1.18 - Pétronille

8 minutes de lecture

Après un long périple, les montagnes du Jura apparurent à leurs yeux. Elles avaient traversé les Pyrénées, puis avaient obliqué vers la vallée du Rhône et avaient suivi le fleuve, puis les rivières vers le Nord.

Opale et Ellanore en profitèrent pour revoir des connaissances rencontrées à l’aller. Globalement, l’action menée par les deux camarades s’était montrée positive et cette perspective, ainsi que la gratitude des gens, leur réchauffait le cœur. Elles avaient pu constater que certaines des aides fournies avaient porté des fruits, mais d’autres non.

Typiquement, les aides purement financières, utiles sur le moment, ne montraient qu’un succès limité. Il faudrait tenir compte de ces résultats dans leurs futures activités chevaleresques.

La vue des premières collines jurassiennes faisaient la joie d’Ellanore. Un peu plus abruptes que les Vosges, elles lui rappelaient tout de même ces paysages chéris. Elle y retrouvait des odeurs, des couleurs, une faune et une flore assez proches. Elle donnait avec précision le nom des petits animaux rencontrés, celui des oiseaux dont elle reconnaissait le chant. Si Opale en connaissait déjà une partie, Adelaida et Layinah écoutaient, découvraient et s’émerveillaient.

Opale se remémorait l’année précédente où elle avait traversé les mêmes lieux, en été, pratiquement poussée par Ellanore qui trouvait son allure lente et elle, qui crachait ses poumons à chaque montée. Cette époque lui semblait déjà lointaine et désormais, elle s’en souvenait le sourire aux lèvres, songeant que physiquement, elle avait bien changé, mais pas seulement physiquement. Toutes les rencontres qu’elle avait faites, les injustices réparées… et l’amour rencontré. Désormais elle se sentait, bien plus qu’à son départ, une femme accomplie.

Tout à coup, des cris retentirent. Le chemin qui obliquait vers la droite ne leur permettait pas de voir ce qui se produisait, mais des bruits de combat parvenaient à leurs oreilles. Opale, Ellanore et Adelaida s’emparèrent chacune de leur arme de contact et se mirent à courir. Layinah sortit son arbalète, tendit la corde, prit un carreau en main et les suivit.

Trois roulottes à la file, tirés par des bœufs, se tenaient en travers au milieu du chemin. Des hommes bardés de fer, épée à la main, tournaient le dos au convoi. Derrière les guerriers, trois hommes, drapés dans des chemises colorées, leur prêtait main forte, frappant l’assaillant de leur mieux. C’est-à-dire : assez mal.

Ils ferraillaient avec acharnement contre des combattants équipés de manière hétéroclite. Si la plupart n’étaient armés que de solides gourdins et d’une armure en cuir, l’un d’entre eux, portait haubert et maniait une épée, deux autres cognaient efficacement avec une petite masse d’arme à ailettes.

Les défenseurs des roulottes étaient onze en tout, un soldat était au sol. Les attaquants étaient bien plus nombreux, et malgré deux blessés hors de combat, ils tenaient un avantage stratégique certain.

Layinah s’accroupit, installa un carreau sur son arbalète, mit un genou à terre pour plus de stabilité, visa le bandit vêtu de mailles et tira. L’homme s’effondra.

— [Je l’ai eu ! Je l’ai eu !], criait-elle en sautant sur place.

Au même moment, ses trois comparses fondaient sur les bandits.

— À l’assaut ! crièrent Opale et Ellanore arrivant sur leurs ennemis.

— ¡ Al abordaje ! hurlait Adelaida.

Surpris, ceux qui étaient visés eurent à peine le temps de se retourner avant de subir les coups des trois furies. Opale avec son épée, Ellanore avec son bâton, Adelaida au sabre. Layinah vint les rejoindre ensuite, mais Opale devait batailler deux fois plus afin de la protéger.

Leur arrivée provoqua un tournant radical dans la bataille. Pris entre deux feux, les brigands durent se séparer en deux groupes, ce qui n’empêcha pas le combat de se révéler âpre. Bien que les assaillants virent rapidement leur nombre diminuer, plusieurs soldats tombèrent encore.

Enfin, les derniers bandits fuirent dans les fourrés et l’on put souffler. Les guerriers survivants firent des prisonniers, tandis que les marchands, venaient remercier celles étaient venues à leur secours. Le capitaine leur serra la main chaleureusement.

