1.20 - Retour à Montbrumeux

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Un matin, au sortir d’un village où elles avaient passé la nuit. Comme bien souvent dans la région, de lourds nuages survolaient leurs têtes, mais ce qui avait de nouveau pour Layinah, c’est qu’ils déversaient d’étranges particules blanches et froides qui se transformaient en eau au contact avec sa peau. Une épaisse pellicule de la même matière recouvrait le sol. Layinah regarda la comtesse sans comprendre.

— De la neige.

Sous les yeux de la princesse des pays chauds, elle se baissa, en ramassa dans ses mains et constitua une boule compacte. Un air réjoui se dessinait sur sa figure ronde. Lorsqu’elle considéra sa boule comme parfaite, elle avisa sa pauvre compagne et lui lança en pleine figure en riant de toutes ses dents.

— Ah qu’est-ce que tu fais ? C’est froid !

La princesse s’essuyait le visage devant une comtesse hilare.

— C’est un jeu que l’on pratique dès qu’on est mômes ici. Ramasses-en tu vas voir ce n’est pas compliqué. Fais juste attention à ne pas y incorporer de caillou.

Layinah imita Opale, la substance était bien froide à ses mains non habituées. Elle la jeta maladroitement à Opale qui esquiva.

— Eh ! Tu triches !

Quelques instants plus tard, les boules pleuvaient. Les quelques villageois sortis de leurs chaumières s’amusaient de voir deux femmes adultes s’amuser de manière si enfantine. Bientôt, des gamins les rejoignirent et une joyeuse mêlée commença. Les enfants s’en prirent aux deux grandes qui finirent couvertes de neige et mortes de rire.

Quand tout rentra dans l’ordre, elles s’ébrouèrent comme elles le pouvaient et partirent chercher Clythia qui finissait sa nuit dans une grange. Opale acheta à la famille qui les hébergeaient des couvertures épaisses pour protéger la jument.

À partir de là, le chemin devint plus difficile. Si la neige fournissait un moyen excellent de jouer, elle rendait la progression fatigante et plus lente. Clythia se montra d’un grand secours, elles la montèrent ainsi chacune leur tour afin de reposer leurs pauvres jambes. Au tour de Layinah, comme icelle ne savait pas y faire avec les chevaux, Opale les conduisait, tenant l’animal par la longe.

Au soir, aucune habitation n’était en vue. Un arbre leur fournit un abri au sec et Opale parvint au bout d’un temps assez long à allumer un début de feu sous les branches protectrices. L’humidité du bois ne leur facilita pas la tâche : il leur fallut être patientes et persévérantes avant d’obtenir une flambée digne de ce nom. Ensuite, elles réchauffèrent leur nourriture à la flamme et, après avoir mangé, serrées l’une contre l’autre, elles s’entourèrent d’une bonne couche de couvertures. Elles finirent par atteindre un sommeil agité.

Le lendemain matin fut source d’espoir et de soulagement, car soudain, la comtesse tendit son doigt droit devant elles.

— C’est ici.

Au loin, l’on apercevait une anomalie au milieu de la plaine uniforme : les contours d’une colline aux flancs abrupts.

— Si nous nous dépêchons, ce soir nous dormirons au chaud !

La motivation les fit encore accélérer, Clythia offrant toujours sur son dos un point de repos pour l’une d’entre elles. Le soir tombait au début de leur ascension. Parvenues au pont levis, il faisait déjà nuit noire.

— Halte ! Qui va là ? s’entendirent-elles dire.

Un garde approcha des deux silhouettes derrière lesquelles Clythia patientait.

— Je suis Opale de Montbrumeux, et voici Layinah princesse d’une terre lointaine.

Il s’approcha, lanterne à la main pour distinguer son visage.

— La petite comtesse ! s’exclama l’homme d’armes. Pardonnez-moi, avec cette nuit noire je ne vous avais pas reconnue.

Puis il s’inclina profondément devant Layinah.

— Votre… euh… princesse.

