Chapitre 2 (3/3)

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— Et quoi donc ? demanda-t-elle, dubitative.

— Vous verrez. Suivez-moi je vous prie.

Aymar s'éloigna de Garance et partit en direction de la chambre mortuaire. Sur son chemin, le caveau central où étaient enterrés les tout premiers Beaumont, lui barrait la route. Plutôt que de le contourner, il passa au travers comme si de rien était. Anne et Guillaume le suivirent sans dire un mot. Aymar traversa ensuite la porte du fond, son frère et sa sœur sur les talons.

Garance demeurait prudente. Les Beaumont avaient cette manie de se montrer imprévisibles en toutes circonstances, bien plus encore que certains vivants. Mais peut-être qu'avec un peu de chance, ils se montreraient plus conciliants pour le reste de la nuit. Elle franchit rapidement la distance qui la séparait d'eux.

La porte en bois de l'annexe avait été fracturé, en témoignait la serrure toujours verrouillée et fixée fermement au mur. Le reste de la porte, fragilisé, se baladait librement sur ses gonds. Elle poussa le battant de sa main droite et entra à son tour dans la pièce.

Garance cala la porte contre le mur en rapprochant une des quelques pierres disséminées sur le sol avant de jeter un rapide coup d’œil au plafond. Certaines voûtes très abîmées menaçaient de s'effondrer. Les murs étaient lézardés par endroits tout en étant couvert d'une fine couche de poussière.

La porte grande ouverte, une partie de la lumière des braseros atteignit l'annexe. Cette chambre funéraire contenait deux caveaux joliment façonnés, disposés chacun aux extrémités de la pièce, à la droite et à la gauche de Garance. Des coffres de bois ouvragés, statuettes en bronze, livres manuscrits et divers autres objets précieux étaient entassés au pied de ces tombes.

Aymar se tenait devant elle les mains croisées derrière son dos. Derrière lui se trouvait l'ouverture nouvellement créée, dont il avait parlé quelques minutes avant. Anne et Guillaume étaient assis sur un des coffres. Les jambes croisées et leur tête soutenue par leurs bras, ils observaient leur frère et la mage interagir. Garance s'avança jusqu'à la limite du mur.

— Mais qu'est-ce que...

— Je vous avais bien dit que cela vous intéresserait. Nous n'avions pas connaissance d'une telle galerie. Nous fûmes tout aussi surpris que vous, lui expliqua-t-il en souriant.

Garance fronça les sourcils et se redressa. Derrière le mur démoli se trouvait un large escalier fracturé par endroits qui descendait sur une courbe d'une quinzaine de mètres. L'architecture de la galerie qui l'abritait était très différente de celle de la crypte.

La maçonnerie était composée de pierres blanches, d'une taille plus importante que celles constituant le tombeau des Beaumont. Accolé à ces murs, une enfilade de colonnes élégamment ornementées soutenait une simple voûte de pierre aux arcs brisés. Les murs étaient partiellement décorés, recouverts soit de fresques soit de bas-reliefs pour la plupart probablement historiés. Ces décors demeuraient néanmoins en très mauvais état et partiellement détruits.

Ce passage était présent depuis très longtemps, datant de bien avant la construction du cimetière. Garance songea immédiatement aux immenses galeries des ruines de la cité souterraine d'Agrisa. Elles couraient un peu partout sous la ville en un immense et complexe réseau.

L'attention de Garance se porta ensuite sur le reste du mur dont les fragments gisaient éparpillés un peu partout sur les marches. Elle effleura du bout des doigts les pierres qui composaient le bord de l'ouverture où à leur contact elle sentit un léger picotement. Une barrière relativement puissante s'était tenue là, en témoignait la magie résiduelle encore profondément incrustée dans la pierre par endroits. Pour Garance, cette barrière semblait avoir été constitué de telle façon qu'elle avait rendu le passage imperméable aux vivants comme aux morts, expliquant ainsi pourquoi les Beaumont n'avaient jamais eu connaissance de cette galerie.

Elle commença peu à peu à comprendre pourquoi son père avait insisté pour que l'on ne s'en prenne pas à eux. Ils décourageaient depuis toujours les éventuels petits fouineurs. Du moins, ils y étaient parvenus jusqu'à il y a trois jours. Mais une question demeurait en suspens. Pourquoi donc cacher cette entrée quand tant d'autres étaient connues des autorités ? Certaines étaient utilisées par les contrebandiers certes mais… Quel intérêt avait la Légion à protéger celle-ci en particulier ? Et pourquoi une barrière ? Son père devait certainement avoir une bonne raison. Garance lui poserait la question au moment de faire son rapport.

Anne ruminait toujours dans son coin. Elle voulait que Garance parte sur-le-champ, sa présence lui devenant de plus en plus insupportable. Voyant la mage concentrée sur l'examen du trou, elle se leva puis s'avança vers elle lentement, avec pour seule idée de la pousser du haut des escaliers.

