1.19 - Sautdebiche

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Le lendemain, la compagnie se mit en route, Clythia portait gentiment les bagages et marchait au milieu du groupe de femmes. Les chariots, devant elles progressaient lentement. Au soir, le convoi parvint au le village de la seigneurie de Sautdebiche. Laissant de côté les marchands, elles se dirigèrent vers une bâtisse aux allures cossues. Une enseigne représentant un luth ornait l’entrée. À côté trônait une cloche qu’Ellanore sonna avec entrain.

— J’aime bien, c’est amusant !

Dame Edmonde leur ouvrit la porte. Voyant Opale et Ellanore, elle les accueillit les bras ouverts. La Dame de Monfaucon avait bien changé. D’un sourire usé et fatigué, il rayonnait désormais. Elle fit entrer le petit groupe dans l’atelier.

— Je suis tellement heureuse de vous revoir. C’est grâce à vous si je suis ici aujourd’hui.

L’odeur du bois emplissait les lieux. Des instruments délaissés pour la nuit attendaient les soins des travailleurs désormais fatigués : une vielle à archet dont l’assemblage n’était pas fini, une harpe à la structure ornementale incomplète, une lyre blessée aux réparations en suspens…

Ellanore la première parcourait les établis, admirative du travail réalisé.

— Je pourrais vous confier mon luth ? Il a souffert pendant ce voyage. Sa valeur sentimentale tant que musicale m’importe beaucoup. Il me vient de mon grand-père partit trop tôt, le seul membre de ma famille qui m’ait jamais compris.

— Mais avec plaisir, il sera traité avec douceur. Nous verrons cela demain si vous le voulez bien. Suivez-moi ! Vous devez avoir faim.

Au fond de la salle à vivre, prisonnier de l’âtre, un chaudron bien portant enchaîné à la crémaillère se dorait à la chaleur des bûches enflammées. Autour d’une solide table, les enfants, assiette remplie, avalaient leur potage dans lequel trempait de généreuses portions de lard.

Dame Edmonde chercha cinq récipients supplémentaires dans un placard. Munie d’une louche, elle les remplit un à un avant de les tendre à chacune de ses invitées.

— Lorsque vous aurez fini votre repas les enfants, vous préparerez des paillasses pour ces dames, je vous prie.

Le repas fut bref. Les voyageuses sentaient la fatigue les envahir, et le sommeil vint les cueillir. Le lendemain Ellanore confia son instrument à des mains qui sauraient le bichonner. Edmonde lui offrit le prix des réparations, considérant inestimable la valeur du service rendu l’année précédente.

La journée fut agréable. Ellanore tint promesse auprès d’Adelaida : elle l’emmena chercher des pommes. Le soir elles prépareraient une grande marmite de compote pour que chacun en profite. Layinah se proposa de les suivre, elle aussi voulait prendre part à la cueillette du fruit tant vanté par la trouvère. Opale concocta un conte pour amuser les enfants au soir. Edmonde se chargea de faire courir le bruit au village que des réjouissances auraient lieu. Enfin, Pétronille concocta un merveilleux repas pour le milieu de la journée.

Ellanore souhaitait participer au spectacle avec un instrument. Le sien n’était pas prêt mais Dame Edmonde en en fournit un autre. Le lendemain lui rendrait le sien beau comme au premier jour.

À la tombée de la nuit, on alluma un feu en place centrale. Le public arrivait de toutes les maisons, enfants, jeunes, adultes et quelques vieux. Imaginez-vous que le spectacle vivant était, à l’époque, la seule source de divertissement.

Les deux artistes s’installèrent pour la représentation. La comtesse, pour impressionner, s’était couverte de son haubert, avait ceint son épée et accroché ses petites masses à la ceinture. Au milieu d’une musique aux accents tragiques jouée par Ellanore, la conteuse fit son apparition sur scène.

L’histoire traitait d’une pauvre paysanne, devenue veuve, devant supporter la tyrannie de son seigneur. Ce dernier, pingre comme l’avarice personnifiée, la faisait travailler et suer dans les champs, l’accablait d’impôts si bien que la pauvre devint malade. Heureusement, une chevaleresse passait dans le pays et à coups adroits de ses bottes, jeta le fâcheux dans les douves de son château d’où il ressortit plein de boue et la mine bien contrite.

Layinah et Adelaida apparaissaient tantôt. La première jouait le rôle de la pauvre paysanne, et la deuxième mimait les actions du seigneur.

