1.2 - Adolescence

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La comtesse et le comte, soucieux de l’éducation des enfants, avaient organisé des cours adressés à ceux de la citadelle, et dans une moindre mesure, à ceux du village dont l’enseignement se limitaient à quelques années, par manque de moyens. Les dirigeants permettaient cependant aux éléments les plus prometteurs de se joindre à ceux du château où ils pouvaient espérer trouver, plus tard, un travail.

Les religieuses aidaient les parents de la jeune Opale dans cette tâche courageuse, fournissant une main d’œuvre bienvenue selon les compétences de chacune.

Berthaud, versé dans les lettres, encadrait l’enseignement linguistique, de la littérature, de l’histoire et la géographie. La langue d’oïl parlée à Montbrumeux se voyait approfondie pour en connaître les subtilités, mais de nombreux idiomes étaient abordés, notamment d’oc, parlé dans le sud du Royaume de France, ou encore ceux utilisés dans le Saint-Empire Romain-Germanique, ou le latin et le grec. Une sœur ibère enseignait même l’arabe parlé dans sa région natale. La future comtesse s’épanouissait, comme son père, dans ces domaines.

Othalie, plus attirée par les mathématiques et ses applications, conduisait les travaux dans ces matières et avait mis en place des ateliers pratiques. Elle aimait y passer du temps avec les jeunes, mais elle était déçue de voir sa fille s’en désintéresser, à l’exception de la stratégie, domaine d’études qui la passionnait.

L’intellect est une chose essentielle, mais le corps doit lui aussi recevoir son entretien. Aussi les maîtres des lieux mirent en place, avec les gardes du château, des entraînements aux armes. Ainsi, Montbrumeux serait bien défendu en cas d’attaque ennemie. Opale excellait dans le maniement de l’épée, mais elle fit sa spécialité d’une technique chère à Othalie : le combat à deux masses d’armes légères. Elle avait ainsi l’impression de frapper comme un ours, à deux mains.

La religion Catholique avait bien évidemment une place privilégiée dans l’éducation des jeunes. Les moniales montraient aux enfants comment agir conformément à la Divine Parole, avec comme maître mot le respect et l’amour du prochain. Opale appréciait particulièrement le travail avec la sœur Madeleine au regard pétillant qui lui montrait comment interpréter d’une façon critique les textes Saints. Elle aimait aussi rire avec la sœur Marie-Bosco, retenant aussi d’icelle de précieux conseils de sagesse, et prier avec la sœur Claude.

Lorsque ses parents revenaient de leurs aventures à l’extérieur, Opale aimait à écouter leurs récits, surtout ceux qui parlaient de combats, de gloire et de victoires. En bref, de chevalerie. Tout ceci nourrissait son imaginaire déjà foisonnant et lui donnait des idées pour ses contes du soir et, elle aussi désirait vivre de grandes choses.

Ce jour-là, comme bien souvent, elle s’était retirée dans sa chambre loin des tumultes de la vie du château, afin de se retrouver avec elle-même et de préparer la soirée. Elle avait gratté son parchemin pour la énième fois et s’appliquait à y inscrire ce qui, à la veillée, épaterait ses camarades. C’était sa manière d’exister, de briller devant les autres, et en même temps, elle s’amusait tellement !

La jeune fille prit sa plume et dessina les contours vagues de son histoire. Un début, une fin, quelques éléments de rebondissement. Le reste serait improvisé.

*

Dans la grande salle du château, les domestiques allumèrent un feu et la soirée commença. Il y avait là tout Montbrumeux, du comte à la comtesse jusqu’au plus humble des serviteurs. Harpes, luths, flûtiaux et cordes vocales jouèrent, animés par les talents de la citadelle.

Quand la musique prit fin, les adultes restèrent dans la grand-salle où ils s’occupèrent avec des jeux de dés et de cartes, tandis que les enfants passaient dans la petite salle attenante. À l’intérieur, une scène se dressait. On n’avait mis que peu de chandelles afin de rendre l’ambiance idéale pour les contes.

Les jeunes s’étaient établis en demi-cercle et attendaient la seule, la grande l’unique Opale de Montbrumeux. La bouille ronde et rieuse de la comtesse conteuse apparut alors. Du haut de ses treize ans, elle s’avança théâtralement sur l’estrade. Ses yeux noisette, balayèrent le parterre déjà conquis. Elle n’avait pas vu, en retrait, ses parents venus l’écouter.

Telle une dramaturge elle clama :

— Ce soir, je vais vous conter l’histoire du prince et de la licorne.

