Chapitre 2 (2/3)

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Ils s'éloignèrent du cimetière, en direction du regroupement de maisons qui leur servait de village. Plus proche du faubourg que de ces ruines, ils y seraient en sécurité. Traîner aux alentours des vieilles sépultures, de nuit comme de jour, c'était parfois s'exposer au risque de tomber nez à nez avec un mort-vivant ou un de ces adorables nécrophages, qui se trouveraient satisfaits d'avoir autre chose à se mettre sous la dent. Et les imbéciles qui se faisaient prendre au piège étaient bien plus nombreux qu’on ne l’imaginait.

Sur le chemin du retour, la curiosité poussa Paul à jeter un dernier coup d’œil. Garance s'était rapprochée du vieux portail en fer forgé et s'apprêtait à l'ouvrir. La pénombre la masquant de plus en plus aux yeux du balafré, il se retourna et poursuivit la route qui le mènerait jusqu'à sa masure, au cœur du village.

La mage attrapa la poignée du grand porche qui avait rouillé avec le temps et l'abandon. Elle poussa l'un des deux battants mais ne parvint à entrouvrir la structure que de quelques centimètres. La fois précédente, elle avait déjà eu du mal. Soupirant, elle lâcha la poignée avant de donner un coup puissant de son pied. Le portail s'ouvrit brusquement dans un grincement sourd. Sous le choc, le gond supérieur lâcha quelque peu violemment. Les deux autres menaçaient aussi de céder, la rouille les ayants profondément entamés.

Le cimetière d'Aramon était ancien. Les dates de décès les plus récentes remontaient à un peu plus de deux siècles. Bien que les tombeaux les plus imposants aient tenu le coup, les plus petites sépultures avaient quant à elles grandement souffert du poids des ans. Les hautes herbes envahissaient le cimetière, masquant à la vue des éventuels visiteurs les diverses allées qui dessinaient les lieux. Les racines des arbres s'y étaient paisiblement développées et avaient détruits ou abîmés un nombre important de stèles, les réduisant parfois à de simples petits tas de gravats.

Pour peu que l'on accepte de faire fi des hurlements en provenance du tombeau central, une certaine paix régnait sur le cimetière. Contrairement à d'autres situations, ce calme-ci n'inquiétait pas Garance. Déambulant tranquillement entre les tombes, elle le trouva même reposant.

Au centre, le mausolée des Beaumont dominait par sa taille l'ensemble des ruines. Son aspect massif lui donnait l'impression d'avoir été construit d'un bloc, ciselé à même la pierre. De son imposante porte, il ne restait désormais plus que des gonds rouillés. La poussière et les toiles d'araignées avaient depuis bien longtemps redécoré à elles seules les lieux.

Garance entreprit de descendre l'escalier menant à la crypte de ce qui fut un jour une des plus illustres maison noble de ce royaume. Noblesse qui aujourd'hui ne les empêchait guère de jurer comme des charretiers.

— Coquebert ! Boursemolle !

Dans l'escalier, Garance tendit la main vers l'avant et désintégra l’ensemble des toiles qui lui barraient la route. Toutes se teintèrent de violet avant de s'évaporer dans les airs sous forme de fumerolles sombres. Les araignées y résidant subirent toutes le même destin.

La jeune femme avait pris cette vieille habitude depuis son enfance, à la suite d'une rencontre avec une de leur cousine, de la taille d'un veau. Depuis ce jour, la perspective de se retrouver en tête à tête avec l'une de ces vilaines bestioles velues ne l'enchantait guère. Elle préférait donc prendre ses précautions et s'en débarrasser le plus tôt possible.

Une trentaine de marches plus bas, Garance déboucha dans une grande salle circulaire au plafond voûté. Neuf tombeaux, chacun surmonté d'un gisant, étaient disposés le long des murs. Un dixième, beaucoup plus important, trônait au centre de la pièce. À la droite du caveau, les Beaumont continuaient de se hurler dessus, se jetant dessus tout ce qui pouvait leur passer sous la main, morceaux de pierre y compris.

Guillaume, le benjamin de la fratrie, se saisit de l'une d'elle et la jeta en direction de sa sœur Anne, la cadette. Elle l'évita puis répondit à son jeune frère d'une vilaine grimace qui le fit à nouveau monter dans les tours. La pierre en question continua sa trajectoire en direction de l'entrée de la crypte où se tenait actuellement Garance. Elle esquiva d’un simple pas sur la droite. Le projectile se fracassa violemment sur le mur situé derrière elle.

— Vieille harpie ! Tu t'offusques alors que tu es pleinement responsable de ce résultat ! Même pas fichue de faire ta part de travail ! Bonne à rien !

