d'une heure je dois être en avance ».

Arrivés devant le campus, Arnold me fit un récapitulatif des voies que je devais emprunter. Nous nous saluâmes et je partis, traînant ma valise et le plan à la main suivant les indications griffonnées au feutre rouge qu'il m'avait notées. Je trouvais rapidement le bâtiment dans lequel j'allais dormir et manger durant l'année. De couleur brique, fraîchement rénové, la structure était imposante et criblée de trous qui faisaient office de fenêtres étudiantes.

– Bonjour, je m'appelle Julia Macali, l'on m'a attribué une chambre.

– Un instant je vérifie votre dossier. Avez-vous une carte d'identité ? Dit la réceptionniste.

Je sortis derechef mes papiers d'identité. En une minute montre en main elle me fournit ma clé et une copie du règlement du dortoir. Je la remerciais et m'engageais dans le dédale d'escaliers qui m'attendait. Ma chambre était au deuxième étage. J'installais rapidement mes quelques vêtements, un manteau, un gilet, deux pantalons, quelques hauts d'été et d'hiver, deux paires de chaussures et ma lingerie dans la penderie prévue à cet effet. Je claquais mon pavé d'économie sur le bureau disposé face à la petite fenêtre, seul contact avec l'extérieur. Il était 10h, je ne perdis pas de temps dans mon logement. J'attrapais mon sac, fermais la porte et déverrouilla mon téléphone pour me renseigner sur les enseignes qui se trouvaient non loin de moi.

Je passais l'après-midi à démarcher les restaurants, les cafés, les librairies, les supermarchés. Par chance, beaucoup proposaient des temps partiels pour les étudiants, la plupart me demandèrent de revenir avec un CV et une lettre de motivation. Détail que j'avais oublié. Mais je n'eus pas à m'embarrasser de cette paperasse. En un temps trois mouvements, je décrochais un emploi dans un bar le JollyDrink. Le responsable était aux abois, il cherchait activement un barman, la dernière avait eu un accident la semaine dernière en conduisant ivre et la place était libre. L'échange dura cinq minutes avant qu'il ne déclare « Je te prends à l'essai, ça te va ? ». Il m'expliqua rapidement le fonctionnement de la maison et me donna rendez-vous le soir même à 18h.

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