1.12 - El-Djazaïr

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!!!! Les dialogues entre crochets [] sont en arabe, et le latin entre parenthèses ().

La ville aux maisons blanches s’ouvrait devant les aventurières. Passé le port, la ville regorgeait de ruelles sinueuses, peuplées de femmes et d’hommes en vêtements blancs et à la tête emmaillotée par des linges.

Certaines personnes marchaient, tenant par la longe un étrange animal de grande taille avec une bosse sur le dos. Devant l’étonnement des voyageuses, Adelaida expliqua :

— Dromadaires. Son’ pratiques pour el désert.

Ici et là de hautes tours surmontées d’élégantes coiffes dépassaient des habitations.

— Vous emmène voir el souk. C’est oune marché. Vous verrez.

À peu près remise, de ses souffrances, Adelaida ouvrait le chemin. Pour avoir fait maintes fois le voyage, elle était au milieu d’El-Djazaïr comme un poisson dans l’eau.

— Si tou veux visiter el pays, il faut acheter les habits. On trouve au souk, faut marchander.

Soudain les rues s’ouvrirent sur une grande place. En son milieu de nombreux étals fleurissaient. Sur certains, des poudres colorées aux mystérieuses senteurs épicées attiraient l’œil et la narine de nos amies, des poulets rôtissant taquinaient leurs estomacs. Plus loin des étoffes chamarrées étonnaient leurs yeux inhabitués.

— Venez avec mi, vous montre.

Elle se faufila jusqu’à trouver une échoppe appropriée.

— [Dieu te bénisse Youcef !].

— [Qu’il te bénisse en retour Adelaida. Ça fait longtemps qu’on ne t’a pas vu par ici !].

— [Nous avons voyagé jusqu’en Turquie].

— [Tu dois avoir des belles choses à me vendre, on pourra voir ta marchandise ?]

Adélaida se figea, une larme coula sur sa joue. Ellanore lui tendit sa main qu’elle serra nerveusement.

— [J’ai dis quelque chose de travers ?]

— [Non… tu n’y es pour rien… c’est… le bateau, on s’est fait attaquer… des pirates. J’ai sauté à l’eau… Elles m’ont recueillie.]

Du menton, elle désigna Opale et Ellanore. Ses lèvres et se contractèrent et ses yeux se fermèrent le temps d’une respiration.

— [Les autres… mon père…]

Elle secoua la tête négativement.

— [Par la vie du Prophète, ce n’est pas possible ! Assieds-toi, je te sers un thé ! Dis à tes amies de s’asseoir, tu vas me raconter tout ça !]

— [Merci], tenta Opale.

— [Par la barbe de Mahomet ! Tu parles arabe !]

— [Un peu.]

Ellanore n’en revenait pas. Tout le monde semblait parler cette étrange langue et gutturale, même l’amie avec laquelle elle avait voyagé. Comment savoir ce qui se disait ? Elle donna un coup de coude à Opale qui lui expliqua brièvement.

Elles s’assirent autour d’une table basse au milieu des tentures que le marchand leur désigna. Au moins, ce langage corporel était compréhensible de tous. Tout en écoutant Adelaida raconter son histoire, Youcef servait un thé à la menthe comme on sait le faire au Maghreb, en levant la théière démesurément tandis qu’une eau teintée de vert coulait dans les tasses.

Quand la marinette eut fini de raconter sa triste histoire, Youcef l’interrogea :

— [Alors, que puis-je pour la fille de mon ami disparu ?]

— [Nous aurions besoin d’une tenue chacune, pour pouvoir circuler ici et passer inaperçues.]

— [Venez voir ce qu’on a.]

Il commença à fouiller dans ses affaires et en ressorti une première tenue.

— [Ça pourrait aller à la petite Dame, ça. Allez l’enfiler derrière les tentures.]