Elle jaugea son public du regard et commença :

— Il était une fois un prince… Vous le voulez comment votre prince ?

— Brun, cria une fille.

— Fort, s’enthousiasma une autre.

— Avec des belles bouclettes, proposa une troisième.

— Et bête ! pouffa une quatrième.

— D’accord. Donc il était une fois un prince, brun, avec de belles bouclettes, fort et surtout bête. Il était amoureux d’une princesse, il faut dire qu’il ne l’avait vue qu’une seule fois, alors prétendre qu’il était amoureux est un peu exagéré… Vous la voulez comment votre princesse ?

Pour résumer ce qui se dit ce soir-là, le prince entreprit de séduire cette princesse. Il se vanta alors d’être capable de lui rapporter une corne de licorne.

Mais tout ne se passa pas comme prévu, car la princesse aimait beaucoup les animaux, surtout ceux aux propriétés magiques. Elle raconta alors à son amie Berthe le plan machiavélique du prince. La petite souris connaissait la licorne et courut jusqu’à elle pour la prévenir – je vous passe les poursuites par les chats, chouettes, fouines et éperviers. C’est ainsi que la bête mythique prévenue, se cacha et lorsque le prince arriva sur place pour la tuer, elle passa par-derrière et se mit à le poursuivre lui donnant de petits coups de corne bien placés. Le chasseur chassé finit les fesses percées. Depuis ce jour-là, on l’appelle le prince passoire. Quant à la princesse elle s’enfuit à dos de licorne pour ne plus voir cet importun.

Toutes les filles et une partie des garçons applaudirent et rirent de bon cœur. La conteuse comtesse était vraiment désopilante et savait les chatouiller là où il fallait. Elle s’arrêtait, interrogeait celui-ci ou celle-là… si bien que son histoire était un véritable méli-mélo.

Guilhem et quelques autres garçons faisaient la tête. Comme d’habitude. C’était ça qui lui valait son charme auprès des filles.

— Dites-moi conteuse, pourquoi les princes finissent tous mal dans vos histoires ? J’aurais bien aimé qu’il séduise la princesse !

— Eh bien, je vais vous dire une chose, maître Guilhem. Si vous souhaitez une autre fin, il vous faudra animer la prochaine soirée.

Le jeune homme ne trouva rien à redire et reprit son expression des mauvais jours.

Comme leurs parents voulaient qu’ils dorment, les enfants quittèrent à regrets la salle du conte. L’artiste en chef découvrit en cet instant la présence de son père et sa mère.

— Bravo mon enfant, tu as su encore une fois nous ravir, commença Berthaud.

— Ah ! Et moi j’aime toujours t’écouter ma petite, continua Othalie. Tu disposes d’un véritable don que tu sais nourrir par ton travail.

Les compliments de ses parents lui allaient droit au cœur. Elle les serra tous deux dans ses bras.

— Oui, il y a ces quelques grands garçons, comme Guilhem qui n’aiment rien, reprit la jeune fille. Tant pis pour eux, ils n’ont qu’à aller se coucher plus tôt !

— À leur âge, les garçons sont particulièrement idiots, je me souviens encore de cette époque ! Heureusement que je ne t’ai pas connu à ce moment-là, fit Othalie en regardant son mari. Tu ne m’aurais certainement pas plu.

Berthaud éclata de rire. Ensemble, ils se dirigèrent vers les appartements de la jeune fille.

— Nous aimerions te parler, lui expliqua sa mère en cours de route.

Arrivés dans la chambre, son père désigna la petite table ronde centrale où ils prirent chacun un siège. L’instant semblait bien solennel. Opale, l’air un peu surpris, attendait que quelqu’un entame la conversation. Othalie rompit le silence :

— Ma chère enfant, nous aimerions te parler de ton avenir… et par là même de celui de Montbrumeux. Je sais que tu es encore jeune, mais cette conversation est nécessaire.

— Nombre de pères t’auraient déjà fiancée à un jeune homme, fils d’un de ses amis. Mais, je n’appartiens pas à cette espèce, tu le sais bien. Je souhaite que tu trouves toi-même quelqu’un qui te convienne, noble ou non. Car ce sera toi qui seras la maîtresse de Montbrumeux, ton conjoint n’aura qu’à écouter ta bonne volonté, libre à toi de partager ou non le pouvoir.

— Oui père, vous me l’avez toujours dit.

Berthaud opina du chef.

— Bien, comme nous sommes d’accord sur ce point, passons au suivant. Tu sais que j’ai fait de longs voyages dans ma jeunesse alors que je n’étais qu’un chevalier errant. C’est d’ailleurs dans mes pérégrinations que j’ai rencontré ta mère.

