Fragments d'automne
1 de Satyre
Qu'elle était belle dans le matin
Qu'elle était belle dans la boue
Qu'elle était belle dans le froid
Qu'elle était belle assise
Qu'elle était belle absente
Qu'elle était belle patiente
Qu'elle était belle dans le rose
Qu'elle était belle dans le bleu
Qu'elle était belle dans le rouge
Qu'elle était belle dans la nuit
Qu'elle était belle sur le chemin
Qu'elle était belle attendante que je l’embrasse
Et bien soit, nous attendrons encore un peu !
1 du Mage
Marin, je te reconnais à tes gros bras, à ton bonnet
Je sais que ce n’est pas le reflet de la mer que l’on voit dans tes yeux
Trop libre pour rester à quai, on t’envoie la maréchaussée
Alors que tu tends la main même aux gueux
Trop brave, ton envergure dépasse de loin tes bras
Peut-être rouge, peut-être noire, qu’importe la couleur de ton aura
Ta voix porte et résonne bien avant la grève
Et tes camarades de pont attendent de ta bouche les brèves
Tu parles du vrai et du tangible, des grandes peines
Tu les connais, tu les racontes autours du feu
Parce que tu fonces dans les creux bleus
Et plus grand tu en ressors, avant qu’ils ne te prennent
2 de Satyre
Ô petite nymphette du Chaos
Aussi loin que portent tes lumières
Je n’en vois que le brasero
Et dans les flots noires trimballant ma galère
Je te cherche comme un phare salvateur
Mais aussi éthérée qu’une fille d’Éole
Quand je me rapproche, souvent par erreur
Je m’écrase sur tes récifs et tu rigoles
Alors, je meurs sur la grève
Regrettant d’avoir cru un rêve
3 de Satyre
Holà toi le farceur, galopin en train de fumer
Toujours le sourire aux lèvres, la malice en tête
Sur ta jaune monture, une nuit je t’ai croisé
“Hé camarade” criais-tu à tue-tête
Tel un brave leprechaun, tu inspires la joie
Et pareil aux satyres, du zbeul cortège tu es le roi
Un jour, je l’espère, ensemble nous danserons
Ivres de joie et d’ambroisie de nos luttes victorieuses
Mais d’ici-là, continu fanfaron !
Peins les murs tant que vit la gibbeuse
1 du Loup des steppes
Peut-on être fatigué de poésie ?
Tout ce blabla obséquieux
Tous ces sentiments vertueux
Avouons-le, c’est vain, la flagornerie
Quelle différence avec la paperasse
Si l’art ne soulève pas les masses ?
N’est-ce pas là branlette et entre-soi ?
Quelques mots dans un carnet, bien gardés
Quand dehors les corps se froissent
La rage, la véhémence, n'y a-t-il pas de la place pour cela ?
De même pour le courage, la clémence et la révolte
Ce que la gangrène ronge ou affame
N’est-ce pas à l’art de le décrire et aux poètes de le guérir ?
Je me retrouve un peu balot, je ne sais pas
Toujours ailleurs, toujours désinvolte
Faudra-t-il faire fi du jeu de rimes
Avant de jouer aux héros que je grime ?
1 de Magus
Ô fracas, ô séismes
Ô forces, ô marées
Nature abhorrée, barbare sauvagerie
Votre temps n’est pas le mien
Tu te coules dans le magma de l’infini
Alors que j’étouffe dans la poussière du rien
Vénérée comme une déesse
Depuis nos ancêtres simiesque
Détestée comme une maîtresse
À genoux nous sommes presque
Mais que le tonnerre des Hommes a grondé !
Certains resteront grands, debouts et droits
Dans les pluies diluviennes et acérées
Nous nous retrouverons dans ce chaos sans loi
Mordus, griffés, blessés, amputés par maintes créatures
Mais notre génie intact
Dans toute sa flamboyante stature
Saura nous guider jusqu’à la fin de notre acte
Parti à la poursuite de cette vision
J’ai croisé le fer et de trop rares compagnons
Parfois dans les temples, parfois dans les hypogées
Par l’esprit et le sabre aiguisé, toujours vers l’apogée !
Guidée par la quête de puissance
J’avance résolu, sans tempérance
2 de Magus
Et quid des mes premiers artefacts, ceux que j’ai toujours portés
Et qui seront toujours à moi ? Je te parle de mes trois armes
De mon coeur, cet inconnu, je crois l’avoir perdu, laminé par mes larmes
Quelle amertume, dès que je crois l’avoir retrouvé, mes peurs le font s’évaporer
Et dans ses vapeurs éthérées, je m’égare, cherchant la vestale désirée
Dans ces abîmes fumeuses grandissent mes haines, mon ire
Car sans lui, je ne suis plus le même monstre, j’empire
Un jour, qui sait, je le retrouverai fumant et calciné
J’irai te récupérer petit coeur !
Tu as à moi, pas à mes peurs !