Tandis qu’il cherchait les tailles des deux autres à la stature plus importante et rare, un remous se fit dans la foule. Une jeune femme richement habillée, escortée par quatre eunuques tentait d’avancer dans leur direction. Elle s’arrêta juste devant la boutique :

— [Youssef, je suis venu chercher les vêtements que j’ai commandés.]

À cet instant Opale sortit de derrière les tissus, son nouveau costume sur le dos. Elle s’arrêta pétrifiée. C’était elle ! Son cœur, à la force dont il battait, ne pouvait s’y tromper.

— L…Layinah !

— Opale ?

— [Tu… existes vraiment ?]

Layinah prit une longue respiration.

— [Et toi ?…]

— [Aussi, tu vois. On peut apprendre à se connaître ?]

— [Viens me rendre visite au palais.]

— [Compte sur moi. Je n’ai pas voyagé six mois sans raison !]

Elle tenta un clin d’œil déjà complice avant d’ajouter :

— [Où puis-je te trouver ?]

— [Le palais du Sultan. Tu demandes la princesse Layinah ! Je dois déjà rentrer. Ne tarde pas trop !]

La princesse tourna les talons et escortée de ses sbires, disparut dans la foule.

— Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? demanda Ellanore. Depuis qu’on est arrivées ici, je ne comprends rien.

— C’est elle.

— Qui ? Non ! Tu veux dire… la femme dont tu rêves ?

Opale répondit d’un simple sourire et des joues écarlates.

— Qué passo ?

— Elle rêve d’une fille depuis des années. Et… c’est celle qui vient de passer.

— La princessa ?

— Ja.

— ¡ Madre de Dios ! Tou n’as pas entiendou, mais elle l’a invité au palais.

— Mein Gott !

La comtesse réalisa que tout avait été assimilé par ses deux amies :

— Adelaida ? Tu sais où elle habite ?

— Sì. Souivez-moi.

Une dizaine de minutes plus tard, la rue qu’elles empruntaient déboucha sur une vaste place. En son milieu trônait un palais majestueux aux tours élégantes.

— C’est… magnifique. Elle habite vraiment là ? On y va tout de suite ou…

— Si tu veux mon avis. Allons d’abord manger. Si tu lui cours après, elle va te prendre pour une bizarre. Et tu vas pas nous emmener à ton rendez-vous galant.

— T’as raison, je m’emballe. Mais je sais pas faire ! Si vous veniez avec moi ça me rassurerais.

— Compte pas sur moi, je vais pas vous tenir les chandelles, je gâcherais l’ambiance, en plus je ne comprends rien à ce que vous racontez. Un peu de courage mon amie.

— Ellanorita a raison. T’emmène visiter la ville Ellanore. Mais d’abord mange.

*

Opale se tenait enfin seule devant le palais. Il était magnifique. Certes, mais question militaire, il ne valait pas une bonne forteresse plantée au-dessus d’un mont. Enfin, elle n’était pas là pour penser à cela. Elle ajusta son costume au mieux et s’approcha de la bâtisse.

En face d’elle, des gardes, sabre au côté, filtraient les entrées. Elle n’avait qu’à avancer, dire qui elle venait visiter… Cependant… il fallait avouer qu’elle n’avait jamais été à un rendez-vous de ce genre. Et n’était-il pas de mise d’apporter un présent ?

Que pourrait-elle bien lui trouver alors qu’elle n’avait qu’une quantité de monnaie bien limitée. Des gâteaux. Oui, elle était passée à côté d’un étal et il y avait de jolis gâteaux. Elle revint quelques minutes plus tard, sa bourse allégée, mais tenant dans une boîte de quoi ravir sa belle. Toute heureuse elle se précipita au poste de garde.

— [Je viens visiter la princesse Layinah.]

— [Et vous êtes ?]

— Comtesse Opale de Montbrumeux.

L’homme essaya de répéter plusieurs fois avant que la jeune Dame acquiesce.

— [Vous êtes attendue ?]

— [Oui, mais nous n’avons pas fixé le moment.]

