1 - 14 Préparatifs

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Le soir venu, les quatre jeunes femmes se retrouvèrent autour d’un couscous. Plat que voulait leur faire découvrir Layinah.

— (Regardez comment il faut s’y prendre). Adelaida ?

— [T’inquiètes pas je connais.]

— Tu lui as dit quoi ?

— Qé yé la trouvais très yolie.

Ellanore grogna d’un air amusé, Opale pouffa. Ne comprenant pas, Layinah étendit ses lèvres au travers de son visage pour ne pas avoir l’air bête, avant de reprendre sa démonstration.

— (Tu prends quelques légumes ou un morceau de viande dans la main, et tout doucement, tu fais rouler ça dans la semoule, ça colle, tu fais une petite boule, et hop.)

Ouvrant la bouche elle y plaça l’amalgame formé.

Opale et Ellanore tentaient avec difficulté de l’imiter. Ellanore y parvint la première et profita de l’occasion pour narguer son amie. Aussitôt, sa boulette s’effrita et elle dut recommencer.

Finalement, elles trouvèrent le bon geste et le contenu du plat se réduisit à vue d’œil pour finir par disparaître.

À la fin du repas, Layinah et Adelaida lâchèrent un rot tonitruant tandis que leur deux amies les regardaient avec des yeux ronds.

— [Merci.] se dirent-elles.

— Ici quand tou veux montrer que tou es polie, tou fais un gros rot à la fin dou repas. Sinon ça veut dire qué tou a pas aimé.

Mais comment se forcer à roter, se demandèrent les deux autres.

Adelaida, comprit que ça n’allait pas de soi.

— Tou avales dé l’air ça devrait marcher.

Cette fois-ci ce fut Opale qui parvint la première l’exercice imposé, avant de se tordre de rire. Ellanore eut un instant de retard, mais la puissance sonore dégagée dépassa largement celle de la comtesse.

Layinah prit un air satisfait et le fou rire des deux non initiées se propagea aux deux autres dans une universalité dépassant la barrière des langues.

Après un moment de convivialité autour d’un thé à la menthe, le moment en vint aux choses sérieuses concernant l’exfiltration de la princesse. Il serait laborieux, devant jouer avec les traductions multiples, de vous livrer l’entièreté de l’échange qui s’ensuivit. Je me permets donc de ne vous en livrer une synthèse.

Impossible de sortir directement, par un travestissement de la princesse ou un subterfuge aussi simple : les gardes pourraient s’apercevoir du subterfuge et même dans le cas contraire, elles seraient certainement vite poursuivies et rattrapées. Elles sortiraient donc nuitament, afin de laisser à nos quatre protagonistes, le temps de prendre du champ. Ou plutôt, du désert.

Endormir le palais à l’aide de somnifères semblait hors de portée : les cuisines du harem et celles des gardes différaient.

Gravir les escaliers jusqu’au chemin de ronde ne semblait pas une meilleure idée : les tours de la bâtisse n’offraient aucun accès depuis le patio et la salle des gardes était un point obligatoire à traverser.

C’est Ellanore et Adelaida qui proposèrent enfin une idée viable. Dans la journée, elles avaient fait le tour du palais, en pensant la possibilité d’une intervention par l’extérieur. L’accès aux toits avec une corde et un grappin semblait réaliste : Ellanore pouvait certifier de part une observation avisée que le garde réfugié dans son échauguette ne verrait rien du tout à la verticale et il serait enfantin pour la marinette de lancer un grappin et monter le long de la corde.

Mais sortir ne serait peut-être pas le plus compliqué… Il faudrait s’éloigner sans se faire prendre. Adelaida avait pensé subtiliser un petit bateau de pêche et faire du cabotage tout le long de la côte, mais Layinah ne voulait pas qu’on prive une famille de ses revenus. Aussi, pensa-t-elle à Aziz, un chamelier qui jouissait d’une bonne réputation. Il suffirait d’acheter son silence. Le bateau, sembla par contre un bon moyen de faire diversion.

Le dernier problème résidait dans le financement de leur entreprise. Layinah avait accès à une petite réserve d’or, pouvait aussi céder ses bijoux à Aziz, mais tout ça ne suffirait pas. La solution venait de la grand-mère. Le siège sur lequel elle trônait toute la journée était un coffre contenant tout le trésor du Harem. Une fortune. La doyenne en portait la clef autour du cou.

Adelaida et Ellanore s’occuperaient des actions à l’extérieur du palais, la princesse et la comtesse se chargeraient de récupérer le financement.


*


Le lendemain, l’heure de la sieste de la matriarche, Layinah conversait avec Opale devant la porte de la chambre où l’ancienne vivait seule. Comme prévu, devant, un eunuque montait la garde.

Une servante passa, les bras encombrés par un plateau chargé de gâteaux et de boissons. Layinah n’eut qu’à lever une jambe au bon moment, et la femme s’étala de tout son long, le nez dans le plateau, son contenu répandu autour d’elle.

La princesse observa l’esclave qui restait bras croisés devant la porte gardée.