Enfants et parents rirent tout leur saoul. À la fin de la représentation, les enfants voulaient voir les artistes de près, admirer la tenue d’Opale ou l’arbalète de Layinah. Pendant ce temps, Ellanore badinait auprès d’un jeune homme qu’elle avait remarqué pendant la représentation et Adelaida cherchait la compagnie agréable d’une jeune fille. Je ne peux vous dire comment, mais chacune finit par disparaître mystérieusement, chacune de son côté.

Quand la foule se dispersa, deux gamines restaient au milieu de la place, les yeux ébahis, devant l’attirail guerrier. Elles s’approchèrent.

— Dame conteuse, je veux être habillée comme vous quand je serai grande, commença la petite fille aux cheveux noirs. Je peux voir votre épée ?

Opale sortit son arme et lui montra.

— Si j’avais une belle épée comme toi, je serais forte et je taperais les garçons qui courtiseraient Manon. Comme ça, il ne resterait plus personne pour l’épouser et on se marierait ensemble.

— Oui, je laisserais tomber mon mouchoir et tu me le ramasserais ! Tu serais la chevaleresse et moi la belle dame !

Ces deux-là promettent.

La comtesse et la princesse riaient de toutes leurs dents devant les deux combattantes en herbe.

— Et vous vous appelez comment ?

— Isabelle. Isabelle de Sautdebiche. Mon papa il est chevalier, mais il ne joue pas avec les épées, c’est bien ennuyeux.

— Moi c’est Manon, j’ai pas de papa, mais ma maman, c’est elle qui s’occupe de nous deux.

Layinah posa son arbalète au sol pour la montrer aux enfants.

— Manon, regarde ce que j’ai, moi, peut-être que ça te plairait ! Nous allons planter un carreau dans le grand arbre.

— C’est quoi un carreau ?

— Comme une flèche, mais pour ces appareils-là.

Devant la petite fille aux yeux brillants, elle fit sa démonstration et un carreau se planta profondément dans le tronc.

— Viens maintenant on va le récupérer, tu voudras essayer ?

Les deux petites filles firent leur essai et atteignirent leur cible. Une habitante des lieux sortit de la pénombre et s’avança.

— Zavez ben joué, maint’nant, c’est l’temps d’rentrer les ptites.

— Bien maman Agnès.

— Oui m’man.

— Vous les escus’rez mes bonnes dames. Les pt’ites bougent beaucoup, mais zont un bon fond.

— Ne vous en faites pas, elles sont toutes mignonnes, et si on peut nourrir leur imaginaire, c’est notre bonheur.

— Bonnes petites, flatta Layinah en tapotant la tête des deux gamines.

— Je compte sur vous, pour devenir de grandes chevaleresses, termina Opale.

Les gamines déguerpirent et l’heure de la dégustation de compote arriva, faisant revenir Ellanore et Adelaida dans la demeure des luthiers. Rien à redire : la préparation d’Ellanore était parfaite et la compagnie se régala. Chacun en reprit jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Même Pétronille félicita la cuisinière.

— Promesse tenoue, yapprécie ton fruit préféré.

— Ach ja ! Tu sais, on peut faire du strudel, des tartes ou encore les croquer crues !

— Pressée de goûter ces choses, tou dois couisiner.

Au matin, alors que Dame Edmonde parachevait les dernières réparations du Luth d’Ellanore, les cinq voyageuses s’apprêtaient au départ. La comtesse accompagna Pétronille faire des provisions pour quelques jours de voyage. Quelques heures plus tard, l’instrument était prêt. Opale lança une dernière recommandation à Edmonde :

— Si jamais, vous avez un problème. Si vous détectez des soucis en ce qui concerne d’autres femmes. Envoyez un messager au comté de Montbrumeux. Je m’efforcerai de venir au plus tôt ou d’envoyer quelqu’un. Gardez un œil aussi sur les deux petites d’hier soir ! On sait jamais, peut-être feraient-elles de bonnes recrues !

Edmonde les remercia encore pour l’avoir aidée l’année précédente, et leur assura qu’elles trouveraient toujours chez elle, un bon accueil.


*


Deux jours plus tard, alors qu’elles parvenaient au niveau d’un col d’une montagne, elles découvrirent une bâtisse fortifiée. Trop petite pour un château, trop grande pour une simple habitation. Peut-être avait-elle été construite afin de protéger une seigneurie proche. La nuit approchait, et c’était le seul endroit des lieues à la ronde pour passer la nuit.

Étrangement il n’y avait personne sur les remparts, nos héroïnes s’époumonèrent mais personne ne se manifesta. Quelques minutes plus tard, Adelaida montait sur le chemin de ronde, redescendait et levait la herse. L’équipe entra. Il y avait des écuries, mais vides. Pas de fourrage pour Clythia qui dut paître dehors. Une grande porte donnait l’accès à un bâtiment, elle n’était pas fermée. Opale et Layinah tirèrent le vantail afin de l’ouvrir complètement.

