Chapitre 10

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Vansia se figea un instant, les mâchoires serrées. Puis, elle se leva pour faire les cents pas dans la pièce. Elle avait conscience de la justesse des mots de Caelan. Ce n’était pas tant elle qu’il souhaitait protéger, mais tout ce qu’elle représentait pour Alundil.

Les ressources matérielles et vivantes que les Rea leur fournissaient étaient indispensables à leur fonctionnement et, la natalité en baisse depuis des Cycles Lunes, comme si les Grands Anciens essayaient de protéger les âmes de la folie du Darrach, rendait ces ressources d’autant plus précieuses. Pendant que les autres montaient un plan d’infiltration, Vansia tentait de retrouver son calme.
Elle avait envie d’agir. De faire quelque chose directement sur Alundil. Pour une fois !
Elle était certaine qu’elle pouvait aider. Et sans se faire repérer. Tout le monde sous-estimait sa puissance !
Elle alla s’accouder au dossier du fauteuil du Tourmenteur et pianota un rythme régulier de la pointe de son ongle. Elle inspira profondément, se balançant au rythme qu’elle imprimait sur le bois.
Avisant son attitude, l’Invisible esquissa un sourire malicieux.

Le regard de Vansia s’enfonça doucement dans le vide. Petit à petit, le monde qui l’entourait se noircissait. Une infinité de chemins se dessinèrent. Ils se frôlaient, se chevauchaient, formaient des réseaux complexes et indéchiffrables. Un enchevêtrement de trajectoires, de labyrinthes imbriqués que seuls les plus aguerris pouvaient espérer comprendre.
Depuis son plus jeune âge, elle avait appris à s’y repérer. A déchiffrer les infinis possibles.
Elle n’avait jamais vu ce monde comme un chaos, bien que beaucoup s’y perdaient définitivement. Non, pour elle, c’était un puzzle vivant, aux pièces mouvantes et à la logique propre. Chaque chemin portait sa lumière, sa vibration, sa pulsation.

Le chemin qu’elle cherchait se mit à pulser plus fort. Sa lumière se fit plus vive. Elle le saisit d’une prise douce et ferme à la fois. Au premier contact, il devint une certitude. La route était là. Elle savait qu’elle n’avait plus qu’à la suivre.
Alors que sa main frôlait presque le bras de Mordrian, l’air se distordit. Une vague de chaleur brûlante enveloppa son corps, écrasa ses poumons. L’instant d’avant, elle était en sécurité.
Ici, tout était différent. Brutal. Hostile.
Devant elle le désert s’étendait, immense, oppressant. Les falaises rocheuses se dressaient comme des sentinelles acérées, tranchantes comme des lames, prêtes à s’abattre sur l’intrus.
La terre était sèche, craquelée. Morte et vivante à la fois, exhalant laborieusement par ses failles profondes.
Alors qu’elle inspirait, l’odeur des marécages salants bordant le désert lui arrivait par vagues ténues, lui brûlant la gorge de relent mêlant la puanteur de l’eau stagnante à une touche salée et piquante. L’air trop chaud, trop dense pesait sur sa poitrine.
Et pourtant, au milieu de cette fournaise, un frisson rampait sur sa peau. Un courant d’air glacial glissant entre les pierres, ténu mais implacable. Comme un murmure venu d’ailleurs. Comme un avertissement.
Son regard parcourut les alentours. Il n’y avait presque rien au milieu de la désolation. Juste quelques plantes esseulées, rachitiques, éparpillées comme les vestiges d’une vie ayant tenté de résister avant d’être balayée. Tout ici semblait vouloir effacer la moindre trace d’existence.

Vansia sentait qu’elle n’était pas seule. C’était assez subtil au départ. Une sensation insidieuse qui s’infiltrait tranquillement sous la peau, dans les os. Quelque chose la regardait.
Une chose ?
Ou des centaines, invisibles, dissimulées dans les ombres des falaises, sous le sable qui semblait vibrer imperceptiblement. Comme une respiration retenue.
Un filet glacé lui parcourut l’échine contrastant avec la fournaise. L’atmosphère, n’ayant plus rien à voir avec la chaleur aride, pesa sur ses épaules, l’écrasa lentement. Elle sentait qu’elle était soumise à un défi. Malgré sa maitrise du combat, malgré ses nombreux Cycles Lunes d’exploration à travers les Rae, elle savait qu’on la défiait de survivre. Et elle n’est pas certaine de gagner.
Un éclat lumineux attira son regard vers la falaise, suivit de millier d’autres.
Ils se présentaient à elle avec une courtoisie sanguinaire.