Opale riait sous cape regardant l’homme totalement décontenancé par leur apparition soudaine.

— Entrez vite, vos parents, ne vont pas en croire leurs yeux !

— Conduisez Clythia aux écuries, elle mérite un bon repas et un abri au sec.

Le garde les précéda, leur ouvrant les portes, un autre s’occupa du cheval et s’en alla quérir un palefrenier.

— Dame Othalie ! Monseigneur ! Votre fille est de retour !

Il ne fallut pas longtemps avant d’entendre des pas descendre précipitamment. Le comte et la comtesse accourraient. Ils s’arrêtèrent à la moitié des escaliers lorsqu’ils virent aux côtés d’Opale une jeune fille inconnue, puis ils reprirent leur descente à une allure décente pour leur rang.

Layinah se tenait un pas en arrière de sa dulcinée, mais celle-ci la saisit galamment par la main, lui faisant signe de s’avancer. En bas des escaliers Othalie courut prendre sa fille dans ses bras, suivie de près par Berthaud.

— Tu nous présentes ?

Lorsqu’ils relâchèrent leur étreinte, la main d’Opale n’avait pas quitté celle de la princesse.

— Princesse Layinah, fille du sultan d’El-Djazaïr, mes parents : Othalie et Berthaud de Montbrumeux.

Layinah ne savait pas vraiment comment se comporter, mais les sourires chaleureux, l’incitèrent à ne pas user de gestes formels :

— Enchantée !

— Soyez la bienvenue.

— On ne va pas rester à l’entrée, vous devez mourir de faim et de froid ! La cheminée du petit salon est encore allumée, il suffira de rajouter un peu de bois. Nous nous occupons de vous faire préparer tout ce dont vous aurez besoin.

Les parents disparurent pour donner des ordres tandis que la fille de la maison conduisait son invitée dans la pièce indiquée.

— Tu vois, c’est ici que je contais mes histoires aux enfants. Viens t’asseoir. Tu n’as pas mal aux pieds ?

Opale conduisit Layinah jusqu’à une petite table et s’assit en face d’elle.

— Alors ? Comment te sens-tu ?

— Ça va. Tes parents ont l’air gentils. Vous avez de la chance. On ne vous enferme pas, les gens peuvent parler ensemble. Même chez les nobles. D’accord, je vois ça depuis que l’on est en pays chrétien, tu pourrais dire que je devrais être habituée, mais cette fois-ci c’est là où je vais habiter, on est chez toi, c’est plus important. Je suis contente… je crois.

Opale se leva, fit le tour de la table et lui posa les mais sur les épaules, la massant légèrement.

— Si tu es contente, moi aussi. Puis, on ne restera pas toujours coincées ici, mais l’hiver, je serai toujours heureuse de m’y réfugier. Avec un bon feu de bois qui crépite à côté de nous, c’est bon pour le moral.

Elle se pencha en avant, et embrassa Layinah sur la joue. Celle-ci tourna la tête, leurs lèvres se joignirent un instant.

— Je t’aime Layi.

Elle passa ses bras autour d’elle, Layinah prit ses mains.

— Moi aussi je t’aime. Nous serons heureuses toutes les deux.

La porte s’ouvrit, interrompant ce moment de bonheur, mais annonçant un autre type de réjouissances. Une servante, les bras chargés de nourriture, passa la porte.

— Hedwige ! Viens t’asseoir avec nous !

— Mais, mademoiselle, je ne peux pas, je suis en service.

— Je t’en relève, viens t’asseoir ! Layinah je te présente la meilleure amie que j’aie ici.

Opale rejoignit sa place, Hedwige déposa son plateau. Layinah regarda la servante d’un air déconcerté.

— Assieds-toi donc un instant, nous ne nous sommes pas vues pendant presque deux ans !

Elle finit par écouter et s’assit.

— Alors raconte-moi, ton Gauthier, alors ?

— Nous sommes mariés !

Layinah poussa un soupir de soulagement. Opale la regarda et secoua la tête.

