1.16 - Escale
Les terres fertiles de Mitija derrière elles, elles abordèrent les montagnes de l’Atlas tellien. L’air froid et vif mordait la peau des voyageuses. Elles piochèrent dans les paquetages des vêtements chauds prévus par Aziz. Les chemins, bien souvent étroits, ne permettaient de progresser qu’à allure réduite. Le soir, des branches mortes issues des forêts de chênes verts, de pins et de cèdres, approvisionnaient un feu toujours bienvenu.
Puis ce fut une succession de plateaux arides et glacés. Le vent sec soufflait librement, d’autant plus agressif que dans les montagnes. Les sources d’eau, rares, figuraient sur des cartes qu’Hakim consultait pour l’approvisionnement.
Arrivèrent ensuite les hautes montagnes de l’Atlas saharien, à la terre stérile, où l’hiver se sentait plus durement encore. Quasiment aucune végétation, aucun village. Seules quelques oasis apportaient de quoi s’abreuver.
Le printemps approchait, lorsque la troupe traversa les collines verdoyantes de la région du Rif, aux collines couvertes d’oliviers. L’eau ne manquait plus, de douces pluies arrosaient la région, laissant çà et là, de légères brumes s’emparer des lieux. Trois mois s’étaient écoulés depuis leur départ, et Tanja se rapprochait.
Tout au long du voyage, les paysages les avaient enchantées. Layinah, oiseau sorti de sa cage, respirait le bonheur. Cette longue escapade lui permettait de voir enfin les merveilles de son pays. Elle partageait cette joie avec Opale et ses amies, ne manquant pas de commenter ce qu’elle voyait. Elles garderaient, toutes les quatre, ces images dans le cœur.
Le soir, les activités ne manquaient pas : entraînement au combat ou au tir à l’arc, enseignement de la langue d’oïl. Tout ceci semble bien studieux, mais il me faut vous préciser que le travail tournait bien souvent au rire et que la bonne humeur l’emportait toujours. À l’arrivée de la nuit, Ellanore ne manquait pas de les régaler de sa musique ou Opale de ses contes. D’autres fois, les jeux de table emportés par Layinah dans sa fuite les distrayait un instant.
Ce soir-là, alors que les ombres combattues par les joyeuses flammes s’avançaient, Ellanore avait sorti son Luth et jouait pour Adelaida. Elle s’interrompit.
— Je vais te chanter une ode que j’ai composée en ton honneur.
Elle peaufina son accordage et commença :
Dlouing
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa ! – Sur l’air de “Mexico, mexiiiiiiiiiiicooooo… ”
Cette dernière éclata de rire.
— Hum. Il faut que je me chauffe la voix. Aaaaaa, aaaadé, aaaa Hum, hum. Je recommence.
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa !
« Tou es belle comme ouna papaillaaaa !
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa !
« Quand tou danses, c’est toyours merveillossaaaaa !
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa !
« Tes yeux sont doux comme le mielle des abeillaaaaas !
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa !
« Ta peau sent bon comme le yasmiiiiiinaaaaa !
La muse, le sourire aux lèvres s’agenouilla près de la chanteuse qui se délesta de son instrument..
— Yaime bien quand tou mé taquine !
Sa main se leva et effleura la joue d’Ellanore, leur regards s’entremêlèrent.
— Yé crois qué… yé envie de t’embrasser. Tou serais d’accord ?
Ellanore soupira.
— Tu es sûre ? C’est que…
— C’est que quoi ? Tou en as envie ou non ? Yé lé lit dans ton regard.
— Oui, j’en ai envie. Mais… c’est pas comme une fille que je rencontre et auf viedersehen, je veux dire, au revoir. On est dans la même équipe, on va se revoir après.
— Té complique pas la vie ma belle. Souffit de te dire si tou en as envie ou non. Moi yen ai envie. Ce soir. Peut-être que demain, ça sera pas pareil. Souis marin, oune femme dans chaque pouerto. Yé l’habitoude.
— Et moi je suis, trouvère, une femme ou un homme dans chaque château. Et tu crois qu’après ça on pourrait rester amies, au cas où ?
— Souis soure qu’on pourra.
Les battements de cœur d’Ellanore s’étaient brusquement accélérés. Elle tenta de contenir sa respiration.
— C’est d’accord. Pour ce soir.
Leurs visages se rapprochèrent, les bras puissants de l’Ibère enserrèrent Ellanore. Elle lui donna avec légèreté un petit baiser, puis un autre, plus appuyé, le troisième se fit profond, plus long aussi, plus passionné. Puis les lèvres se séparèrent.
— Tou dois trouver oune phrasé para mis besos maintenant dans ta chanson.
— Oui tu as raison.
Elle lui murmura alors à l’oreille :
« Adéla, Adélaiiii-idaaaaa !
« Tous besos ont le goût de la passionaaaataaaa !
Elles se serrèrent dans les bras et s’embrassèrent à nouveau, plus fort encore. Mais nous les laisserons là et irons voir ce qui se passait sous la tente.
Layinah refermait en riant la petite ouverture par laquelle elle avait regardé observé la scène.
— [Elles s’embrassent !] chuchota-t-elle.
— Laisse-moi voir !
Opale parlait le plus possible en langue d’oïl pour entraîner sa princesse à cet exercice. Elle risqua son œil dans l’ouverture, par-dessus l’épaule.
— Oh, elles ne font pas semblant !
— Ouh ! Là ! Là !
Elles refermèrent la toile, émoustillées par ce qu’elles venaient de voir.