Il cligna de l’œil en direction d’icelle.

— J’y ai également découvert la sagesse des anciens grecs.

— Oui, c’est ainsi que vous connaissez mieux ces langues que quiconque !

— Moins bien que les habitants de là-bas, rit-il. Enfin… tout ça pour dire que ta mère et moi, avons l’esprit assez ouvert.

— Mes chers parents, où voulez-vous donc en venir ?

— Eh bien… Ton père et moi, avons l’intuition que tu as quelque chose de spécial, de différent par rapport aux autres enfants.

Opale se redressa en riant, prenant un air supérieur :

— Oui, naturellement, j’ai ceci de spécial que je suis la plus belle, la plus intelligente, la meilleure à l’épée… Des qualités évidentes pour diriger Montbrumeux !

Pour rajouter à sa morgue, elle passa une main dans ses longs cheveux châtain-clair. Ses parents se mirent à rire devant sa théâtralité. Leur enfant n’avait pas son pareil quand il s’agissait d’amuser le monde.

Lorsque ce petit moment d’hilarité fut passé, c’est sa mère qui reprit la parole :

— C’est d’amour, dont on veut te parler. Tu arrives à un âge où les jeunes gens commencent à ressentir certaines choses.

— Et donc, quel est le rapport avec l’esprit ouvert et les anciens Grecs ?

— Il m’est arrivé de lire les poèmes d’une grande Dame nommée Sappho. Dans ses vers elle décrivait mieux que personne, mieux qu’un homme, avec une douceur surprenante, l’amour qu’elle éprouvait envers une autre femme.

Opale baissa les yeux, une rougeur incontrôlable montait à ses joues.

— J’ai trouvé ses vers magnifiques, comment pouvait-on louer aussi bien une femme ? Quel amour faut-il avoir en soi pour décrire tant de beauté, de douceur ? Moi-même j’en suis incapable. Il est dit dans les Évangiles que celui qui aime, aime Dieu. Si l’amour de Sappho pour sa dulcinée est si pur, il ne peut Lui déplaire.

— Vraiment ?

Le rouge s’intensifiait sur les joues de l’adolescente et entamait une migration en direction des oreilles.

— Vraiment. Tu ne me demandes pas pourquoi je te dis cela, ma fille ?

— Eh bien… dites toujours.

— Tu ne me simplifies pas la tâche…

Il la regarda, un sourire bienveillant sur les lèvres. La Dame de Montbrumeux prit la parole afin de soulager son mari.

— Voici ce que nous avons observé. Toutes les filles de ton âge, regardent avec envie le petit Guilhem. Mais il y a une exception. Cette jeune fille admire plus volontiers les rondeurs d’Amélie, la grâce de Chrodièlde ou la taille fine d’Olga. Et cette exception… c’est toi.

Le rouge avait viré pivoine.

— Elles ne me regardent même pas ! Puisqu’elles sont toutes sur leur Guilhem, qui à mon sens, n’est qu’un imbécile.

— Voilà où je voulais en venir, continua Othalie. Ainsi, je ne sais pas où tu pourras trouver le bonheur. Si l’on regarde autour de nous, je ne vois pas d’autre jeune de ton âge qui répondrait à tes attentes. Pour la trouver, il te faudra chercher. Longtemps peut-être, car les dames qui ressentent ce genre de choses ne sont pas légion.

Le cœur d’Opale battait la chamade. Comment ses parents avaient-ils percé aussi profondément l’intimité de son âme ?

— Mes parents, je vois votre souci. Si mon amour va à une femme, je ne donnerai pas descendance à Montbrumeux. Que puis-je faire en ce cas ?

Son père la regarda droit dans les yeux.

— Tu es très inventive, jeune conteuse, nous te faisons confiance pour tracer ce chemin. Cette histoire, c’est à toi de l’écrire. Nous voulions surtout te dire que nous t’acceptons telle que tu es.

— Vous êtes bons de me comprendre.

Elle baissa les yeux :

— Merci.

— Tu es notre fille, nous t’aimons, dirent-ils d’une seule voix.

Ils se levèrent, la serrèrent fort dans leur bras et se retirèrent respectueusement. Après s’être vêtue pour la nuit, allongée dans son lit, Opale ferma les yeux et se mit à rêver.

Dans son rêve elle aperçut les contours d’une jeune fille, puis elle ressentit, émanent d’elle un sentiment diffus, mêlant l’étonnement à la joie. Elle tenta de lui faire un geste de la main, mais l’apparition s’effaçait déjà. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais en son for intérieur elle l’aimait déjà.

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