— [Suivez-moi.]

Ils pénétrèrent dans l’immense palais. Là où, dans les forts qu’elle connaissait, l’architecture respirait le savoir faire militaire défensif, ici elle reflétait l’élégance. La blancheur des murs donnait à l’espace intérieur une luminosité agréable que l’on ne connaissait pas en Europe. Des arabesques aux motifs divers couvraient les murs et plafonds, les fenêtres constituées de moucharabieh laissaient passer l’air et filtraient les rayons du soleil. Tout était grand, la dimension des pièces dépassait sans aucune mesure celles de Montbrumeux.

Arrivé devant une haute porte, le garde s’entretint avec celui qui attendait en cet endroit et confia notre amie à ses bons soins.

— [L’eunuque va vous conduire chez les femmes.]

Opale ne savait presque rien de ces personnes mais en avait entendu parler. Il s’agissait d’hommes auxquels on avait supprimé les fonctions reproductives. Quelle horreur !

Celui-là n’avait pas l’air gêné outre mesure. D’une toute petite voix, il fit entrer la jeune femme dans le Harem. À l’intérieur, des enfants courraient de droite et de gauche, des femmes devisaient en prenant le thé dans des salons, certaines lisaient ou écrivaient. Contrairement à ce que l’on voyait à l’extérieur, les habitantes circulaient tête découverte, révélant de longs cheveux souvent noirs et bouclés.

L’eunuque conduit Opale dans une grande salle où une femme d’un certain âge était assise sur une sorte de coffre surmonté de coussins aux couleurs vives. Son visage ridé était sec, son regard sévère la transperçait.

— Comtesse Opale de Montbrumeux. [Cette dame vient visiter la princesse Layinah.]

— [Allez la chercher… Ah cette princesse ! À chaque fois qu’elle rencontre une Chrétienne, elle ne peut pas s’empêcher de l’inviter ! Mais où va la jeunesse.]

Opale se garda bien de montrer qu’elle comprenait ce qui se disait. Jusqu’à la venue de Layinah qui, après avoir reçu quelques reproches quant à ses fréquentations d’outre-mer, la conduisit dans un endroit tranquille.

— (Parlons en latin, nous ne serons pas dérangés. Je nous fais venir de quoi boire un thé ?).

Opale acquiesça, et sur un geste de son hôte s’assit. Layinah interpela une servante qui partit chercher le nécessaire.

— (J’ai amené ceci, dit-elle en présentant les pâtisseries au miel)

— (Oh ! Tu as pensé à moi, quelle délicate attention, merci !)

Les yeux de la princesse reflétaient une émotion visible qui n’échappa pas à l’observatrice.

— (Tu es vite venue, je suis flattée.)

— (J’ai tellement envie de faire ta connaissance, depuis tout ce temps que je vois ton visage dans mes rèves…)

Le visage de Layinah rosit légèrement sous le regard bienveillant de la comtesse, contente de l’effet produit.

Le thé leur fut servi, et pendant un moment elles ne surent quoi dire.

— (Alors tu es venue de si loin. Je dois avoir l’air bien maligne, moi qui n’ai pas bougé d’un pouce.)

— (J’ai traversé pas mal de péripéties ! Mais je t’ai enfin trouvée ! C’est incroyable !)

— (Parle-moi alors de là où tu viens, j’ai hâte d’en entendre plus.)

Alors Opale lui livra ses souvenirs de l’herbe verte, des fleurs, des forêts feuillues, des oiseaux de son pays. Layinah buvait ses paroles et s’émerveillait.

— (Je ne connais qu’à peine la nature d’ici. Petite j’avais le droit d’aller sur les dromadaires, mais maintenant, tout ce que je connais de l’extérieur, c’est ce patio et le marché que j’ai le droit de visiter un petit moment chaque jour. J’aimerais tant voyager, découvrir le vrai dehors. Voir toutes les choses que tu me décris.)