— Si on ne vous avait pas intervenues, je ne sais pas si l’on s’en sortait.

Mais le regard d’Opale fut attiré par un mouvement dans les fourrés. Elle tourna la tête aux réjouissances et s’avança. Oui, c’était bien cela, une croupe de cheval dépassait de derrière un buisson. Une robe pie… ces taches… leur répartition… elle se mit à courir.

Mais oui ! Clythia !

— Clythia ? C’est toi ?

La jument était attachée à un arbre, elle s’empressa de la libérer. Puis de joie Opale tressauta, rit, lui cria des : « Ma chérie » et lui sauta au cou.

— Clythia, je n’y crois pas !

Une main se posa sur l’épaule de la comtesse.

— Hé ! Je vais être jalouse ! fit une voix rieuse.

Elle se tourna et se jeta dans les bras de Layinah.

— C’est mon cheval ! C’est Clythia ! Je ne pensais jamais la revoir !

Opale embrassa son amour fougueusement, mais un naseau insistant vint lui frotter le dos. Le rire s’empara alors d’elles. Opale se retourna pour caresser le noble animal ; Layinah flatta son encolure.

— Je la trouve amaigrie… on s’est mal occupé de toi. Viens, maintenant que je t’ai retrouvée, on ne se quitte plus !

Elle n’eut pas à s’emparer de la longe : Clythia la suivait. Alors qu’elles apparaissaient toutes trois sur le chemin, elle vit Ellanore qui jubilait au milieu de la route. D’une main elle brandissait son magnifique bourdon de buis à l’orbe d’acier.

— Gottverdammt ! Mon bâton ! J’ai retrouvé mon bâton !

— Et moi ma jument ! Regarde comme elle est belle, tu ne l’avais jamais vue !

— Oh, c’est pour elle que tu pleurais lorsqu’on s’est rencontrées. Voyant votre complicité, je comprends maintenant.

Des yeux, opale parcourut le champ de bataille.

— Mais ce sont les petites masses que m’avait offertes ma mère… Regarde, ici il y a notre sceau.

Elle les ramassa à côté d’un cadavre.

— Ce qui veut dire que les deux salopards qui nous ont agressés l’année dernière sont là-dedans !

— Mais celui-là regarde, c’est ma cotte de mailles qu’il porte.

Elle jeta un regard noir à Layinah :

— Dis donc, tu as fait un trou dans MON haubert.

Pour la dédouaner elle lui fit un clin d’œil.

— Je blague ! N’empêche que je vais la récupérer. Aide-moi, toi qui es si douée pour détériorer mes affaires.

Tout cela se déroulait sous le regard médusé des marchands et de leurs hommes d’armes tout autant hagards.

Le capitaine, qui cherchait à communiquer se rendit vers la seule qui agissait selon lui, normalement : Adelaida.

— Nous ne sommes plus très nombreux pour escorter ces marchands. Accepteriez-vous de nous accompagner, nous nous rendons à la seigneurie de Sautdebiche, il y a un marché.

— No sé. Souis pas dou pays. Ella ?

Ellanore leva la tête de son bâton adoré.

— Sûre qu’on peut adapter une lame dessus…

— Hé, se serait mignon ! Le capitán, il veut savoir si on va à… saut-dé-la-biche, c’est ça ?

— Sautdebiche. Je paye.

— Ach ja ! On y passe, on peut vous accompagner. Il y a quelqu’un que l’on veut y visiter.

*

Le soir venu, des tentes furent sorties des chariot et une femme, que nos aventurières n’avaient pas encore remarquée sortit de l’un d’entre eux. Elle avisa les différents groupes qui s’activaient à préparer le feu et choisit de se joindre à celui de nos quatre amies.

— Ça ne vous dérange pas si je viens près de vous ?

Elle s’était exprimé d’un ton timide, presque effacé.

Devant les sourires qui l’accueillirent, elle se détendit un peu.

— Désolée, avec ce qui m’est arrivé je suis devenue méfiante envers les hommes.

— Mais assoyez-vous ! Opale de Montbrumeux, pour vous servir.

Chacune leur tour elles se présentèrent brièvement.

— Je suis Pétronille.

Elle s’assit.

