1 - 13 Layinah
Au matin, Layinah, vint rejoindre ses invitées dans leur quartier
— [Que Dieu vous bénisse !]
La conversation n’était pas aisée : Layinah ne comprenait pas la langue d’oc ni d’oïl, Ellanore n’entendait rien à l’Arabe et Adelaida ne connaissait pas le latin. Seule la comtesse avait les clefs de tout ses langages… À part l’ibérique que seule Adelaida parlait.
— (Tu m’emmènes voir la ville ?) s’enquit Opale.
— (Jusqu’au marché seulement, je n’ai pas le droit d’aller plus loin.)
— (Pardon, j’oubliais. Mais quelle est la raison de cet enfermement où l’on vous maintient ? Dans la rue les femmes circulent librement.)
— (Pas les nobles. Il s’agit, soi-disant, de protéger la famille. Ils s’imaginent que l’on pourrait aller batifoler et avoir des enfants qui ne sont pas de leur sang.)
Elle ajouta ensuite avec un regard malicieux en direction de la comtesse :
— (Ce n’est pas à moi que ça risque d’arriver !)
Opale en saisit le sens sans avoir besoin d’explication supplémentaire. Un rire léger les unit.
Ellanore traduisait à la vitesse qu’elle pouvait à Adelaida. Layinah attendit qu’elle ait terminé avant de reprendre son explication :
— (Moi, mes sœurs, mes cousines… nous sommes enfermées par nos pères et dirigées par ma grand-mère qui nous conduit de sa main d’airain.)
— (Ça doit être ennuyeux à mourir ! s’insurgea Ellanore)
— (Sans compter qu’un jour ou l’autre le sultan va m’annoncer qu’il se débarrasse de moi contre des dromadaires. J’exagère à peine, mais utiliser sa fille comme monnaie d’échange, est une pratique courante.)
— (Tu vois les choses comment ? Je t’enlève ?)
— (Comme ce serait romantique ! L’idée me plaît ! Tu es aussi folle que moi j’adore !)
Le rire qui avait accompagné cette phrase se tarit rapidement, puis comme Opale semblait sérieuse, la princesse regarda la comtesse dans les yeux :
— … (Tu ferais ça ? Pour moi ? Mais comment ? Il y a des Eunuques qui surveillent les entrées… tout est sous contrôle. Ne me fais pas des promesses que tu ne pourras pas tenir).
— (Rien n’est impossible. Ensemble, nous trouverons un moyen. N’est-ce pas Ellanore ?)
— (Pour moi, sans problème. Mais je dois demander à Adelaïda.)
Après une brève traduction, icelle acquiesça.
— Tant qu’on s’amouse, souis avec vous !
— On y réfléchit ce soir les filles ? leur demanda Opale.
Les deux furent d’accord, La comtesse traduisit pour la princesse avant d’ajouter :
— (Alors on la fait cette promenade ?)
— (On dirait que rien ne peut t’arrêter. Allons-y)
— (Nous, on va se promener de notre côté, informa Ellanore)
Alors que la princesse et Opale sortaient du harem, quatre eunuques les encadrèrent. Ellanore et Adelaida circulaient. Libres.
Constatant à nouveau cette captivité arbitraire, la comtesse secoua la tête :
— (C’est pas juste pour toi !)
— (J’ai l’habitude.)
Elles prirent la direction du souk.
— (C’est la boutique où je t’ai pris les gâteaux ! s’exclama Opale reconnaissant l’échoppe.)
— (Tu as eu de la chance d’être tombée dessus, c’est les meilleurs de la ville, ils ont dû te coûter cher !)
— (C’était pour toi !)
Opale était heureuse, elle était à côté de Layinah, enfin, et une jolie risette se décorait le visage de la belle.
— (Je peux te poser une question ? Un peu… personnelle.)
Layinah inclina la tête.
— (Tu m’as parlé de ton père, le Sultan, j’ai vu ta grand-mère. Mais… ta mère ?)
La risette disparut, le visage se ferma. Au bout d’un moment, elle consentit à répondre :
— (Son histoire est compliquée. Ma mère est la deuxième femme du sultan, de manière historique. Aujourd’hui il en a quatre, mais lorsqu’il l’a épousé, c’était la deuxième. Maintenant, elle est au premier rang. La précédente était la favorite, mais c’était une forte tête, elle savait beaucoup de choses et menait son mari à la baguette.
« Tout ça déplaisait fort à ma Grand-Mère : elle avait perdu le contrôle de son fils. Si je te dis qu’un jour la favorite tomba malade mourut quelques jours plus tard, ça peut sembler naturel. Mais c’est sans connaître mon aïeule. Je suis certaine qu’elle l’a empoisonnée.