Du temps de son vivant, elle avait toujours été connue pour son impulsivité exacerbée, se souciant peu de la réussite ou non de ses plans, ou encore de savoir si elle aurait à assumer de quelconques conséquences. Ce trait de caractère qui avait mis sa famille dans l’embarras plus d'une fois persistait jusque dans sa mort au grand désespoir de ses frères, réputés moins colériques qu'elle. Non loin, Guillaume était toujours assis sur le coffre en bois et regardait faire sa sœur sans grand intérêt.

Arrivée à quelques pas de Garance, Anne tenta à nouveau de se jeter sur elle. Mais c'était sans compter sur la femme, qui pressentant son action, l'interrompit immédiatement au début de sa course en tendant son bras gauche vers elle, la paume ouverte. Anne se retrouva paralysée sur place à l'instant où la mage referma vivement sa main. Elle poussa un nouveau juron. Garance se retourna vers Aymar tout en jetant un regard agacé en direction d'Anne. Elle sortit de la chambre annexe puis libéra le fantôme de son sortilège d'un nouveau mouvement du bras.

Lassé, Guillaume finit par se lever. Il attrapa sa sœur par la gorge avant de la plaquer contre le mur le plus proche. Il lui intima à son tour de se tenir à carreau pour de bon ; il était fatigué de l'entendre se plaindre. Guillaume la libéra puis rejoint ensuite son frère et l’humaine qui s'étaient tous deux rapprochés du caveau central. Anne sortit de l'annexe en pestant de plus belle et s'en alla s'enfermer dans sa bibliothèque de fortune. Derrière la porte, elle insulta Garance une dernière fois. 

— Garce !

— La ferme, Anne ! lui répondit Guillaume sans même prendre la peine de se tourner vers elle.

Garance s'adossa au tombeau central et croisa ses bras, pensive. Aymar et Guillaume s'étaient placés face à elle et attendaient de voir ce que le Chevalier noir avait prévu pour eux. Elle finit par s'adresser à eux au bout de quelques instants.

— Je vais tâcher d'être concise...et honnête. Votre tapisserie, je m'en moque, c'est bien clair ? Par conséquent, vous la bouclez, tous les trois, et cette fois-ci pour de bon. Si vous persistez sur cette voie, la prochaine fois ce sera Walther qui se chargera de votre cas, et croyez-moi, ses méthodes risquent fortement de vous déplaire. Et cet avertissement prend effet dès maintenant. Pour ce qui est de cette galerie et des intrus que vous avez mentionné plus tôt, j'en parlerais à Père. Il s'en chargera lui-même ou il déléguera à quelqu'un d'autre, qu'importe. J'ai autre chose à faire en ce moment que de m'occuper d'éventuels pillards. Sommes-nous tous d'accords ?

— Vous ne nous laissez pas vraiment le choix, n'est-ce pas ?

— En effet.

Aymar se retourna en direction de son cadet qui fit de même. Les Beaumont avaient déjà eu l'occasion de rencontrer Walther Balfein par le passé. Il avait été leur premier interlocuteur quand les membres actuels de la Légion s'étaient installés à la Nouvelle-Essenie, treize ans auparavant. Le commandant-en-second les avait marqués par sa stature imposante et ce regard froid qui avait laissé peu de place à une quelconque forme de sociabilité. En conclusion, ils n'avaient guère envie de le voir à nouveau débarquer dans leur demeure. Les deux frères se mirent d'accord sur leur réponse d'un simple hochement de tête.

— Très bien Dame Garance, nous tâcherons d'essayer de maintenir les ardeurs de chacun au plus bas, répondit l'aîné un peu à contrecœur tout en songeant à sa sœur.

— Merveilleux… Heureuse de constater qu'il vous reste un semblant de bon sens après tout… Enfin. Maintenant que cette affaire est réglée... Je vais pouvoir profiter d'une bonne nuit de sommeil amplement mérité, finit-elle en pensant.

Garance se redressa. Un air satisfait ornait son visage, non mécontente qu'elle était de constater que le problème de la soirée trouvait une fin. Elle tourna le dos aux Beaumont et s'avança d'un pas rapide de la sortie de la crypte. Aymar et Guillaume n'avaient pas bougé d'un pouce. En dépit du fin sourire qui couvrait ses lèvres, l'aîné avait serré des dents au dernier commentaire de la mage. Guillaume, réagissant comme son frère, se souvint brièvement de l'aperçu que sa famille et lui avaient eu des tendances sarcastiques de la Mortis lors de leur précédente rencontre. Il espérait sincèrement qu'il n'aurait plus à la revoir.

— … Bonne nuit, Dame Garance, dit Aymar, par souci de politesse.

— Oui, oui… Bonne nuit à vous aussi.

Elle leur adressa un dernier geste de la main puis disparu dans la pénombre des escaliers en direction de la surface.

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