Chapitre 4 (2/4)

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Par ces mots, il piqua l'intérêt prononcé de la jeune femme. Elle se redressa dans son siège.

— Tu penses que c'est grave ?

— A dire vrai, je n'en sais rien. Ce que j'ai entendu auprès de mes supérieurs ne diffère pas vraiment des rumeurs et histoires habituelles mais...il y a quelque chose avec celle-ci qui me préoccupe.

— Quoi donc ?

— La façon dont ces mêmes supérieurs réagissent... Le précédent souverain se moquait bien de ce qui pouvait être raconté sur la Légion. La quasi-totalité de ce qui est dit est faux ou alors fort éloigné de la réalité. Même son petit-fils Edwald, aujourd'hui roi et connu depuis toujours pour son mépris plus ou moins certain de ta corporation, n'y prêtait guère d'attention. Mais cette fois-ci...cette fois-ci, c'est différent. Il y prête justement attention, comme si...comme s'il y avait bel et bien plus qu'un simple semblant de vérité. Comme s'il considérait cela non pas comme une rumeur mais comme un témoignage de faits réellement avérés. Et ce, de plus en plus au fur et à mesure que les mois et semaines passent.

— Et quelle est cette rumeur au juste ?

— La Légion serait apparemment responsable de nombreuses exactions commises dans divers royaumes du sud-est de l’Alen. Vous seriez responsable du massacre et de la destruction d'un nombre élevé de personnes et de villages. Et il y aurait apparemment de nombreux témoins.

— Cette histoire n'a en effet rien de différent avec celles que l'on peut entendre habituellement. Et il y a toujours des témoins. (Elle leva les yeux au ciel.) Et tu dis que le roi y prête attention, plus que la normale ? 

— Pas seulement le roi, la cour tout entière semble de plus en plus convaincue de la véracité de ces faits... Ecoute, par le passé, Edwald restait très discret quand il s'agissait d'exprimer ses opinions vous concernant, mais aujourd'hui, depuis qu'il est roi, il se cache de moins en moins. Le connétable et de nombreux autres officiers, qui ne vous ont jamais véritablement apprécié, voient là une occasion unique de rendre ce dédain officiel et légitime. Comme je te l'ai dit tout à l'heure, beaucoup espèrent vous expulser du royaume, et pas seulement de la capitale. Si ce que j'ai entendu s'avère juste... (Il marqua une pause.) Dis à ton père de se méfier, pas seulement de Baldwin Thralond ou de Henrik Aerelm, mais de tous les membres de la cour. Insiste bien auprès de lui. J'aime de moins en moins la tournure que prend cette affaire, quoi qu'il puisse en dire... Jure moi que tu le feras.

— C'est promis Maugran... Je ne sais pas trop quoi en penser. C'est insensé. Comment des membres de la Légion pourraient-ils agir ainsi ? Nous savons tous quels châtiments les grands commandants nous réserve si nous nous permettons de tels actes... Espérons seulement qu'il s'agit là d'une autre de ces histoires tordues que les gens inventent juste pour nous pourrir l'existence. Nos méthodes sont questionnables, c'est vrai, je l'admets. Nous ne respectons pas toujours les lois, surtout si celles-ci nous paraissent absurdes ou handicapantes, et nous n'hésitons pas à tuer. Mais…

Garance et Berort se turent pendant quelques instants. Le capitaine réfléchissait aux propos de la jeune femme. En tant que représentant de la loi, il désapprouvait un certain nombre des actes de la Légion. Mais il comprenait néanmoins la logique derrière ses derniers même si elle lui déplaisait parfois. « La nécessité et le pragmatisme avant tout ; le respect des lois et l'idéalisme plus tard. » Une phrase que Victor Mortis lui déclama une fois. Une phrase qui amena à un certain nombre de débats enflammés et qui avait fini par marquer l'esprit de l'officier.

Il se désolait en même temps de voir à quel point certains Chevaliers noirs avaient une vision sombre et violente du monde. Cependant, ils n'avaient honnêtement rien à envier aux Neavathary, les mystérieux dix dirigeants des Grandes Archives. Pour ces personnages bien moins appréciés que les membres de la Légion, tout n'a jamais été qu'une histoire de tromperie et de manipulation. C'est du moins ce qu'on lui avait dit depuis toujours. Des trois plus anciennes confréries de mages de guerre au monde, la Légion avait toujours été celle prête à tendre vers une sorte de juste milieu.

Garance finit par lever les yeux au ciel. Elle se leva de sa chaise.

— Bah... Qu'importe... On s'éloigne du sujet, là... Rumeur ou pas, de toute façon, je ne peux pas y faire grand-chose. C'est du ressort des grands commandants, pas du mien.

— Dans cette affaire, la méfiance est néanmoins toujours de mise.

— Certes, cela est vrai mais... Jusqu'à preuve du contraire nous avons toujours été méfiants. Nous avons conscience de notre vision du monde et pour ce qui est de nos pratiques... Nous n'avons jamais eu peur de faire usage de la magie noire et c'est surtout cela qui effraie les gens en temps normal. A leurs yeux, le fait que des mages en mesure de relever les morts ou de posséder l'esprit d'autrui se trouvent au pas de leur porte ne les enthousiasmes guère. Nous devrons juste nous montrer plus prudents qu'avant. J'espère simplement que le roi et le connétable ne tenteront rien de stupide. S'ils venaient à se montrer hostiles au point de s'en prendre physiquement à nous...

— ...vous riposteriez sans hésiter et il y aurait probablement des morts, et principalement au sein de la garde essenienne. Je sais. Et cela serait en effet fort problématique. Les royaumes du sud de l’Alen sont encore trop peu à aligner des mages de bataille. Un point sur lequel nous sommes, à mon grand regret, bien en retard. Que sont de simples soldats face à de tels combattants ?