Ellanore prit la parole :

— On comprend que vous soyez secouée après cette attaque. Ça a été vraiment violent.

— Non ce n’est pas ça, enfin… pas seulement.

— Des difficultés dans votre vie… tenta Opale.

— Mon mari était un homme violent qui buvait… je me suis sauvée avec les marchands. Je pensais être tranquille.

— Vous parlez de votre mari au passé… releva Opale.

Pétronille tourna la tête.

— Pas grave si tou veux pas dire, on demande rien.

— Vous voulez manger avec nous ? s’enquit Layinah.

— Je ne voudrais pas vous déranger…

— Nous avons la nourritoure. Pas dé problème.

Elles commencèrent à sortir les affaires de leurs sacs, comme chaque soir de bivouac et mirent le repas à chauffer.

Pétronille ne semblait pas tranquille. Opale et Layinah s’installèrent autour d’elle afin d’essayer de l’amener à se confier. Adelaida répartit les portions de nourriture, et chacune commença son repas. Pétronille mangeait du bout des lèvres.

— Ça n’a pas l’air d’aller pour vous, madame… s’avança la comtesse.

— C’est que… j’ai peur. Si on me recherche…

La princesse prit le relais :

— Mais pourquoi on vous chercherait ?

— Bien… mon mari… il est mort. Quand quelqu’un le trouvera… il pourrait croire que c’est de ma faute.

Opale échangea un regard visuel avec chacune. Tout le monde avait compris, personne ne condamnait :

— Ah, c’est donc pour cela que vous employiez le passé. Écoutez, Pétronille, avec les gars que l’on a saucissonnés et que les autorités auront à pendre dans les prochains jours, ils vont avoir de l’occupation. Votre cas ne sera peut-être pas remarqué.

Les paroles d’Opale soulagèrent Pétronille, les regards rassurants de ses comparses achevèrent le travail.

— C’était lui ou moi… se justifia-t-elle sans qu’on lui ait demandé.

— Vous n’avez pas besoin de nous donner les détails, nous avons compris.

— Merci… merci… mais, si vous le voulez bien, j’ai besoin de raconter mon histoire. J’ai tout gardé pour moi. Il faut que ça sorte.

En face d’elle, Ellanore lui dévoila le sourire le plus simple du monde.

— On vous écoute.

— Il est entré, enragé dans la maison, une hache à la main. Quand j’ai croisé son regard de malade, j’ai su qu’il voulait en finir avec moi. J’ai esquivé le premier coup qui s’est planté dans le mur. Il a repris son outil et a frappé une deuxième fois, dans le plancher. Pendant qu’il la récupérait je l’ai poussé des deux mains. Il a trébuché et tombé au sol. J’ai ramassé la hache et je lui ai planté dans le dos. Ensuite j’ai claqué la porte de la maison et je suis partie sur la route en courant droit devant moi. Ça fait plusieurs jours que je marche, j’ai rencontré ces gens-là ce matin. Bien sûr, je n’ai rien dit, j’ai juste demandé qu’on m’accompagne jusqu’à la ville suivante.

Devant une telle déclaration, personne ne savait plus quoi dire.

— Même s’il était en état de faiblesse lorsque vous avez frappé, il ne vous aurait pas laissé une deuxième chance de vous en tirer. Vous avez bien fait. Je dois aussi vous avouer que j’ai fait la même chose à un homme qui m’agressait.

Ellanore soupira :

— Oui, on était deux ce soir-là, ils étaient trois. Ils ont volé nos affaires et voulaient nous prendre… plus. C’était il y a un peu plus d’un an, à quelques jours de marche d’ici. Dans l’embuscade ce matin, nous avons retrouvé les affaires dérobées. Il y avait probablement, dans ces bandits un ou deux de nos agresseurs. Je n’arrive toujours pas à y croire.

Opale opina du chef :

— Quelle coïncidence en effet. Ceci pour vous dire, Pétronille. Qui serions-nous pour vous juger ?

Pétronille regarda autour d’elle et ne vit que des sourires accueillants.

— Tou peu dormir dans la tente avec nous.

— Bienvenue, entérina Layinah.

— Merci pour votre accueil… Vraiment. Pour vous remercier, je ferai la cuisine. Lorsque j’étais enfant, mes parents tenaient une auberge.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Haldur d'Hystrial ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0