Chapitre 4 (1/4)

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La première chose que fit Garance dès son retour dans l'enceinte de la cité fut de rejoindre le poste de garde à l'entrée. Fidèle à l'engagement qu'elle avait pris plus tôt dans la soirée, elle s'avança tranquillement jusqu'à la porte de la petite bâtisse. La mage se saisit de la poignée, la tourna d'un coup sec et pénétra dans le bâtiment sans prendre la peine de s'annoncer. Une fois dedans. Elle referma la porte d'un petit coup de pied.

— Toujours aussi douce à ce que je vois.

Garance tourna son regard en direction de la voix, provenant du côté droit de la pièce, dans un recoin à peine éclairé par quelques bougies. Orivod, second sergent sous les ordres de Maugran Berort, était attablé devant son éternel pichet de vin rouge et son assiette de fromage, tout en mastiquant un des nombreux morceaux de pain rassis disposés à sa droite. Les miettes qui lui tombaient de la bouche venaient se coincer les unes après les autres dans sa barbe mal taillée et tâchée d'alcool. La mage eut grand peine à dissimuler une grimace.

— Va donc plutôt dire ça aux Beaumont, ils seront ravis de t'entendre, dit-elle tout en repoussant quelques mèches blondes de son visage.

— Les Beaumont... (Il toussa.) La dernière fois qu'on a mis les pieds dans leur crypte, moi et mes hommes, on a tous cru qu'on allait finir lapidé. Une chance pour eux que ton paternel ait accepté de leur accorder un semblant de protection. Pour ma part, je les aurais chassés il y a longtemps. Mon pauvre oncle a bien failli mourir d'effroi à cause d'eux. Le pauvre... Il a le cœur fragile tu sais.

Devant l'air dramatique du sergent, Garance ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Plus détendue qu'à son arrivée, elle se mit à sourire.

— Tu n'as pas l'air d'entièrement approuver la décision de mon père mais dois-je te rappeler qu'il ne fut pas seul à soutenir ce choix ?

— Ah oui. Tu fais référence aux Sœurs de la Lumière et au mage de la cour là. C'est quoi son nom déjà... Alb... Non, Alf...

— Alan. Alan Marxus.

— Voilà ! C'est ça.

— Comment un essenien de pure souche peut-il oublier le nom du descendant d'un de ses plus prestigieux explorateurs ?

— Bonne question ma jolie. Mais tu sais, pour être honnête, les vieilles ruines et les civilisations antiques, c'est pas vraiment ma spécialité. Alors me souvenir d'un type qui a passé sa vie entière à les étudier...très peu pour moi. Je vous laisse volontiers toutes ces choses occultes et magiques. Ça c'est votre affaire. J'ai déjà assez de problèmes avec les citoyens normaux. Et ne me parles pas des Noirelames. Saletés de contrebandiers... Tiens ! Puisqu'on en parle. C'est quand que vous expulsez ces sales rats d'égouts des souterrains ? Après tout, vous passez la moitié de votre temps à y patrouiller. Vous pourriez nous rendre service.

Garance s'était approché d'Orivod. Elle était maintenant assise face à lui, à cheval sur l'un des bancs.

— Vous rendre service ? Aux dernières nouvelles, les Noirelames font partie de la catégorie de citoyens que tu qualifies de « normal ». Par conséquent, ne serait-ce pas plutôt à vous de vous en charger ? D'autant plus que nous n’avons pas les effectifs pour et que nous sommes déjà bien trop occupés à éliminer les morts-vivants qui se terrent dans les niveaux inférieurs des souterrains.

— Mouais...pas faux.

Il porta son verre de vin à ses lèvres et engloutit la moitié de son contenu en quelques gorgées.

— Qui plus est, les Noirelames subissent quand même un certain nombre de pertes chaque année. Il faut dire que leur connaissance des souterrains n'est pas aussi poussée que la nôtre et qu'ils sont tout de même sous équipés pour s'enfoncer dans les parties les plus profondes. D'ailleurs, ceux qui s'y tentent n'en reviennent jamais, ou alors si, mais avec des morceaux en moins. Donc dans tous les cas, la situation telle qu'elle est à l'heure actuelle n'est pas si mauvaise que cela, tant pour les gardes que pour la Légion.

Dans son discours, Garance avait volontairement omis d'ajouter un détail important sur le sujet. Un détail qui, s'il parvenait jusqu'aux oreilles de leurs détracteurs et de la populace, mettraient dans une position inconfortable les dirigeants locaux de la Légion. Son père en était conscient et avait par conséquent exigé une discrétion totale sur le sujet.