Je t’en fais la promesse, ici, et sans bassesse
C’est un serment, par mes forces et mes prouesses
Car si meilleur je veux devenir, plus droit, plus brave, plus sage
J’ai besoin de toi pour devenir ce grand présage
De mon esprit, cette vieille forteresse perchée, magnifique mais vide
J’ai bien peur qu’il n’y ai plus que moi en ce lieu
Je me délecte, seul, de ses galeries infinies, toujours avide
Et pourtant, que mes pas résonnent ! je n’entends qu’eux
Au loin, je vois mes ennemis l’éviter
Trop bien défendue, sa réputation la précède
Et ces lâches mercenaires, bien trop mal équipés
Passent leur chemin, l’échine courbée, la face blême
Venez, chiens ! je veux vous voir mourir
Mon esprit brûle de vous voir pourir
Venez vous empaler sur ma haine et mes regrets
Cette place est dédiée à votre destruction
Et de toutes vos armes, vos malédictions
Je me réjouis en voyant les aspects carrés
Ô vieille forteresse, ta ruine sera la mienne
Ô vieille forteresse, ta ruine est la mienne
Changeras-tu ? Toi et tes vides corridors
Me changeras-tu ? Toi et tes bibliothèques remplies d’or
Et à la fin, que restera-t-il de moi ?
La vieille carne, le cuir épais, mon substrat
Je l’avoue, il n’en restera rien
Que l’on me donne aux chiens !
Corps, je t’ai trop longtemps haïs. On m’y a forcé
Sans toi, point de beau, point d’arété
Je ne t’ai que trop laissé pourrir dans les vignes
Je nous dois réparation, j’irai soulever les ruines
Car avant que je ne meure d’avoir trop mal vécu
Je redeviendrai maître en ce lieu perdu
Déjà la symbiose et l’harmonie
Vide et pur, je le sens dans ma chair
Vide et pur, je le sens dans l’air
Enfin je respire, enfin un horizon à ma latomie
1 de Hussard
Ô que d’ennui !
Hier j’étais en campagne, comme au temps d’avant
La fumée, les cris, les charges, tout y était
Ô Chaos adulé, enfin je t’ai retrouvé
Je veux me fondre en toi, me lover en toi
Et dans tes vapeurs me perdre
Rhaaaa ! Tu m’avais manqué vieille canaille !
La guerre, voilà la véritable messe de l’Homme
J’étais dans le saint des saints
J’ai vu des amis unis dans le ciel blanc
D’autres regarder l’ennemi, droits et fiers
Et d’autres encore, croiser le fer
Hier, ha ! hier nous étions vivants
3 de Magus
Pourquoi suis-je toujours à écrire des complaintes ?
Au diable Maldoror et ses chants maudits
Un magus marche seul mais pense avec ses démons
Les miens sont des efrits gentilshommes
Je les nourri d’orgueil et d’esprit
Ils me conseillent quand je me perds dans la nuit
Je les aime, je les déteste
Si bien que je ne sais plus qui tient les chaînes. Peste !
4 de Magus
Noire Bête, oreille, voix et coeur de ma colère
Goudron informe qui cherche à s’embraser
Englober le monde et derrière lui ne laisser
Que la blanche calcification, vaines poussières
Je t’envie, je te veux, tu me possèdes dans ton dédale
Tes caresses m’appellent plus que celles des vestales
Mes mains baignent dans mon propre sang
De ma bouche coule ta poix dense
Je te hurle ivre de haine, je te hurle à plein poumons
Car ce n’est pas de l’air qui anime mon coeur
Ici je peux le dire : Que tout brûle !
Fi de bien, fi de sagesse, fi de politesse
Mon sang bout, mon coeur éclate, mon esprit fond
Et je hurle ma haine à plein poumons
Je t'appelle ! et en fidèle maîtresse, tu viens
Et sans mot, sans puérils jeux, nous nous retrouvons
Je trompe mes belles et fausses vertus avec toi
Parce qu’il n’y a que dans tes bras
Que ma folie résonne pleinement
Nue, pure, noire, lourde, rampante, dévorante
Qu’importe ton nom, qu’importe ta forme, il n’y aura que toi
Fluide, implacable, mienne mais libre
Noire Bête, enlace moi de tes griffes
Déchire ma chair, encore
5 de Magus
Ce pauvre cavalier, plein d’espoirs, d’envies et de regrets
Parcourt le monde, cette lande stérile, comme un enfant
Il rêve trop, il imagine trop. Trêve d’intangible !
L’acier froid, le sang, la sueur, le grimoire rempli
Voilà ce qui existe ! Le reste n’est que frivolité
Rien de ce qu’il souhaite n’a d'intérêt
Tout ce qui est doit pouvoir se toucher, se voir, être saisi
Lui et son cheval, ses sabres : qu’en fait-il ? Rien
Il n’est pas plus que la pièce d’une vieille monnaie
Vide symbole d’une civilisation morte et oubliée
À quoi sers-tu ? à rien. Toute ton existence est un théâtre vain
Tu pries mon Dieu mais tu le bafoues de ta candeur
Pourquoi petit cavalier ? Tu aspires à la liberté mais tu penses trop
Tes chaînes ne sont pas de métal, tes rêves en sont la couleur
Il n’y a que le gris de l’acier, le noir de l’encre
Le rouge du sang et le blanc de la page vierge
Voilà la couleur de l’horizon du réel. Au delà, mystères
Tu rêves trop, tu imagines trop, crève débile !