— Eh oh !

Aucune réponse.

Pétronille, sur le pas de la porte, observait. Opale et Layinah, la main dans la main firent quelques pas, puis s’arrêtèrent, promenant leur regard alentour. Il y avait quelques tables et chaises, le tout en bon ordre. Les lieux auraient été vidés de leur propriétaire et n’auraient pas été réutilisés depuis. Pourquoi ? Comment ? Elles n’en avaient aucune idée.

Il y avait du bois, une imposante cheminée. Sous l’œil de sa compagne, la comtesse s’empara de quelques bûches et de petit bois qu’elle entassa savamment dans l’âtre et commença, avec sa pierre à feu, à l’allumer.

Ellanore examina le mobilier, puis trouvant une trappe, descendit à la cave, où des tonneaux étaient alignés. Elle ouvrit tourna la vanne d’un robinet afin d’obtenir un goutte-à-goutte, en laissa couler quelques-unes sur son doigt et le porta à sa bouche. L’aigreur du breuvage lui provoqua des frissons le long de l’échine. Elle referma rapidement.

Adelaida monta à l’étage, y trouva des chambres vides avec de vrais lits et des armoires, le tout, respirant l’abandon. Poussiéreux. Personne n’y avait récemment passé la nuit.

Pétronille inspecta le rez-de-chaussée et finit par trouver de belles cuisines. Elle revint dans la pièce principale où Opale parvenait enfin à obtenir une petite flambée. Layinah l’aidait à souffler pour l’attiser. Évidemment elle souffla trop fort et elle se prit un retour de fumée qui l’obligea à retirer son visage. Layinah prit le relais avec une planche trouvée sur le côté.

— J’aime cet endroit, affirma la cuisinière : il y a de l’espace pour travailler. Laissez-moi vous préparer quelque chose de pour la soirée. J’ai trouvé du bon fromage à Sautdebiche, je pourrais en faire fondre pour préparer une spécialité du coin.

Chacune mis la main à la pâte, il ne manquait pas de tâches. Faire du feu, préparer une table, des lits, nettoyer un peu le sol.

Une soirée agréable, des estomacs bien remplis, chacune alla se coucher, satisfaite. Une fois n’était pas coutume, le nombre de pièces à disposition permit à chaque couple de profiter d’une intimité rarement possible ainsi que d’un confort non négligeable.

Au matin, lorsque les aventurières se levèrent, elles trouvèrent Pétronille en pleine effervescence.

— Suivez-moi, j’ai trouvé quelque chose.

Un peu étonnées, elles lui emboîtèrent le pas. Au fond des cuisines, une porte dissimulée donnait l’accès à une autre partie de la bâtisse laquelle était vide également. Elles y trouvèrent une pièce plus petite que la salle principale, ainsi que des chambres à l’étage. Tout y était aussi vide que le reste de la maison fortifiée.

— Vous pensez que les lieux sont réellement abandonnés ? demanda-t-elle aux autres.

— D’après ce que j’ai observé, l’assura Ellanore, c’est certain. La couche de poussière est épaisse, il y a cette odeur un peu rance, et l’on n’a pas vu d’autres traces de pas sur le sol que les nôtres. Les lieux ont été vidés il y a plus d’un an. Pourquoi ?

— Dans ma situation… je pourrais m’y cacher quelques mois. Quand mon histoire sera oubliée. Si rien n’arrive d’ici là, je pourrais y monter une auberge. Il y a probablement du passage, avec ces quatre chemins qui se croisent ici.

Opale de Montbrumeux hocha lentement la tête.

— L’idée est intéressante. Il vous faudra par contre trouver des vivres.

Pétronille souriait de toutes ses dents.

— Merci de vous inquiéter de moi. Je connais bien les forêts et j’y trouverai de quoi manger.

— Vous êtes sûre ? demanda Layinah. Vivre toute seule ? Vous n’avez pas peur ?

Pétronille avait l’air de savoir ce qu’elle faisait. Opale l’assura de son soutien en cas de besoin elle n’aurait qu’à envoyer un messager à Montbrumeux ou contacter Dame Edmonde.

La comtesse avait une idée derrière la tête. Cet endroit semblait intéressant pour les abriter lors d’un voyage éventuel dans la région.

Quand l’astre du jour atteint son apogée quotidien, elles prirent un dernier repas avant de reprendre la route. Ellanore fit part à Adelaida de son désir d’aller passer du temps dans ses montagnes natales avant de se rendre à Montbrumeux au début du printemps. Cette dernière accepta volontiers de la suivre pendant qu’Opale et Layinah se rentreraient chez la comtesse.

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