— [Venez m’aidez à relever, vous n’allez pas la laisser ramasser toute seule, s’insurgea Layinah.]

Opale s’était esquivée à temps et attendait que le garde soit occupé. Celui-ci réagit aux suppliques de la princesse et tout deux relevèrent la victime, commencèrent à ramasser le contenu du plateau, les morceaux de céramique brisés…

Le cœur battant, Opale se glissa dans la chambre. La matriarche dormait paisiblement. Afin de s’assurer de son bon sommeil, elle lui fit respirer une poudre somnifère confiée par Layinah. Elle récupéra la clef, se précipita sur le coffre et l’ouvrit. Celui-ci était rempli de bourses en cuir. Comme Layinah lui avait indiqué, elle en prit deux, referma le coffre, remis la clef et attendit… Deux coups secs se firent entendre.

Ouf, ça a marché. Conformément au plan de Layinah, l’Eunuque avait quitté son poste et devait aider la servante avec son plateau. La princesse surveillait la porte. Opale se glissa à l’extérieur, présenta son pouce en l’air.

— (Mission accomplie.)

— (Je te rejoins dans vos quartiers, je suis censée surveiller la porte !)

Après deux minutes qui semblèrent une éternité pour Opale, Layinah arriva enfin.

— (Ffffiouh, je croyais que ça n’allait jamais finir ! s’exclama la princesse. Alors tu as tout ?)

— (Je t’attendais pour ouvrir. Voyons voir…).

Après avoir compté et recompté, tout allait bien. Elles étaient en possession de cent pièces d’or. La moitié servirait à financer la caravane, une dizaine pour le pêcheur, et après avoir acheté tout le matériel nécessaire, il leur resterait encore une belle somme.


*


Un peu plus tard, Adelaida et Ellanore se dirigeaient vers la périphérie de la ville où elles trouvèrent le dénommé Aziz, chamelier et organisateur de caravanes. Ellanore, ne sachant que faire, avait décidé de l’accompagner, même si elle avait bien compris qu’au milieu d’une négociation dans une langue qu’elle ne connaissait pas, elle n’aurait aucune utilité, à part peut-être donner l’impression qu’une riche étrangère participait à l’expédition — Elle avait emprunté dans le harem, des vêtements luxueux.

Devant une maison aux allures cossues, un homme au corps cylindrique et au visage rondouillard était placidement assis, sur un siège confortable, les yeux cachés dans son turban, il s’adonnait probablement au plaisir coupable de la sieste. Derrière la maison, on pouvait distinguer un enclos où un certain nombre de dromadaires paissaient.

Mais Aziz ne dormait que d’une oreille, lorsque des pas se firent entendre, il releva son turban et vit s’approcher deux femmes. Son instinct de marchand lui indiqua qu’il était près de conclure une affaire. Il se leva avec un grand soupir, se frotta le ventre et étala sur son visage un sourire ravi.

— [Que Dieu vous bénisse. Vous devez être Aziz.]

— [Que Dieu vous bénisse. C’est bien à lui que vous parlez. Que puis-je pour vous ?]

— [Nous venons pour un long voyage. Nous sommes quatre et voulons nous rendre à Tanja.]

— [Cela risque de vous coûter bien cher. Êtes-vous sûres de pouvoir en payer le prix ?]

Adelaida inclina sa tête en direction d’Ellanore.

— Tou peux lui faire miroiter la quincaillerie.

Ellanore détacha la bourse qu’elle avait emportée de sa ceinture et la secoua pour faire sonner son contenu, opinant lentement de la tête, la tête, les yeux plissés, une moue qui voulait signifier qu’à l’intérieur, c’était loin d’être vide.

— [De bonnes pièces d’or, affirma Adelaida.]

— [Vous devriez être prudente, chère madame.]

Adelaida arqua un sourcil circonspect.

— [Quelqu’un m’a dit que je pouvais faire confiance à Aziz. Me serais-je trompé ?]

Il frotta ses petites mains boudinées l’une contre l’autre.

— [Non point, non point, chère madame. Soyez ici en toute tranquillité.]

Il appela en direction de la maison.

— [Femme, fais nous servir le thé. Il y a des clients.]

— [Alors vous êtes quatre et vous allez à Tanja. Du commerce ?]

— [Ne pose pas trop de question.]

— [Aziz doit savoir, ma bonne dame, pour savoir combien de dromadaire je devrai utiliser.]

— [Pas de denrées à transporter. Seulement quatre voyageuses. Il te faudra tout préparer : tentes, gardes, nourriture, eau. Et si on te demande où nous allons, tu indiqueras une ville, loin au nord d’ici.]

— [Vous savez monter, étrangères ?]

— [L’une d’entre nous a monté des dromadaires lorsqu’elle était enfant, une autre des chevaux.]

— [L’équitation n’a rien à voir avec la chamellerie. Il faudra donc à celles qui ne connaissent pas un préalable.]

Aziz réfléchi, compta sur ses doigts, puis se gratta la tête, leva les yeux au ciel, recompta sur ses doigts.