Ton cadavre aurait mieux fait de rester sur les terrasses de tes défaites
Tu me révulses, faible, puéril, idéaliste
Toi, porteur de tant de lames, tu mourras dans ton sommeil
Tel le jean-foutre que tu as tant détesté !
1ère tentative
Faudra-t-il faire un manifeste du réel ?
Si les idées viennent des livres
Et que ces idées gouvernent ce monde ivre
Alors nous n’aurons pas le choix de notre ritournelle
Pourquoi, ô Chaos, Pourquoi ? Il y a tant à faire
Notre volontée, en mille facette brisée
Notre force, divisée en refrains grégaires
Pourquoi aux mêmes idées, tant de maux
La haine, le beau, la justice, l’ordre
Autant de mots au dessus de nous
la révolte, l’art, le jugement, la coercition
Autant de maux en dessous de nous
Alors, que pouvons nous faire. Penser pour panser ?
Certains diront que nous n’avons pas le temps
D’autres, qu’il n’y a rien à soigner
Les derniers, enfin, se font ouvrir le crâne prestement
La rancoeur ? L’art en coeur ? Les deux certainement
Quid du réel ? Quid de nous ? Quid de la marchandise ?
Qui aspire à une vie de chien comme récompense ?
“Travaille, consomme et ferme ta gueule”, notre devise ?
Sur les frontons ?
Derrière nos fronts !
Voilà, toujours la même question, celle des idées
Est-ce cela le réel ? n’y a t-il rien de plus tangible ?
À la misère des corps, s’ajoute maintenant celle de l’esprit ?
2ème tentative
Ai-je déjà parler de l’ennui ?
Vieille posture que celle-ci
Un mercenaire dans contrat, ruiné
Et moi qui me voyant comme un guerrier
Ai-je une cause, ai-je un but ?
À qui dois-je obéir ?
Je dois me souvenir !
Peste, ça me revient, le fragment brut
L’étude, encore et toujours l’étude
L’accumulation, l’érudition
C’est un peu vain, Non ?
Troublé depuis la mort de mon champion
À qui dois-je obéir ?
Je dois me souvenir !
Il fallait sortir des temples
Il faut encore sortir des temples
Ces reliquaires, ces mouroirs de la pensée
Cachez-nous, incapable de nous faire taire
Pourquoi le savoir ne peut-il plaire ?
Pourquoi le cache-t-on comme un corps pétrifié ?
Il y a tant à faire et je reste là
Il y a tant à faire et je reste las
Ai-je déjà parler de l’ennui ?
Vieille posture que celle-ci
2 de Hussard
Ha misère, j’ai échoué
De mon beau cheval, je suis tombé
Tant pis, je continuerai à pied
Étrange, mon corps n’est pas endolori
Je souffre ailleurs, dans mon esprit
Trêve, j’implore de je ne sais qui la pitié
Tant de batailles, la campagne du château de cartes
Dois-je en vouloir à la douce maladroite
Je ne peux, assurément, pauvre innocente
L’indigne ici, c’est moi
Le jean-foutre ici, c’est moi
Tout s'écroule, sensation génante
N’y aura-t-il que la poix
Pour me tenir compagnie
Noire mélasse qui me fait roi
Ouint, l’honneur se change en infamie
3ème tentative
Les mantras du Chaos. Je les vois, je les sens
En moi, un fléau. Je le vois, je le sens
Mais chez les autres. S’expriment-ils autrement ?
À en croire ma vision ? Certainement !
Je peux explorer mes limbes, mes rêves, mes hypogées
Taraudé par le doute, je m’y enfonce lentement
Mais toi ! Camarade, je te cherche tout comme avant
Car malgré le temps qui passe, je reste seul dans mes pensées
“Où sont les utopistes, où sont les éveillés”
Oui, mille fois oui ! Où êtes-vous ?
Le chemin du coeur calcifié, longue route torturée
Sur laquelle je marche, pensant au “nous”
Un jour peut-être, un soir avec espoir
Nous nous retrouverons, amants d’idéaux
Derrière une barricade, à jeter nos pavés improvisés javelots
Mortifiés par ce trop plein d’avenirs-cauchemars
Voilà les ogres de notre village
Ils ne sont pas bleus, ils sont de la couleur de la fin d’un monde
Où la matière morte et la poix ont envahi nos rivages
Et jusque dans les esprits de nos chères têtes blondes
On se demande s’ils pourront encore consommer
Pendant que nous nous demandons si nous allons encore pouvoir vivre
Alors fi de mensonges, d’oublis volontaires et de prêt-à-porter
Place à la bienveillance, au courage et à l’ire !
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