— Plaît-il ?! Mon seigneur est insatisfait ? Vieux fou ! Croyais-tu vraiment qu'il était indiqué « chien de garde » ici ? hurla-t-elle en pointant son front de son doigt.

Au beau milieu du différend, Garance fit mine de se racler la gorge assez bruyamment. Aymar fut le premier à la repérer. Sur les nerfs depuis un bon moment et sans trop réfléchir, il la considéra immédiatement comme une intruse.

— Guillaume ! Anne ! hurla-t-il tout en indiquant d'un geste de la main, la mage nouvellement arrivée.

Son frère et sa sœur se tournèrent vers l'entrée où se tenait Garance. Elle avait dégainé son épée, incertaine de la façon dont les fantômes comptaient réagir.

Les Beaumont, maintenant silencieux, dévisagèrent du regard la nouvelle venue, peu satisfaits de savoir que les vivants persistaient encore à troubler leur repos.

— Débarrassons-nous en !

Prenant chacun une pierre dans leur main, Guillaume et Anne se jetèrent les premiers sur la mage et visèrent sa tête, déterminés à la lui fracasser.

Garance ne les lâcha pas du regard et ne se décida à parer leur coup qu'au dernier moment. Elle tendit un bras dans leur direction, paume ouverte. Une violente onde de choc les repoussa à l’arrière. Ils percutèrent le sol avant de s'arrêter plus loin après une série de brusques roulades.

Aymar se jeta à son tour sur elle, les mains tendues en avant et prêt à l'étrangler. Plus rapide que lui, Garance dégagea les mains du fantôme sur le côté avant de s'emparer de son cou de sa main gauche. Par sa nature éthérée, elle n'eut aucune difficulté à plaquer le fantôme au sol. Dans la foulée, elle glissa sa lame juste sous son cou transparent et déplaça sa main sur le haut de son torse. Elle savait qu'Aymar était le chef du groupe. Si elle le maîtrisait, elle serait en mesure de contrôler les ardeurs des deux autres.

— Humaine stupide ! Tu crois vraiment cette vulgaire lame suffisante pour nous blesser !? Comme cela est risible, s’esclaffa Anne.

Aymar sourit à la remarque du reste de sa fratrie. Mais tandis que leurs rires redoublaient d'intensité, une série de glyphes apparut sur le plat de la lame. Brillant d'une élégante lueur violette, ils étaient issus d'une langue très ancienne, l’ashéen. Le fantôme sous l'emprise de la mage grinça des dents. Il pouvait sentir l'énergie magique émaner de l'épée et cela ne lui plu guère.

Garance, les lèvres remontées en un fin rictus, répondit aux Beaumont, moqueuse.

— Ma « vulgaire lame » est-elle toujours à votre goût, mes seigneurs ?

Les trois seuls braseros encore en état de la salle s'allumèrent subitement. Les puissantes flammes inondèrent la pièce de leur lumière. Garance qui les avait allumés, était fatiguée de poursuivre cette discussion dans le noir.

Le trio fantomatique poussa un hoquet de stupeur quand il se rendit compte que dans sa colère, il s'en était pris à celle venue leur rendre visite un peu plus d'un mois auparavant.

Anne et Guillaume se relevèrent tout en râlant, contrariés par sa présence.

— C'est cette maudite mage de la dernière fois.

— Peste soit-elle.

Le sourire de Garance s’effaça au fur et à mesure de leurs propos. Il était presque toujours impossible d'avoir une discussion intelligible quand ils étaient dans un état pareil. D'autant plus que cette nuit, elle n'avait qu'une envie, terminer ce travail passablement pénible et aller se coucher. Elle finit par perdre patience.

— Taisez-vous donc un peu ! Beaumont de malheur. Si ce déplorable spectacle est là votre interprétation de la directive « restez calme », je vais me poser des questions sur votre niveau d'intelligence, pour peu que vous en ayez une.

— Mais je rêve ou cette gueuse nous insulte !? hurla Anne, outrée.

Aymar ne disait toujours rien. Curieusement, il avait pris le temps de détailler leur interlocutrice. Son regard finit par dériver de son visage jusqu'à la main qui le maintenait plaqué au sol. Un objet en particulier avait attiré son attention, une chevalière en argent élégamment ouvragée qui ornait son index gauche. À sa surface, Aymar reconnut le blason de la tristement célèbre maison Mortis. Il se composait d'un simple corbeau perché sur un crâne.

Du temps de son vivant, certaines personnes les avaient surnommés les Hérauts des Ombres. Ils avaient depuis toujours une sombre réputation, tout comme la Légion à laquelle ils étaient étroitement liés. Personne ne connaissait vraiment les raisons derrière un tel titre mais les spéculations à ce sujet allaient bon train et nourrissaient l'imaginaire collectif.