Il servit ses deux clientes civilement, puis lui-même. Il but une gorgée pour vaincre une éventuelle suspicion.

— [Quatre gardes, trois mois, les chameaux, les tentes, la nourriture, l’entraînement… Tout ça… ça fait quarante-cinq pièces].

Le thé arriva dans les mais d’une fatma aussi ronde que l’était Aziz et au visage tout aussi épanoui. Elle déposa un plateau sur une petite table devant l’habitation et Aziz fit le service. La dame se retira, non sans un regard complice envers le marchand.

Adélaida prit sa tasse, avala une gorgée de liquide chaud, reposa sa tasse.

— [Tu te moques, trente-cinq].

— [Tu veux me tuer ? Quarante-quatre.]

— [Tu souhaites que j’aille voir la concurrence ? Trente-sept.]

— [Je veux bien faire un effort, quarante-deux. Je ne descendrai pas plus bas.]

Adelaida se le va de son siège.

— On s’en va monsieur fait des prix trop élevés.

Ellanore se leva, sans savoir ce qui s’était dit précédemment.

— [Tu m’arraches le cœur. Quarante-et-un.]

Adelaïda lui fit signe de se rasseoir avec un petit clin d’œil.

— [Quarante.]

— [D’accord, Mais je vends le prix du silence à dix pièces]

La négociatrice tendit la main à Aziz qui la serra, un sourire satisfait sur les lèvres.

— [Parfait, c’est le prix que je pensais mettre depuis le début.]

— [Moi aussi, merci pour le plaisir du marchandage. Les étrangers ne savent pas faire d’habitude.]

Après avoir vigoureusement serré la main d’Ellanore, Aziz tendit avidement la main.

— Donne pas tout, oblige à honorer le contrat.

— Ach ! On ne fait pas ça dans le spectacle, je n’ai pas l’habitude. La moitié ?

— Mmm, oun tiers, dix-sept, oun offre sérieuse et croira pas que c’est gagné.

Ellanore se mit à compter les pièces une par une et lui donna ce qu’elle avait dans la main.

— [Mais ça fait pas cinquante, ça !]

— [Que veux-tu Aziz un tiers d’abord, un deuxième au départ, le reste à l’arrivée. Tu m’as bien conseillée d’être prudente ?]

— [Bien maîtresse. Il me faudra une semaine pour les préparatifs. L’entraînement commence demain. On boit ce thé, oui ou non ?]

Pendant la conversation qu’ils eurent autour de la boisson, Aziz se montra enjoué et même sympathique. Les deux femmes voulurent ensuite visiter les animaux, les voir de près. Aziz leur fit faire le tour de chacun, leur taille était réellement impressionnante, mais leur air semblait paisible.

Rassurées, elles se préparèrent au départ.

— [Aziz, le départ se fera de nuit, nous vous dirons où nous attendre. C’est d’accord pour vous ?]

— [C’est compris dans le prix de la discrétion. À demain, venez le matin.]

Les jours suivants, chaque matin, Adelaide, Ellanore et Opale se rendirent chez Aziz pour apprendre à découvrir leurs futures montures. La comtesse devait le reconnaître : savoir monter un cheval ne lui donnait aucun avantage, en plus ces montures étaient hautes et elle n’était pas très rassurée. On conduisait les dromadaires à la bouche, par des bruits caractéristiques propres à la chamellerie, et les mouvements de l’animal faisait faire à la colonne vertébrale des oscillations tout à fait inhabituelle. Heureusement, au bout de quelque jour, les trois aventurières commencèrent à trouver les clefs qui leur permettraient de contrôler leur monture lors de leur périple.

Opale commença à dispenser à sa princesse et à la marinette des bribes de langue d’oïl. Ellanore leur fit écouter sa musique et reçut des artistes du harem un aperçu de la musique orientale dont elle ne perdit pas une miette.

Elles achetèrent également au marché corde, grappin, mais aussi quelques armes. La comtesse se trouva une épée agréable à manier, bien que Layinah ne sache pas s’en servir elle lui en réserva une légère. Ellanore se munit d’un bâton court bien solide et Adelaida d’un sabre d’abordage. Elles rajoutèrent pour chacune un arc avec un carquois de vingt flèches. Elles s’entraîneraient sur le chemin.

La dernière étape avant le départ consista à se rendre au port afin de donner une fausse piste à leur poursuivant. Ce fut à nouveau Adelaida qui s’en chargea. Entrée sur le port, elle repéra d’un œil expert le bateau de pêche qui lui semblait le plus rapide.

Pour dix pièces d’or, que le propriétaire accepta les yeux ronds, elle lui ordonna que ses quatre fils, travestis en femmes conduisent l’esquif à quelques ports de là en direction de l’est avant de rentrer à pied. Le lendemain, il porterait plainte au palais pour vol. On aura vu quatre femmes embarquer aux aurores et partir dans la direction indiquée. Il récupérerait son bien dans les meilleurs délais. Avec ses dix pièces d’or de prime, il pourrait vivre pendant plusieurs mois.

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