Chapitre 7

9 minutes de lecture

Ashinia trottinait dans les couloirs de la Maison du Darrach aussi vite que ses jambes courtes le lui permettaient.

Comme le coureur avait lourdement insisté sur le caractère urgent de la situation, elle craignait que le Tourmenteur ait encore poussé Eanna dans ses retranchements. Un jour, il la tuerait sans même s’en rendre compte. Il aurait pu lui laisser un peu de tranquillité pourtant avec tous les mâles qui s’entassaient dans l’autre prison après l’attaque contre le Darrach.

Elle accéléra encore un peu l’allure, esquiva trois Feelsians qui flânaient dans leurs robes tressées de branchages et bifurqua dans un couloir de service, plongeant dans l’obscurité des parties de la Maison réservées aux domestiques. Alors qu’elle plissait les yeux en empruntant l’escalier, elle laissa sa main glisser sur le mur froid tandis que l’autre tâtait sa poche à la recherche de son linim. Un juron lui échappa quand elle la trouva vide.

Elle descendit encore deux volées de marches avant d’être légèrement éblouie en débouchant sur une allée baignée de lumière. Deux Protecteurs sursautèrent nerveusement et portèrent la main à leur arme quand elle émergea brusquement devant eux. Elle ralentit le pas et s’inclina brièvement. Depuis l’attaque contre le Darrach, il suffisait d’un rien pour susciter la méfiance. Bien qu’Ashinia soit plutôt connue dans cette partie de la Maison, elle préféra éviter d’attirer l’attention des Protecteurs.

Sans ralentir, elle poussa la porte en bois, agrippa la blouse suspendue dans l’antichambre et la passa sur ses épaules en entrant dans la salle.
Elle s’arrêta net, surprise.
Le Protecteur Larnin la fixait.
Ce n’était pas du tout celui qu’elle attendait.
Il s’inclina légèrement, mais Ashinia ne lui répondit pas, son regard glissant déjà par-dessus son épaule. Sur le lit, une silhouette frêle mais fière. De longues mèches claires emmêlées en torsades étranges et un visage crasseux où brillaient des yeux froids et calculateurs lui firent lâcher un soupir de soulagement. Ce n’était pas Eanna.
Elle se détourna de la femelle, réajusta son masque d’impassibilité et se concentra de nouveau sur Larnin.

- Protecteur Larnin ? Je ne vous attendais pas.

- Gardienne Ashinia. Je vous amène une Symdach, déclara-t-il en désignant la femelle d’un bref mouvement du menton.

- C’est ce que je vois. Vient-elle d’être ramenée ?

- Non. Deux Lunes qu’elle est là. Isolement.

Son ton était sec, mécanique. Ashinia haussa les sourcils. Deux Lunes en isolement ? Et il subsistait une telle lueur dans son regard ?

- Est-elle gravement blessée ?

- Non.

- Pourquoi une telle urgence alors ?

- Je ne voulais pas attendre, répondit-il d’un ton cassant.

Les épaules d’Ashinia se crispèrent mais elle choisit de ne pas répondre.

- Très bien. Je vais la laver et la soigner puis elle partira en formation dans l’aile …

- Non, la coupa Larnin d’un ton sec et tranchant. La femelle reste sous votre surveillance.

- Soit, lâcha-t-elle en pinçant les lèvres. Son nom ?

- Sais pas. Elle refuse de parler.

Elle tourna la tête vers la Symdach. Cette femelle était décidément bien intrigante.
Larnin s’inclina légèrement.

- Gardienne Ashinia.

- Attendez. De quelle Rae vient-elle ?

Le silence s’étira jusqu’à devenir pesant. Le Protecteur Larnin plissa les yeux et Ashinia sentit un agacement sourdre dans sa poitrine.

- Vous posez trop de questions, Gardienne.

- Je dois savoir quel dialecte utiliser pour communiquer, répondit-elle sèchement.

Larnin pencha légèrement la tête et un léger sourire étira ses lèvres.

- Alors ne lui adressez pas la parole, conclut-il en haussant les épaules avant de tourner les talons et disparaitre.

Le visage d’Ashinia se froissa. Elle n’appréciait pas du tout le ton employé par le Protecteur.

- Ne pas m’adresser à toi… Eh bien, voilà une très aimable recommandation que je vais m’empresser d’ignorer ! marmonna-t-elle avant de se tourner vers la femelle. Alors, voyons… Est ankhàr adan tchakar Alundili es ? Hum, visiblement non… Elini làendaré Alundili ? Non plus. Il va falloir m’aider un peu… Ou non, conclut-elle quelques instants plus tard devant l’absence totale de réaction.

