Chapitre 2 - L'aidante
D'un coup, son ventre gargouille. Discrètement d'abord, puis bruyamment. Coup d'œil au téléphone : presque vingt et une heures. La jeune fille soupire, fait la moue puis se laisse rouler sur le bord du lit avant de se mettre sur pieds. Encore une soirée en tête à tête avec mon assiette.
Elle souffle.
Sortie de sa chambre, Maéline évite l’antre maternelle et se dirige directement en cuisine où elle se met à couper carottes et pommes de terres, puis un oignon. Elle met le tout à mijoter. Une fois cuit, elle sort deux plateaux sur lesquels elle dispose des couverts avant de servir chaque assiette. Maéline souffle à nouveau, les épaules basses. Autant se débarrasser de la corvée. Elle attrape un plateau et se hâte vers la chambre de sa mère, toque et, sans attendre la réponse qui ne viendra pas, ouvre.
— Maman, il faut te réveiller.
Elle secoue doucement le corps endormi. De légers grognements lui répondent.
— Maman, tiens, le dîner, insiste doucement Maéline.
Les grognements se poursuivent jusqu'à ce que Brigitte ouvre des yeux recouverts d'un voile médicamenteux.
— Mais… Maé. Tu en as préparé beaucoup.
— Il faut que tu manges.
Sa mère se frotte les yeux, bâille.
— Je vais faire de mon mieux, répond-elle la bouche pâteuse.
— Merci maman, se force à répondre Maéline.
Depuis une quinzaine de jours que l'adolescente s'est résignée à ce rôle d'aide-soignante devant affronter une patiente sans énergie, au moteur interne cassé. Au début, elles ont essayé avec sa sœur de la secouer, mais la douceur, même forcée, apporte des résultats plus satisfaisants. Si l'on peut parler de positif face à une assiette peu garnie souvent mangée à moitié.
Brigitte tend la main pour caresser mollement la joue de sa fille avant de la laisser choir sur la couverture. Des larmes glissent silencieusement jusque sur le plateau.
— C'était le plat réconfort de ton père. Simple et efficace. Il...
Les mots restent bloqués. C'est bien mieux ainsi. Maéline ne supporte plus les sempiternelles évocations d'une vie révolue où sa mère se complaît au lieu d'aller de l'avant. Il est évident qu’on ne peut oublier et que les souvenirs reviennent par vague, mais de là à rester inerte, cloîtrée dans une pièce. Non, Maéline ne comprend pas, accepte encore moins. Elle est incapable d'identifier quelle émotion l'engloutit davantage : la colère ou la tristesse. Colère de se sentir ainsi abandonnée de tous et en particulier de celle qui jusque-là était sa complice, sa confidente et son épaule. Tristesse de voir la femme dynamique et souriante vampirisée de la moindre énergie vitale.
Maéline retient du mieux qu'elle peut un soupir, dépose un baiser sur le front de sa mère et sort en silence. Elle attrape le plateau restant, s'assoit sur le canapé et allume la télévision. Une romance américaine. Et si c'était ce qui l'attendait avec Mattéo demain, à la fête ?

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