Nathan attend au fond de la scène, anxieux. Il est dans l’ombre et le galeriste essaye de le rassurer.

NATHAN

Combien est-ce qu’ils sont ?

GALERISTE

Impossible de compter, ça déborde dans toute la rue. En tout cas, je ne peux pas te mentir : beaucoup.

Silence.

NATHAN

Et si je ne sais pas quoi leur dire ? Ils vont me poser des tas de questions non ?

GALERISTE

Oui, très certainement. Mais ce n’est pas parce qu’ils posent des questions qu’ils attendent des réponses. Tu aimes l’art n’est-ce pas ?

NATHAN

Oui.

GALERISTE

Alors tu sauras quoi leur dire, même s’ils ne comprennent pas. Ces personnes-là ne font que ressentir, à toi de faire écho à leur sensation.

NATHAN

Tu parles de l’horreur ?

GALERISTE

Pourquoi est-ce que tu limites ton travail à ça ? L’horreur n’est pas si éloignée du plaisir, tu le sais bien.

NATHAN

Ils vont me détruire, j’en suis sûr.

GALERISTE

Non, bien sûr que non. C’est toi qui vas les construire.

NATHAN

C’est ce qu’on fait avec les meurtriers. On les écartèle sur place publique, on les pend sur les cimaises vides, on les fait griller sur des chaises. Je ne vois pas pourquoi est-ce que ce serait différent.

GALERISTE

Parce que tu as l’art de ton côté.

NATHAN

L’art ne permet pas tout. Ils vont me mitrailler sur le champ.

GALERISTE

Ils vont te vénérer.

NATHAN

Combien de fois a-t-on crucifié ceux qu’on croyait vénérer ?

GALERISTE

Ils ont accouru en masse Nathan. Ils sont là pour toi ! Ils trépignent, ils t’attendent !

NATHAN

C’est de la folie !

GALERISTE

Nous n’avons pas le temps pour ça.

NATHAN

Non, s’il te plait !

GALERISTE

Tant pis !

Le galeriste se présente aux spectateurs, dans la lumière.

NATHAN

Non, reviens !

GALERISTE

Mesdames, messieurs. J’ai l’immense fierté de vous présenter ce soir la nouvelle gloire de l’art ultra actuel, l’esprit qui se cache avec pudeur derrière ces chefs-d’œuvre, l’artiste tout simplement, Nathan Chevreuil !

Le galeriste s’éloigne de la lumière en faisant signe à Nathan d’avancer. Dans un long silence, Nathan s’avance timidement puis passe un moment à scruter, immobile et très nerveux, les réactions du public qui ne réagit pas. Puis, enfin, les spectateurs commencent à applaudir et les applaudissements deviennent une ovation. L’inquiétude de Nathan se transforme en stupéfaction puis finalement, il sourit.

Noir.