— [Opale. Elle disait… dans chaque château, tu as entendu… Et toi tu as déjà…]
La comtesse prit une grande respiration. Elle devait dire à Layinah qu’elle n’était pas la première non plus. Comme pour leurs amies, l’honnêteté primait.
— (Je dois t’avouer quelque chose. Il y avait… de l’autre côté de la mer… une Naïade. Je ne t’apprends pas ce que c’est, tu es assez savante pour cela. Elle m’a… comme on pourrait dire, ensorcelée. Je n’étais plus maîtresse de moi-même.)
Elle prononça cette longue tirade en latin pour être sûre d’être comprise.
— [Et… qu’est-ce qu’elle t’a fait ?]
— Tout.
— Tout ! [Tu veux dire… ?]
— (Tout ce que l’on peut imaginer que deux femmes amoureuses pourraient faire. Mais je n’étais pas amoureuse, mon corps voulait, mais mon esprit non.)
Un sanglot s’échappa de la gorge de Layinah, une goutte humide s’écoula de ses beaux yeux. Opale senti la culpabilité l’envahir. Peut-être aurait-elle pu résister ce jour là, enfin peut-être. En réalité certainement pas.
— (Je suis désolée… je voulais me réserver pour toi… elle ne m’a pas laissé le choix. Ensuite, elle se moquait, puis le lendemain, elle recommençait. Impossible à arrêter !)
Désormais, les larmes coulaient sur les joues d’Opale également.
— Tu m’en veux ?
Layinah se retourna brusquement pour faire face à la comtesse et l’entoura désespérément de ses bras. Elle y déversa son chagrin. Au bout d’un moment, elle reprit :
— [Non. Tu étais victime.]
Puis des larmes, un rire clair jaillit.
— [Puisque c’est ça…] Tu me montreras.
Elles s’enlacèrent, leurs lèvres se rencontrèrent, la passion s’en mêla et Opale lui montra ce qu’Ellanore et Adelaida étaient parties chercher, plus loin, cachées derrière les arbres.
L’aube les trouva toutes les quatre dans la tente, chaque couple ravi de sa nuit. Les deux plus grandes par la taille s’étaient vite levées, avant de se dire qu’elles voulaient bien, cette journée encore, choisir leur compagnie mutuelle.
— Mein Gott ! Si ça se trouve je vais encore te choisir demain !
— On va prendre des mauvaises habitoudes ! ! Caramba !
La comtesse de Montbrumeux conserva encore un instant son amour auprès d’elle. Quand elles se furent bien étirées, et après quelques baisers, Opale posa sa question :
— (Ta grand-mère disait que tu ramenais toutes les chrétiennes que tu rencontrais, c’est vrais ?).
— [Oui, chaque fois je me demandais si ça pouvait être toi. Mais après leur avoir parlé, mon cœur se disait que non. Quand je t’ai vu, j’ai su.]
Opale laissa son rire s’épanouir.
— C’est drôle, ça a été la même chose pour moi. Mise à par avec cette… créature. Si je la retrouve je la passe par le fil de l’épée.
— [Tu ne le feras pas, je t’aurai devancée !]
— Je me rabattrai sur sa copine qui se moquait avec elle, je crois qu’elle a été encore pire…
— [Tu dis ça parce qu’elle ne t’a rien fait…] pouffa Layinah
— Dis pas ça, je t’en prie. Oublions-les…
— Les mauvaises !
Elle tendit ses lèvres qui reçurent la récompense désirée.
*
Un instant plus tard, le camp était levé et le voyage reprenait. Toutes avaient le sourire aux lèvres. Les gardes et Hakim ne semblaient pas s’en préoccuper. La matinée se passait bien, lorsque du haut d’une colline, les premières maisons d’une cité plus vastes apparurent à l’horizon.
Quand elles parvinrent au-dessus de la suivante, la caravane se trouva nez à nez avec huit hommes dont le premier portait la livrée sultan d’El-Djazaïr.
Au moment où l’homme de tête reconnaissait la princesse par un « C’est elle ! » Opale avait dégainé et frappé l’homme au torse, il mordit la poussière. Dans le même temps Adelaida entaillait profondément le bras de celui qui se trouvait à sa droite d’un coup de sable, tandis qu’Ellanore assommait celui de gauche de son bâton lesté. Ce fut bref et violent. À cinq contre neuf, les ennemis en sous-nombre se firent rapidement déborder, encercler et tombèrent sous les coups de nos amies et leur escorte.
Au sol, les blessés s’égaillaient dans les bois.
L’un des gardes d’Hakim, était blessé au bras, un autre à la jambe. La comtesse observa les lieux.
— [Il me semble que ton père a gagné huit dromadaires dans cette affaire, Hakim. Ils valent bien les seize pièces d’or que l’on vous doit encore].
— [Pour les dromadaires, c’est moitié-moitié, et j’ai deux hommes blessés. Donne-moi dix et nous sommes quittes.]
—[Vendu.]
Opale sourit. Elle n’avait marchandé que pour s’amuser.
— Tu vois, j’apprends, lança-t-elle à l’adresse d’Adelaida.
— Sour qué tou pouvais tirer plous, mais c’est oune début. Tou aurais dou dire qué les blessoures font partie dou risque et qu’ils ont été lents. Mais tou as été yentille, c’est bien.
La caravane repartit, il leur fallut encore parcourir un chemin assez long avant d’atteindre la ville. Là, les dames payèrent leurs guides dont la préoccupation suivante serait de faire du commerce, puis elles partirent à la recherche d’un pêcheur qui accepterait de les faire traverser.
Le départ eu lieu le lendemain.
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