Le monstre

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 Le jour où j'ai appris à vivre est le jour où je t'ai tué. Pour la plupart des gens, cette phrase semblerait choquante, mais je l'ai gravé au fond de moi. Je ne regrette pas mon geste. Te tuer a sauvé notre famille. Depuis cet événement, j'ai appris que la vie pouvait être belle. Je l'accueille les bras grands ouverts, je savoure chaque moment qu'elle m'offre, je chéris chaque personne qu'elle fait entrer dans mon entourage. Depuis que je t'ai tué, je n'observe plus la mort de la même manière dont je le faisais avant. Elle me faisait peur, mais tout à la fois, elle me semblait être la meilleure solution pour moi. Aujourd'hui, j'ai compris que la mort ne m'était pas destinée, c'était autour de toi qu'elle rôdait toutes ces années.

 Mon fils et moi, on vient une dernière fois devant ta tombe. Tu nous as fait bien assez de mal, et il est conscient que ce que tu nous as fait est impardonnable. Malgré ça, il tenait à voir où tu siéges depuis tout ce temps. Il était si petit, il ne comprenait pas ce qui se passait. Je l'avais emmené voir un professionnel. Il ne se souvenait pas de tes coups, de tes cris, de mes pleurs. Ou alors peut-être l'avait-il simplement enfoui au fond de lui-même ? Peut-être s'est-il simplement donné l'illusion qu'il ne se souvenait pas. Aujourd'hui, il a 22 ans et il voulait en savoir plus sur son pire. Je lui ai tout raconté. Ca lui a fait un choc, mais il n'a pas douté une seconde de ma parole.

 Je le vois maintenant avancer sur ta tombe. Je l'observe cracher sur la stèle avec un regard de haine. J'avoue, je ne peux m'empêcher de sourire. Mon fils qui crache sur ta tombe, c'est jouissif. Peut-être tiendra-t-il de sa mère. Oui. Mon fils. Je refuse de t'accorder ce plaisir. Mon fils n'a pas de père, seulement un géniteur et une mère. Tu ne l'avais jamais frappé, seulement moi. C'est pour ça que j'ai tenu si longtemps. Je pensais que peut-être, tout ça été ma faute. Quand je t'ai vu t'approcher de lui, le poing levé, j'ai compris que tu n'étais qu'un monstre. Je t'ai poussé, frappé comme je le pouvais et tu es effectivement tombé dans l'escaliers.

 Je peux presque t'entendre, comme si tu étais encore en vie à mes côtés. Comme si ton esprit était encore là. Mon fils s'en va. Il retourne à sa voiture et s'en va sans un regard vers toi. J'en suis fière.

- Tu es aussi fière de ton mensonge ? me demandes-tu.

 Je peux presque t'entendre, tout ça ne se passe sûrement que dans ma tête, mais je vais jouer le jeu.

- Ce n'est pas un mensonge. Je lui ai dit la vérité.

- Arrête, tu te mens à toi-même.

 Je souris. C'est vrai. Peut-être me mens-je à moi-même. Mais quel meilleur menteur que celui qui croit à ses propres mensonges. Tu reprends:

- Je suis encore dans ta tête. Avoue-le, tu es folle. Je suis mort, mais tu m'entends encore.

 Je ne dis rien. Est-ce si important? Peu importe que je sois folle, je suis heureuse.

- Comment c'était? Qu'est-ce que tu as ressenti ce soir-là?

 Je ne lâche pas ta tombe du regard et je te réponds:

- Encore cette question?

- Peut-être que ton esprit veut te faire revivre ce moment jusqu'à ce que tu regrettes?

 Je ris franchement, moqueuse et reprends très sérieusement.

- Je ne regretterai jamais.

 Après quelques instants, je décide enfin de te répondre.

- Je sais que tu ne me frappais pas. Mais une petite histoire tragique, c'était plus intéressant à raconter. "Il me battait depuis des années", "il était si énérvé qu'il n'a pas fais attention et est tombé dans les escaliers! Je n'ai rien pu faire", "J'avais si peur".

 Je ris une énième fois.

- Tout le monde était au petit soin avec moi après ça. C'était si drôle.

 Je marque une pause avant de continuer.

- Tu rentrais du travail épuisé, sans plus d'argent, sans promotion ou augmentation à m'annoncer. Je ne suis peut-être pas d'homme dans ma vie officiellement... Mais ils sont tous au petit soin avec moi. Le plein d'argent, de voyages... Tout ce que tu n'avais pas à m'offrir. Et je t'aimais. Ce n'est pas un mensonge. Mais l'amour ne fait pas vivre. Je ne pouvais plus continuer comme ça. Je ne pouvais pas te quitter, ce n'était pas assez excitant. He oui, je suis peut-être folle. J'avais envie de tuer. Tu étais la victime idéale. J'ai inventé toute cette petite histoire avant de passer à l'action. Mais tu sais, il m'arrive de pleurer ta mort. Je suis peut-être folle. Ou alors ce sont des larmes d'émotions. Mon premier meurtre, ce n'est pas rien quand même! Eh puis... J'aime tuer. Ne t'en fais pas, d'autres vont bientôt te rejoindre. Et fais-moi confiance, je saurai protéger mes arrières.

- Mon fils ne saura jamais qui je suis vraiment...

- MON fils, m'écris-je. Mais ce n'est pas important. Après tout, tu es un monstre...

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