— Tu n’as pas à t’inquiéter, tu es la seule que j’aime. Il n’y a aucune ambiguïté.

Opale retourna à Hedwige :

— Alors tu es au service de mes parents ? C’est bien, mais tu mérites une meilleure place. Tu étais une des meilleures en calcul. Je veillerai à ce que tu obtiennes mieux. Même si ça doit prendre du temps.

— Tu as toujours été bonne avec moi…

— Tu étais ma seule et meilleure amie, je te dois bien cela.

La silhouette des parents d’Opale se découpait maintenant dans l’embrasure de la porte.

— Je vous laisse en famille !

Hedwige se leva et fit un petit geste d’au revoir en direction d’Opale ; les maîtres de la maison firent leur entrée.

— Vous acceptez les vieux ?

Opale désigna les chaises vides ; Layinah sourit.

— J’ai beaucoup prié, commença Othalie. Chaque jour je me demandais si je reverrais ma petite fille.

— Tu as aussi beaucoup pleuré, ajouta Berthaud. Pour être honnête, moi aussi. Tu nous as manqué !

Ils avaient le sourire en coin, mais la larme à l’œil.

— Mais te revoilà enfin, continua la Dame, et… j’ai l’impression que ta quête n’a pas été vaine.

Ses yeux se tournèrent dans la direction de Layinah, son sourire s’étendit.

— Vous n’avez pas eu peur de notre petite comtesse, princesse ? demanda Berthaud sur le ton de la plaisanterie.

Layinah baissa les yeux, ses joues rosirent légèrement, mais elle se ressaisit et releva la tête :

— Elle n’est pas si effrayante. De premier abord, mais quand vous la connaissez mieux, elle devient terrifiante ! La nuit… elle se transforme !

La tablée s’esclaffa à cette sortie. La belle fille avait marqué des points.

— Vous racontez bien ! s’exclama Berthaud.

— Je suis allée à bonne école !

— Père, vous pouvez appeler Layinah par son prénom, ce sera plus simple, et elle se sentira mieux. Après tout, elle sera comme mon épouse.

Othalie posa sa main sur celle de Layinah.

— Puisqu’Opale vous a choisi. Nous serons avec vous comme avec notre propre fille. Laissez-nous juste le temps de mieux vous connaître.

Touchée par cette attention, la princesse laissa couler une larme.

— Merci Dame Othalie, et vous aussi Monseigneur Berthaud.

— Vous… n’avez pas trop souffert de votre départ ? Vos parents ne vous manquent pas ?

Layinah soupira, et sourit à son interlocutrice.

— En réalité, je suis soulagée d’être partie. La vie dans un harem n’est pas celle que je souhaitais. Ma mère n’était pas aimante, et mon père, je ne l’ai croisé qu’à l’occasion. Le peut que j’ai vu de votre famille est beaucoup plus chaleureux que ce que je n’ai jamais vécu.

Elle se mit à pleurer amèrement, Opale vint à elle pour la consoler, les parents d’Opale s’apprêtèrent à prendre congé.

— Euh avant de partir pour les chambres, tenta Berthaud, nous avons demandé…

— Tout va bien, le coupa Opale, je vais lui montrer où elle peut mettre ses affaires dans ma chambre, il y a la place !

La réplique était sans équivoque, même si Berthaud avait prévu une autre chambre.

— Ah euh… bien.

— Vous savez père. Nous avons voyagé quasiment un an ensemble. Dehors, sous une tente ou dans des auberges. J’imagine que vous savez la proximité que l’on peut avoir dans ces conditions. Vous avez parcouru le monde avec mère. Alors ne vous inquiétez pas pour nous.

— Euh… oui bonne nuit, jeunes filles. Un bain vous attend !

Ils prirent congé et lorsqu’elles eurent fini de se rassasier, Opale entraîna sa compagne vers ses quartiers.

— Ils sont vraiment incroyables tes parents !

— Je peux dire que j’ai une chance inouïe, en effet.

Elle ouvrit la porte :

— Après toi, ma Dame.

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