Alors que la peur raidissait ses épaules, le chemin lui échappa, la projetant de force dans le noir lumineux du labyrinthe. Les chemins se brouillèrent, se mélangèrent dans un méli-mélo désorganisé. Sa maitrise, si parfaite, lui glissait entre les doigts. Elle lutta pour émerger du labyrinthe mouvant. Elle suffoqua, se fit ballotter dans l’infini, perdit tous ses repères, comme emportée par une immense vague. Plus rien n’avait de sens. Son esprit était en train de se fragmenter, se déchirer, d’être aspiré pour nourrir le labyrinthe.
Comme de nombreux Calbrians avant elle, elle allait se perdre.
Puis, un appel au loin. Une présence. Une poigne d’abord ténue puis plus ferme.
La présence de Mordrian la guida.
Enfin, elle creva la surface, aspirant goulûment l’air.
Elle secoua la tête, tentant d’endiguer le vertige, de rétablir sa vision. Ce fut le regard assassin de Mordrian qui l’ancra brusquement dans la réalité.
Une fois qu’il fut certain qu’elle eut bien refait surface, il lui agrippa les épaules et la secoua.

- Ne t’avise plus jamais de te servir de moi comme ça, murmura-t-il d’une voix vibrante de rage en la lâchant.

Sans attendre de réponse, il sortit en claquant la porte, faisant sursauter Terion qui perdit momentanément la connexion avec son anneau de terryln. Ses yeux reprirent leur couleur marron chauds et il poussa un petit hoquet en tanguant légèrement. L’inspiration profonde qu’il prit résonna dans toute la pièce. Il se redressa et ses yeux se voilèrent de nouveau alors qu’il replongeait dans son don, gravant les images dans le terryln.

Annael fixait la porte, les poings serrés, avant de se pincer l’arête du nez. Après un soupir, il se tourna vers la Voyageuse.

- Toujours à se vexer… murmura la Voyageuse dans un souffle tremblant en se massant les tempes.

Un silence tendu tomba dans la pièce, rapidement brisé par la voix sèche d’Annael.

- Ce que tu as fait est inacceptable. Ce n’est pas parce que Mordrian est ce qu’il est que tu peux t’abaisser à ça ! Et par-dessus tout, tu as désobéi à un ordre direct ! C’était inconscient et extrêmement dangereux, et tu le sais. C’est pour ça que nous t’avons interdit d’y aller !

- Ce n’est pas comme si je m’en étais vraiment servie, se défendit-elle sans pour autant croiser le regard d’Annael. Il dramatise. Je connais les règles des Calbrians. J’étais dans mon droit. Et je sais maîtriser la précision.

L’Invisible poussa un petit ricanement, sans pour autant lancer la remarque acerbe qui semblait lui brûler les lèvres. La Voyageuse se leva, légèrement chancelante, pour se diriger vers le buffet et se servir un jus de fruit. Après une gorgée, elle se tourna vers les autres Shorghbrachks et leva le menton dans un élan de défi.

- Vous n’avez pas l’air intéressés par ce qu’il s’est passé mais je vais quand même vous le dire. Les FrànVeïnishi sont bien près des Marécages salants. Ils sont nombreux. Très nombreux. Et bien installés sur leur territoire. Il se cachent dans les falaises. Y aller frontalement serait du suicide. Ils verront venir un ennemi de n’importe où.

- Bien, nous continuerons selon le plan. Lexian, prépare-toi à partir.

- C’est comme si c’était fait, Tacticien. Un petit tour dans le désert me rappellera marnah et sa chaleur cuisante.

Il sauta du fauteuil en dissimulant son grand sourire derrière le bas de masque, s’inclina profondément et sortit à grand renfort de mouvements de tissus.
La Voyageuse osa un dernier regard en direction d’Annael, avant de se saisir de sa hallebarde et de se diriger vers la sortie. Elle marqua une légère pause sur le pas de la porte.

- Je voulais juste aider, murmura-t-elle avant de disparaitre.

Ses mots résonnèrent un long moment dans le silence.
Terion coupa la connexion avec sa terryln quand le Tacticien posa la main sur son épaule. Ses yeux perdirent leur couleur blanchâtre et son esprit se rouvrit doucement au monde.
Alors qu’il se levait pour quitter à son tour le salon, il jeta un regard en biais vers Annael.
Ses épaules étaient tendues, comme s’il ne savait pas quelle attitude adopter. Terion avait conscience que les sentiments d’Annael devaient osciller entre léger instinct de protection envers Mordrian et respect des règles d’un côté, et le prix inestimable de l’information ramenée par la Voyageuse de l’autre, bien qu’elle se soit gravement mit en danger en allant la chercher.

Alors qu’il fermait la porte, il sourit en voyant l’accolade fraternelle qu’Annael et le Tacticien échangèrent.

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