Tout le monde pensait que la Légion se contentait d'ignorer les contrebandiers mais en réalité, depuis leur arrivée dans le pays, ses membres s'étaient mis d'accord avec les Noirelames sur un point. La Légion n'interrompait pas leur trafic et le marché noir dont ils avaient la charge, en échange de quoi les Noirelames s'engageaient à leur tour à fournir informations et objets de toutes sortes qu'il ne serait normalement pas possible d'obtenir par des canaux officiels. Cela faisait maintenant soixante ans que cet accord durait et nombreux étaient ceux dans la capitale qui souhaitaient le voir perdurer.

— Peut-être bien, mais en attendant, vu le nombre d'événements surnaturels qui advient chaque semaine, je trouve quand même que vous ne travaillez pas assez. Vous pourriez nous aider de temps à autres. Un vrai tas de feignasses, répliqua-t-il un sourire aux lèvres.

— Voilà qui est osé. En particulier venant d'un garde qui s'éternise depuis une heure devant son repas au lieu de rejoindre au plus vite ses camarades sur la muraille.

— Capitaine !

Le sergent s'était levé de table et se tenait maintenant au garde-à-vous. Garance vit ses joues se teinter d'un léger rouge. Le pauvre homme se retrouvait bien embarrassé. Tout en riant, elle se tourna en direction du capitaine Berort qui venait tout juste de sortir de son bureau, vêtu d'une cotte de mailles par-dessus laquelle se trouvait un épais surcot rouge aux armes du royaume. Il dégagea de sa main gauche les quelques mèches de sa tignasse d'un blond sale détrempé par la pluie passée et qui lui collaient encore au visage. Les mains croisées dans le dos, il s'adressa une nouvelle fois au sergent.

— La prochaine fois, Orivod, appliquez donc vos propres leçons à la lettre avant d'en donner aux autres.

— Oui, capitaine ! Pardon, capitaine.

Face à la scène, Garance ne put se retenir de rire de bon cœur.

— Maugran, ne tourmente pas ce pauvre homme de la sorte.

Le capitaine la regarda en souriant.

— Pourquoi ? Préférerais-tu que nous parlions d'autre chose ? De toi peut-être ? J'ai d'ailleurs constaté plus tôt la tendresse avec laquelle tu traites mes hommes. Ton talent à te faire des amis est toujours aussi aiguisé que d'habitude.

— Si tu fais référence au jeune coq de tout à l'heure, sache que je ne suis nullement responsable de son manque d'humour...ou d'esprit. Et encore moins responsable de la famille dans laquelle je suis née. Si mon visage ou mon nom lui déplaisent tant, il n'a qu'à aller se faire voir ailleurs, et démissionner de la garde par la même occasion. Qu'il aille donc se plaindre auprès des instances supérieures si cela lui chante. Il ne sera pas le premier et très loin d'être le dernier.

Berort ne put que secouer la tête et lever les yeux au ciel face à son commentaire. Mais il y avait au moins une chose qu'il pouvait lui concéder, la méfiance dans le ton de sa voix. Le comportement de certains habitants, civils comme militaires, commençait à prendre des proportions inquiétantes.

— Ah, peu importe... Tâche simplement de ne pas te mettre à dos l'ensemble de la confrérie aellionienne de la capitale.

— Et en quoi devrais-je faire cela ?

— Cesses donc d'agir par esprit de provocation. Ces derniers temps tu ne fais plus que cela. Aelleon fut la divinité choisie parmi les dieux de la trinité pour servir de protecteur à ce royaume lors de sa création. Et tu as pertinemment conscience de la sympathie que les membres les plus aigris de son culte portent à votre sujet. Et que cela se fasse de la manière douce ou de la manière forte, les plus extrêmes aimeraient vous voir partir d'ici. Alors ne leur donne pas de bonnes raisons de le faire.

— Parce qu'ils ont plusieurs manières de faire les choses maintenant ? ... Tiens, je vais faire la curieuse. En quoi consisterait la douce ?

— La douce consisterait à vous expulser manu-militari du royaume, en partance vers la destination de votre choix.

— Et la forte ?

— Sur un bûcher en partance pour votre tombe.

— Ah, oui... C'est vrai que j'ai parfois tendance à oublier à quel point ils les aiment leurs bûchers... D'ailleurs...

— Oui ?

— Il y a une chose dont j'aimerais discuter...en privé.

Le capitaine marqua une pause. L'air plaisantin sur le visage de Garance s'était estompé laissant place à une certaine gravité. Quoi que fut ce dont elle voulait parler, c'était important.