Le mystère autour de la femelle titillait fortement Ashinia. Et s’il y avait bien une chose qui faisait frémir Ashinia c’était de résoudre des mystères. Elle se ferait un plaisir de creuser tout cela dans les prochains osseïs mais, pour le moment, elle devait se hâter pour honorer ses autres obligations.

- Bon, ce n’est pas tout. Tu as besoin d’être lavée et changée. On va arranger ça, tu sens un peu… fort, dit-elle avec taquinerie.

Lorsqu’elle s’avança pour aider la femelle affaiblie à descendre du lit, celle-ci se hérissa et siffla un avertissement. Ashinia leva les mains, inclina légèrement la tête avant de désigner la petite salle de toilette attenante. Voyant que la Symdach ne bougeait toujours pas, elle pénétra dans la salle, prépara un pain de savon aux pétales de paéphilia qu’elle déposa sur le bord du bassin et caressa doucement la surface de l’eau afin de la réchauffer.
Lorsqu’elle ressortit elle trouva la femelle debout, se tenant au montant du lit pour ne pas tomber.

- Je t’ai tout préparé. Je te laisse un petit peu d’intimité mais la porte doit rester ouverte, dit-elle en désignant la pièce.

La femelle plissa le regard avant de se diriger avec raideur vers la salle de toilette sans pour autant lâcher Ashinia du regard. Celle-ci s’efforçait de rester avenante et rassurante.

Une fois que la femelle eut pénétré dans la pièce, elle alla ranger ses fioles de médecine pour s’occuper. Un froissement de tissu et des clapotis lui indiquèrent que la femelle s’était glissée dans le bassin.
Après quelques instants, elle se tourna vers la salle de toilette et réprima un frisson.
Là, juste à la surface de l’eau, deux yeux semblaient flotter, immobiles comme détachés du reste du monde.
Ils ne clignaient pas, ne vacillaient pas.
Deux perles d’un vert glacial la fixant d’un regard insondable.
Ils ne laissaient passer aucune douceur, aucune fragilité.
Ils scrutaient. Evaluaient. Patientaient.
Ashinia eut l’impression glaçante d’être absorbée, aspirée dans une obscurité insondable, avalée par la menace. Un éclair froid lui enserra la nuque, lui piqua la gorge, dévala sa colonne vertébrale. Un frisson lui tordit l’estomac, et une sensation de malaise, rampante, s’enroula autour de son être.
Les cils de feu tombèrent, rompant le charme.
Ashinia inspira, se rendant compte qu’elle avait retenu sa respiration.
Troublée, elle détourna le regard.
Le Protecteur Larnin n’ayant pas posé de restrictions sur la femelle, Ashinia en avait conclu qu’elle n’en avait pas besoin. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû se fier à son jugement…
Seul un petit clapotis lui indiqua que la Symdach retournait à sa toilette.

Ashinia esquissa un sourire malgré la sensation oppressante d’être encore observée.
Décidément, cette femelle était bien plus intéressante que celles qui lui étaient ramenées d’habitude. Elle voyait rarement ces femelles à la chevelure cuivrée. La plupart ne survivaient pas à l’isolement. Mais celle-ci se distinguait.
Tout dans sa posture, son regard et même sa survie laissait deviner une histoire hors du commun. Ashinia se promit d’en percer les secrets.
Elle reporta son attention sur son rangement.

Tandis que ses mains s’activaient, elle lista tout ce qui lui restait encore à accomplir en cet osseïs. Il était encore jeune mais, à l’instar de tous les autres, il ne semblait pas assez long pour honorer ses obligations.

Un bref claquement de langue attira son attention. La Symdach avait terminé sa toilette.
Elle s’empara de la tenue simple qu’elle avait sélectionné et entra doucement dans la salle de toilette.
D’un geste de la main, Ashinia rassembla un peu d’air, le réchauffa et de l’envoya vers la femelle qui se crispa.
Pendant que l’air chaud séchait la femelle, Ashinia prit quelques instants pour l’étudier.

Un corps jeune et fin, qui souffrait des privations de l’isolement, recouvert de petites tâches cuivre clair qui parsemaient sa peau. Elles semblaient s’amasser de façon brouillonne sur le visage et les bras pour s’étioler sur le reste du corps. Bien qu’Ashinia ait déjà eut l’occasion de croiser quelques femelles disposant de cette caractéristique de peau, jamais elle n’avait vu autant de tâches sur un même corps. Elles étaient exactement de la même couleur que l’entremêlement de cheveux qui formaient son étrange coiffure et faisaient ressortir le vert de ses yeux. Ses longues torsades rousses lui tombaient jusqu’au fesses et encadraient son visage froid et délicat.
Enfin, Ashinia les remarqua. Presque cachées sous toutes ces petites tâches, se dessinaient sur son corps une floppée de cicatrices. Certaines anciennes, d’autres plus récentes.
Des marques de mauvais traitements.
Des marques de tortures.
Celle autour du cou fit particulièrement grimacer Ashinia, qui travaillait pourtant dans les prisons où la torture était presque un passage obligatoire.
Ce qui lui arracha une grimace fut la profondeur de la cicatrice.
Comme si un collier avait enserré le cou pendant plusieurs Cycles Lunes alors que la Symdach s’était débattue.
Pendant presque aussi longtemps.
Ashinia était peut-être habituée à la violence mais elle ne supportait pas que l’on s’en prenne aux petits. Et visiblement, quelqu’un avait fait grandir cette femelle dans l’horreur.
Elle inspira un grand coup, réprimant la colère qui commençait à sourdre dans sa poitrine.
Elle ne pouvait pas changer le passé.