Elle baissa les yeux, soupira, puis se leva.

— (Une petite promenade ? Jusqu’au patio ?)

— (Je te suis.)

Opale posa une main sur l’épaule de celle qui ne fut, avant ce matin-là, qu’un rêve.

— (Peut-être qu’un jour, tes yeux pourront contempler tout ça.)

Leurs yeux s’effleurèrent brièvement, un sourire se dessina timidement sur leurs lèvres tandis qu’elles atteignaient le patio. Opale put admirer les grands palmiers, diverses plantes dont Layinah lui fit le commentaire. Elles s’assirent autour d’une petite table sur laquelle trônait un jeu d’échec.

— (Tu sais jouer ?)

— (Un peu.)

— (Alors voyons-voir de quoi tu es capable !)

Elles enchaînèrent ainsi quelques parties, tout en devisant. Opale racontait ses aventures, Layinah n’en ayant pas, lui donnait un aperçu de sa vie recluse.

— (Tu te défends bien ! Essayons d’autres jeux!)

La fin de journée les surprit ainsi au milieu des petits amusements de table dont Layinah raffolait.

— (Tu as quelque part où dormir ? Si tu veux je te fais installer une couche dans le quartier des invitées.)

— (C’est gentil de ta part, mais est-ce permis ?)

— (Oui, bien sûr, tu es une femme. Mais dis-moi, celles avec qui tu étais ce matin, c’est tes amies ? Il y a de la place pour elles aussi si tu veux.)

— (Vraiment ? Merci pour l’hospitalité ! Il est tard, peut-être dois-je aller les chercher.)

— (Je te fais raccompagner, reviens vite ! Le harem ferme au coucher du soleil.)

— (À tout à l’heure, princesse Layinah!) dit elle, un sourire charmeur en coin.

Quelques minutes plus tard, Opale retrouvait Ellanore et Adelaida qui rentraient, l’air parfaitement heureuses de leur promenade du jour. Elles acceptèrent volontiers l’abri du palais. On les conduisit dans une vaste salle où elles purent s’allonger sur des couches plus que confortables.

Alors que la nuit commençait à envahir les lieux, la comtesse se leva vers la sortie de la salle, lorsqu’elle surprit une ombre près de la porte. Aussitôt elle glissa contre un mur. La silhouette avançait à pas de loup en direction de là où elle était censée être allongée. Soudain, la chevaleresse en puissance s’avança pour surprendre l’intrus.

— (Eh ! Vous n’êtes pas gêné, vous !)

La forme suspecte sursauta et se retourna. Opale pouffa :

— (Layinah !)

Adélaida et Ellanore ronchonnèrent à moitié dans un demi-sommeil.

La princesse retint son rire.

— (Opale ! Tu m’as fait peur ! Je venais te dire bonne nuit…)

— (T’as raison, ma maman ne me borde plus depuis mon départ.)

Elle tendit sa joue, sur laquelle Layinah déposa un baiser. Elles retinrent un gloussement lorsque leurs yeux rieurs se croisèrent.

— (À ton tour! )

Après avoir reçu son dû, Layinah fit un petit signe de la main pour dire au revoir, mais ses yeux glissèrent vers Ellanore et Adelaida. Deux mains, tendrement enlacées dessinaient un pont entre leurs deux couches. De surprise, la princesse mit sa main devant sa bouche.

— (Elles…)

— … Non ! (Je me disais bien que quelque chose se passait, mais…)

Dans la semi-obscurité, Opale aperçu l’œil d’Ellanore briller.

— [Elles sont mignonnes comme ça…]

Les le cœur battant, elle tendit la main à sa princesse qui s’en saisit, pommettes rosissantes.

— Bonne nuit. Layinah…

— [Que Dieu te garde… Opale.]

Sur ce, elles se séparèrent. Les yeux d’Opale suivaient Layinah qui se retourna avant de sortir de la chambre sans oublier un petit au revoir.

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