— Très bien... Sergent, si vous voulez bien nous laisser.

— Tout de suite, capitaine. Dame Mortis.

— À la prochaine, Orivod.

Le sergent salua son supérieur et la mage puis s'en alla rejoindre ses collègues à l'extérieur. Berort et Garance l'observèrent s'éloigner en silence. Une fois parti, le capitaine se déplaça en direction de son bureau. Il ouvrit la porte et se tourna vers la jeune femme.

— Allons discuter dans mon bureau. Nous y serons plus au calme.

Acquiesçant d'un mouvement de tête, Garance se leva et rejoignit Berort qui referma la porte en bois derrière eux.

Maugran prit place face à Garance et posa ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil. Il la fixa des yeux. Elle s'était adossée au mur, les bras croisés, perdue dans ses pensées.

— Il est rare que tu viennes nous rendre visite à une heure si avancée. La plupart du temps la seule chose que tu as en tête à la suite d'un contrat si tardif c'est un bon lit douillet pour t'accueillir.

— C'est vrai, répondit-elle en souriant.

— Bien... De quoi voulais-tu me parler ?

La mage releva ses yeux dans sa direction. Quelque chose la préoccupait ; quand à savoir quoi, il avait sa petite idée.

— C'est juste que... (Elle soupira.) Quelque chose me tracasse depuis quelque temps... Comme une sorte de mauvais pressentiment, je ne sais pas trop...

— Un mauvais pressentiment ?

Garance s'écarta du mur et se saisit d'une chaise qu’elle ramena face au bureau. Elle y prit place tout en faisant attention de replacer son épée du mieux qu'elle le pouvait dans son dos avant de croiser ses bras et ses jambes, presque recroquevillée sur elle-même. Un nouveau soupir, cette fois-ci plus long, s’échappa de ses lèvres. Son regard effleurait la surface du bureau en bois. Elle cherchait ses mots.

— C'est que... Depuis quelques semaines, voire quelques mois, je trouve qu'il y a une atmosphère étrange en ville. Des contrats nous sont maintenant refusés et je ne sais plus quoi penser du comportement de certains hauts-gradés. Ils agissent...bizarrement. Et il y aussi les souterrains. Ce n'est peut-être qu'une impression et peut-être que je me trompe mais...je les trouve plus calme que d'habitude. Et je ne parle même pas de tous ces autres excités qui se font de plus en plus énervant.

Le ton de sa voix oscillait entre plusieurs choses. Berort avait des difficultés à déterminer s'il s'agissait de déception, d'agacement ou de lassitude.

Probablement un peu des trois, se dit-il.

— Et pourquoi t'adresser à moi en premier ? Ne devrais-tu donc pas plutôt faire part de tes inquiétudes à ton père ? Il serait probablement mieux placé que moi pour y répondre.

— Mes inquiétudes portent sur l'atmosphère de la ville. Et qui de mieux qu'un garde pour y répondre. Tu es le capitaine des veilleurs de nuit. Et tu es aussi proche du capitaine de la garde royale et du connétable lui-même. J'ai pensé que tu aurais pu me dire si mes inquiétudes étaient fondées ou si cela était simplement moi qui fantasmait. Et pour ce qui est de père...

Elle soupira longuement. Elle hésitait à lui dire mais changea vite d'avis. Lui mentir ne servirait à rien.

— Bon...d'accord... Je suis allée le voir hier après-midi mais il n'a pas vraiment eu envie de s'éterniser sur le sujet. Quand je lui ai fait part de ce qui me préoccupait, il m'a simplement répondu de ne pas m'inquiéter, que cela n'était rien et se résoudrait rapidement de lui-même... Ne pas m'inquiéter ? C'est sûr qu'avec une réponse pareille... Papa...qu'est-ce que tu nous caches encore ?

Elle posa son menton dans sa main droite pus soupira une nouvelle fois. Berort lui sourit gentiment. Depuis la mort de sa mère, il y a treize ans, elle avait toujours été ainsi, à s'inquiéter plus que la normale pour les membres restants de sa famille.

Le capitaine réfléchit quelques instants puis finit par décider de partager certaines informations avec elle. Il savait que Victor désapprouverait probablement mais il estimait qu'il était maintenant urgent que les autres Chevaliers noirs soient au courant.

— Je peux te parler de ce que j'ai entendu. Néanmoins, tu devras probablement insister auprès de ton père pour en savoir plus. Et ne sois pas surprise s'il te parait...contrarié. Il ne voulait pas que je vous en parle, à toi et tes collègues, mais...tant pis. C'est trop important pour que cela demeure plus longtemps dans le silence.

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