Sa sœur Anne vociféra de nouveau mais cette fois-ci, Aymar intervint en la faveur de Garance.

— Silence, Anne !

— Mais, Aymar, elle...

— Boucle-là !

Anne se tut, serra ses poings et se mordit la lèvre de colère.

Aymar avait jadis eu l'occasion de voir un Mortis en action et avait depuis une petite idée de ce que leurs mages de bataille étaient capables. Par conséquent, il ne souhaitait pas se les mettre à dos. Il s'adressa à Garance, le ton plus mielleux.

— Dame Garance, pourquoi ne nous avez-vous pas dit que vous étiez une Mortis ? Nous vous aurions fait meilleur accueil si nous avions su qu'un membre issu d'une maison aussi illustre que la vôtre viendrait nous rendre visite.

Garance haussa un sourcil puis sourit.

— Pourquoi je n'ai rien dit ? Oh, je ne sais pas… Peut-être était-ce pour ne pas avoir à subir vos flatteries hypocrites ? lui répondit-elle l’air faussement innocent.

Elle retira sa lame de sous la gorge d'Aymar avant de le soulever de sa main gauche et de le repousser vivement vers le fond. Guillaume et Anne s'empressèrent de le rejoindre. L’ainé se redressa et fit mine de s'épousseter les manches tout en se raclant la gorge. Son frère et sa sœur ne disaient plus rien et attendaient de voir ce qui allait suivre.

Garance rengaina son épée et fit quatre pas en direction des Beaumont.

— Bien… Maintenant que tout le monde semble s'être calmé, peut-être allons-nous pouvoir enfin avoir une conversation disons…civilisée. Si mes souvenirs sont bons, je crois vous avoir demandé de faire profil bas il y a un mois. Et voilà que peu de temps après, en dépit de m'avoir assuré que vous vous feriez discret, vous recommencez à vous disputer… Et pour quelle raison cette fois-ci ? Un rat aurait-il dévoré l'un des précieux livres de votre chère mère ?

— De quel droit oses-tu !?

— Silence Anne !

— Dois-je vous préciser à nouveau que la seule raison pour laquelle personne ne vous a encore banni du royaume des vivants est parce que la Légion est intervenue en votre faveur auprès des Sœurs de la Lumière. Vous avez souvent tendance à oublier ce petit mais combien important détail.

— Et nous vous sommes gré de cela, Dame Garance. Bien que nous sachions pertinemment que les raisons motivant cette protection sont loin d'être purement altruiste.

— Abrège, Aymar. Je n'ai pas toute la nuit, dit-elle tout en croisant ses bras.

— Oui, naturellement, Dame Garance… Permettez-moi donc de vous expliquer les raisons motivant la querelle entre mon frère et ma sœur. Sachez que lors d'une nuit, il y a tout juste trois jours, Guillaume et moi-même avions décidé de sortir de la crypte et d'aller nous promener aux alentours du cimetière. Anne avait la charge de surveiller le tombeau et de s'occuper des éventuels indésirables. Tâche à laquelle elle faillit misérablement.

— Tu ne vas quand même t'y mettre toi aussi ! hurla-t-elle après son frère.

La mauvaise humeur d'Anne se faisant de plus en plus épuisante, Aymar lui intima donc d'un regard prononcé de tenir sa langue une bonne fois pour toute. Anne serra à nouveau ses poings. Son frère n'en démordrait pas. Elle jeta un nouveau regard méprisant en direction de Garance puis, mécontente, donna un coup de pied dans l'une des pierres au sol. Enfin assuré qu'elle se tairait, il poursuivit ses explications.

Cette nuit-là, un petit groupe s'était apparemment glissé en douce dans la tombe avant d'enfermer Anne dans la pseudo-bibliothèque qu'elle s'était constituée. Situé dans l'une des trois annexes, la Beaumont avait préféré la lecture à la surveillance de la crypte. Ce groupe s'était ensuite dirigé vers la chambre à l'arrière de la salle où il avait enfoncé le mur du fond, provoquant d'autres destructions dans le même temps. Sur ce mur se trouvait une tapisserie qui avait fait la fierté de leurs parents. La négligence volontaire d'Anne avait provoqué la perte d'un trésor de famille inestimable et c'était pour cette raison que la fratrie s'entre-déchirait depuis ces trois derniers jours.

Face à eux, Garance n'en croyait pas ses oreilles.

Tout ce vacarme pour un vulgaire décor mural...

— J'espère que c'est une plaisanterie.

— Je crains fort que non ma Dame. Vous m'en voyez hélas navré… Mais si je puis me permettre, je crois que cet incident a révélé quelque chose qui pourrait se montrer d'un probable intérêt pour vous.

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