Quand l’air chaud eut terminé de sécher les cheveux de la femelle, Ashinia s’avança pour tendre les vêtements et les poser sur la banquette jouxtant le bassin. Elle recula de quelques pas tout en évitant de croiser le regard de la Symdach pendant que celle-ci s’habillait.

La tenue ample et beige des prisons enfilées, Ashinia fit signe à la femelle de la suivre.
Le souvenir du bain lui revint et, avec lui, une hésitation fugace. Elle ne devrait peut-être pas tourner le dos à la Symdach. Elle lui était fort probablement supérieure en force. Pourtant, dans le doute, elle emprisonna un peu d’électricité dans sa main, prête à se défendre.

Elle n’eut cependant pas à s’inquiéter longtemps car la salle des prisons était attenante à la salle de soin. Elles passèrent la porte qui les conduisit dans un petit sas. Une fois que la porte de la salle de soin eut claqué dans leur dos, Ashinia posa sa main sur la porte des prisons et activa le système d’ouverture à l’aide d’un déplacement d’air.
Elle se poussa pour laisser passer la Symdach qui entra dans la salle des prisons sans jamais lui tourner le dos.

Ashinia lui laissa quelques instants pour découvrir son nouvel environnement.
Contrairement aux chambres d’isolement, exiguës et dépourvues du moindre confort, Ashinia mettait un point d’honneur à rendre cette partie des prisons propre et accueillante.

La salle était haute de plafond, dans les mêmes tons ocres jaune que le reste de la Maison. Assez petite, elle était composée de trois chambres individuelles séparées par des barreaux de tréhir. Chaque chambre se composait d’un lit rudimentaire mais confortable, d’un petit espace de toilette ainsi que d’une table et d’une chaise fixées au sol. Un espace en allée permettait de se déplacer de la porte d’entrée jusqu’à chaque porte de cellule. S’en suivait une estrade, sur laquelle reposait une table, quatre chaises, un fauteuil et quelques livres dans une étagère.
Sur le mur opposé, quelques plantes étaient disposées ci et là sur une avancée de pierre à hauteur d’épaule. Les paéphilias, qui appréciaient les endroits sombre, couraient sur le mur dissimulant quelques linims brillant d’une douce lueur chaude, idéale en ce début d’osseïs.

- Celle du fond, chuchota Ashinia en lui indiquant d’un geste de la main.

La femelle s’y dirigea d’un pas raide et mal assuré.
En passant devant la cellule du milieu, Ashinia jeta un œil sur le lit, soulagée de voir Eanna profondément endormie.

Alors que la Symdach découvrait son nouveau lieu de détention, Ashinia crut voir un bref scintillement au niveau de la tête de la femelle lorsqu’elle passa dans le rayon du soleil qui perçait à travers la petite ouverture. Elle l’observa quelques instants en plissant les yeux. Elle amorça un mouvement pour aller regarder de plus près quand elle suspendit son geste. Elle venait de voir la femelle entièrement nue. Il y avait peu de change qu’elle ait loupé quelque chose.
Avec toutes ces tensions autour du Darrach, elle finissait par voir des menaces partout.

Elle recula de quelques pas avant de se diriger vers la sortie.

Au moment de fermer la porte, elle lança un dernier regard à la Symdach. Quelque chose la dérangeait sans qu’elle parvienne à mettre la main dessus.
Son regard croisa celui de la femelle. Ashinia frissonna malgré elle.
Toujours ce même poids.
Toujours cette froideur oppressante.

Juste avant que la porte se ferme, Ashinia eut le temps d’apercevoir le sourire tordu, asymétrique, énigmatique.
Puis, alors qu’elle pensait sentir une menace, la Symdach se détourna et son expression redevint impassible.
Ashinia fronça les sourcils.

Alors qu’elle s’éloignait dans le couloir, elle emportait une sensation troublante avec elle.
Pour la première fois, elle se demanda si sa prisonnière n’avait pas choisi d’être là.
Avant de tourner au bout du couloir, elle redressa les épaules et secoua légèrement la tête.

Annotations

Vous aimez lire MiRéZin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0