Chapitre 3 - Partie 1

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Ce fut le froid glacial d’une lame pressée contre la peau fine de sa gorge qui tira Mordàc du sommeil. Le geste était sûr, maîtrisé. Une mise en garde plus qu’une réelle menace.
Lorsqu’il ouvrit les paupières, l’éblouissant Osse l’aveugla. Le temps que ses yeux s’habituent à la lumière crue de l’osseïs naissant, il étendit ses autres sens. L’air chaud était chargé d’une odeur rance, un brin ferreuse. Il plissa le nez lorsque les effluves acides de cataplasmes secs et de transpiration l’assaillirent.
La pièce semblait figée dans l’attente, suspendue au souffle ténu et au cœur calme du corps tenant la lame.

Quand Mordàc cessa de cligner pour chasser les larmes accrochées à ses cils, il croisa un regard des plus surprenants.
L’un des yeux était du bleu profond des infinités des mers du Sud, lorsque l’osseïs darde ses rayons brûlants sur les mystères océaniques. L’autre, d’un mauve intense, était veiné de stries noires qui s’étiraient jusque dans le blanc de l’œil. Chaleur réconfortante d’un côté, abysse sombre de l’autre, un regard composite, empreint d’une méfiance glaciale.

- Qui es-tu ? murmura le miidryl d’une voix rauque.

- Mordàc.

- Qu’es-tu ?

- Il y a plusieurs réponses à cette question… Mais je choisirais celle-ci : je suis paysan et tu es ici dans ma maison.

- Pourquoi ?

- Je t’ai trouvé il y a quelques osseïs de cela, sur le bord de la route. Tu étais inconscient et en bien mauvais état. Je t’ai ramené, soigné et attendu que tu te réveilles. Voilà qui est fait, constata calmement Mordàc.

- Que…

- Tu ne crains rien ici. Personne ne vient jamais. Alors, si tu acceptais de baisser ta lame, je me ferais un plaisir de te sustenter.

- Tu n’as pas peur.

- Si ma vie doit s’achever de ta main, alors c’est qu’il devait en être ainsi. Je ne peux pas lutter contre la volonté des Grands Anciens. En attendant, j’ai faim. Et tu as besoin de reprendre des forces.

Annael inspira profondément.
Les mots de Mordàc transpiraient de vérité, portés par une franche honnêteté. Il livrait une part de réponse, celle qui suffisait à Annael pour le moment. Sa main se resserra un peu sur la garde du poignard, faisant crisser le cuir végétal. Il faisait confiance à son instinct affûté, qui lui soufflait qu’il ne risquait rien. Mais quelque chose tirait au bord de sa pensée. Il n’arrivait pas à rassembler ses idées.
Le monde était enveloppé de brouillard.
Tout son corps brûlait, chaque muscle hurlait au moindre mouvement. Il était désorienté, épuisé, engourdi et hypersensible. Tout l’agressait.
Tout, sauf le vieux mâle en face de lui.

Il recula doucement, avisant la réaction de Mordàc. Celui-ci se leva llourdement, s’épousseta puis désigna une grande bassine d’eau fraîche et la penderie.

- Je t’attends dans la pièce de vie.

Si la toilette, aussi rapide que glaciale, lui avait permis de reprendre pied, le frottement des vêtements en salqûn sur sa peau éveillait une gêne presque douloureuse.
Essayant d'ignorer l'inconfort, il se laissa guider par la délicieuse odeur de légumes mijotés qui le poussa hors de la chambre car, avant que Mordàc n’en parle, il ne s’était pas rendu compte de l’ampleur de sa faim.

La pièce de vie, faite du même bois brut et de pierres massives que le reste de la maison, dégageait une simplicité robuste. L’ensemble, grossier mais solide, avait clairement été façonné à la main.
Annael était surpris et impressionné par l’ampleur du travail manuel réalisé sans le moindre recours à l’aide Hisaïna. Un ouvrage certes un peu grossier, mais qui n’avait rien à envier à celui de leurs bâtisseurs.

La pièce se découpait en plusieurs espaces.
Une petite cuisine fonctionnelle, composée d'une cuisinière à bois, d'un petit plan de travail et d'une grande bassine, occupait le fond. Elle faisait face à une table en bois massif.
De l’autre côté, une officine, à demi cachée derrière un rideau de simples séchées, laissait entrevoir fioles, flacons et albarelles soigneusement alignés sur les étagères.
Non loin d’Annael, un banc recouvert de coussins, seul luxe de la pièce, faisait face à un âtre éteint.
Et, bien sûr, le plus important : deux portes, quatre fenêtres.

Un raclement de gorge le tira de son analyse. Suivant l’ordre muet de Mordàc, il alla prendre place à table, se concentrant sur les gestes assurés de son hôte. Ce fut en tirant sa chaise qu’il mit le doigt sur ce qui le dérangeait.

- Mon âme devrait être dans les Orimiths, murmura-t-il.

- Oui, murmura Mordàc en retour, le faisant tressaillir.

Mordàc détourna le regard et retourna à ses fourneaux, lui laissant un peu d’intimité.
Annael ouvrit la bouche, prêt à forcer Mordàc à répondre à toutes les questions qui bourdonnaient sous son crâne, avant de la refermer brusquement.
Il ne se sentait pas en danger. Mordàc ne trahissait aucun signe de supercherie, et, pour une fois, Annael avait envie de se laisser guider par les Grands Anciens. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas croisé une âme qui ne lui soit pas hostile.
Pour une fois, il n’avait pas envie de creuser, scruter, traquer la faille.
Pour une fois, il voulait être Annael, et non l’Exécuteur.
Il voulait être insouciant. Il voulait agir comme un jeune de quarante-deux Cycles-Lunes. C’était sans doute irréfléchi. Irresponsable. , il sentait que Mordàc était un pair, et il ne doutait pas de sa capacité à user de son pouvoir de commandement si la situation dérapait.

Le temps d’en arriver à cette conclusion, Mordàc avait terminé le repas et déposait une gamelle pleine devant lui.

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