« Ma mère était de nature plus conciliante. La vielle l’avait repérée et savait qu’elle pourrait l’influencer à souhaits, c’est donc elle qui la plaça. Quand la première épouse mourut, la matriarche récupéra son pouvoir par l’intermédiaire de ma mère.)
— (Rien de moins qu’un assassinat ?)
— (Ici la poison circule facilement. Je pense que si la vieille est toujours en place, c’est grâce à ses goûteuses et un bon odorat.)
— (Et toi, tu ne risques rien ?)
— (Tant qu’il ne me marie pas à un cousin bien placé, je ne suis pas un danger pour les autres, donc je ne suis pas en danger. Je pense qu’il hésite toujours sur l’époux à me donner.)
— (Et ta mère elle sait pour toi ? Que tu t’intéresses à une fille…)
— (Ça fait longtemps que je rêve de toi… Je lui en ai parlé. Elle m’a dit que ça allait passer… Mais ça ne passe pas. Heureusement d’ailleurs).
Elle jeta un regard en coin à Opale qui le reçut avec bonheur.
— (Mais alors, elle dit quoi maintenant ? Tu ne seras pas fâchée de la quitter, si je t’emmène avec moi ?)
— (Elle ne veut toujours pas comprendre, elle s’est mise à m’ignorer, alors je vais te dire : je m’en moque.)
Layinah poussa un soupir, puis passant à un autre sujet elle demanda :
— (Mais dis-moi, ta famille est comment, je vais être acceptée ?)
Tu ne t’en moques pas tant que ça, on dirait…
— (Mes parents, ils sont… comme je n’ai vu nulle part ailleurs. Si tu veux un aperçu, ma mère et mon père combattent ensemble sur les champs de bataille. C’est dire s’ils sont particuliers. Et quand je leur ai raconté que c’était les filles et non les garçons qui m’intéressaient, ça ne les a pas gênés, en fait ils l’avaient même deviné tout seuls. Ils étaient juste embêtés parce que j’aurais du mal à trouver chaussure à mon pied.)
Elle regarda Layinah droit dans les yeux.
— (Je crois que j’ai trouvé cette fameuse chaussure.)
Layinah baissa son regard, ses joues se colorèrent vivement. Après avoir passé ce petit moment émotionnel, elle reprit sur un ton humoristique :
— (Il me semble qu’on fait une belle paire !)
Elles rirent à gorge déployée. Leurs sbires ne comprenaient goutte à ce qu’elles exprimaient et n’ouvraient pas la bouche.
— (En parlant de mes parents, ils m’ont envoyé en quête pour être adoubée chevaleresse. Ils m’ont assigné la tâche de chercher « le cœur du monde ». Tu sais ce que c’est toi ?)
— (Je pense qu’ils t’ont joué une bonne farce.)
— (Pourquoi ? Ça ne m’étonnerait pas de mon père… Tu as une idée ?)
Les yeux de Layinah s’évadèrent dans le ciel.
— (Le cœur du monde, je crois qu’il est en chacun de nous… dans chacune de nos rencontres… Pour moi, il est surtout dans la tienne)
— (Et pour moi dans la tienne.)
— (C’est aussi peut-être, tous les gens que tu as rencontrés, ceux à qui tu as donné de l’espoir. Ton père voulait te faire découvrir le monde. Tu ramèneras cette expérience avec toi, ta quête sera accomplie.)
Elle dut se retenir pour ne pas lui sauter dans les bras. Comment n’y avait-elle pas pensé, et comment Layinah avait fait pour trouver immédiatement ?
— (Je reviendrai avec toi aussi. Peut-être qu’Ellanore et Adelaida voudront nous accompagner.)
— (Ce serait bien.)
— (Tu sais, il faudra que je t’apprenne la langue d’oïl. C’est ce qu’on parle chez moi. Sinon tu vas être perdue. Tu parles le latin, la langue que je parle s’en approche.)
Elles prirent le temps pour faire le tour du marché, Layinah fit goûter les différentes épices ainsi que des fruits, comme les dates et certains agrumes à Opale. La harissa lui fit cracher des flammes et la plaisantine s’en gaussa avant de lui faire prendre un peu de pain et de lait de dromadaire pour adoucir la sensation. Dans l’ensemble, Opale apprécia l’expérience gustative.
En rentrant Layinah acheta une belle quantité de pâtisseries avec un clin d’œil bien appuyé en direction de la comtesse.
— (On va se régaler.)
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