Un sourire apparut sur le visage de Garance. Berort se demanda quelle réplique cinglante elle allait encore lui sortir.

— Pour être franche cela dépend du mage. En fonction de celui-ci, le soldat peut être soit de la chair à golem, soit du bois de chauffage. Il y a un très large choix d'options, finit-elle en riant.

— Humour noir et sarcasme, comme toujours. Tu es décidément infernale.

— Ne fais donc pas l'offusqué. J'essayais simplement d'alléger cette conversation. Après tout, un peu d'humour est toujours le bienvenu.

— Encore faut-il que l'humour en question se voit être bien placé. Et je crains que tu n'aies encore des progrès à faire en la matière.

— Très bien, très bien. Comme tu voudras. Je suis désolée.

Berort leva les yeux au ciel. Il ne comptait plus le nombre de fois où elle s'était confondue en excuses de la plus insincère des façons. Elle regrettait rarement ce qu'elle disait et finissait toujours par recommencer. Au fil des ans, le sarcasme était devenu une seconde nature chez elle. Il savait pertinemment que si elle ne prenait pas garde, ses propres mots lui joueraient un mauvais tour un jour ou l'autre.

Garance se redressa et posa ses mains sur le dessus de ses cuisses.

— Bon, j'ai été ravie d'avoir cette petite conversation mais il va falloir que je rentre maintenant. Il se fait tard et j'ai un rapport à faire.

— N'oublie pas ce dont nous avons parlé Garance.

— Oui Maugran. Ne t'en fais pas. Une fois mon rapport fait, ce sera la première chose que je mentionnerai.

— Très bien, je te remercie.

— Sur ce...

Garance se leva et s’inclina respectueusement avant de tourner les talons en direction de la sortie.

Berort la regarda quitter la bâtisse, espérant sincèrement que rien de grave n'adviendrait pour eux dans les jours et semaines à venir. En dépit de leurs divergences d'idées, et de leurs actions parfois brutales, il avait sympathisé avec les présents membres de la Légion même s’ils n'avaient de chevalier que le nom. Il espérait que quel que fût le véritable problème, celui-ci finirait de façon diplomatique et non en bain de sang comme ce fut le cas il y a plus de trois siècles.

Soupirant, il s’empara d’une pile de parchemins à la droite de son bureau et tâcha de mettre ses inquiétudes de côté. L'officier devait finir d'étudier l'inventaire de la caserne. Pour lui, la nuit était loin d'être finie.

*****

Garance referma la porte plus doucement qu'à son arrivée. Inspirant profondément, elle remarqua que l'air s'était grandement rafraîchi. Elle sortit une paire de gants de cuir noir dont elle se couvrit les mains. Elle les frotta paume contre paume pour se réchauffer.

La seule chose que la mage trouvait appréciable à cette période de l'année était la teinte jaune-orangé que prenait les arbres. Le froid était une toute autre histoire. Elle n'était pas pressée de voir l'hiver poindre le bout de son nez. Rajustant son baudrier sur son épaule, elle prit la direction de l'hôtel Portelune, le lieu de résidence de la Légion en Essenie.

L'histoire de Berort l'avait certes interpellée mais dans l'immédiat ses pensées allaient vers cette mystérieuse galerie et ce groupe d'intrus dont les Beaumont avaient parlé. Ils se pourraient qu'il ne s'agisse que de pillards ou simplement d'autres contrebandiers mais dans tous les cas, comment ce groupe avait-il obtenu l'emplacement d'une galerie qui semblait avoir été volontairement dissimulée depuis des années ? Une telle information n'aurait pas dû être à la portée de n'importe qui, en particulier si la Légion en avait la garde. Elle se hâta. Plus vite elle en parlerait à son père et plus vite cette question serait traitée.

Ne voulant pas perdre de temps, Garance décida de prendre un raccourci et emprunta une série de ruelles adjacentes à la voie principale. Dès son entrée, elle perçut du mouvement dans les venelles proches. La jeune femme était loin d'ignorer l'insécurité qui régnait dans les rues de la capitale la nuit, même ici, au sein de la haute-ville. Les souterrains, déjà anciens à la naissance du royaume, avaient un rôle important à y jouer, offrant à tous cachettes et accès divers pour peu que l'on en connaisse correctement les lieux.

Garance ignora ces visiteurs du soir jusqu'au moment où elle sentit l'un d'eux l'observer et se rapprocher. Elle s'arrêta à mi-chemin d'une ruelle. N'appréciant guère être épiée de la sorte, elle se saisit de la poignée de son épée et souleva son arme hors de son fourreau de quelques centimètres. La personne qui se dirigeait vers elle s'immobilisa. La mage patienta quelques secondes, prête à dégainer si nécessaire. Le visiteur finit par ranger sa lame et reculer avant de disparaître plus loin en courant. Elle relâcha sa prise sur son arme. Murmurant un rapide « imbécile », elle reprit son chemin sans pour autant baisser sa garde. Les malfrats et criminels de la capitale savaient pertinemment ce qui les attendaient s'ils avaient le malheur de se montrer un peu trop entreprenant avec les hauts-gradés de la Légion.

Garance sortit des ruelles et déboucha dans l'une des quatre grandes avenues pavées de la haute-ville, l’avenue Fleurot, bordée des deux côtés par les hôtels particuliers des riches marchands et hauts magistrats de la cité. Au loin, à droite, se trouvait la place principale de la cité où se déroulaient la plupart des grandes foires et autres événements annuels. Et c'est cette direction qu’elle prit.

Elle tourna son regard en direction de l'hôtel particulier qui n'était maintenant plus qu'à une vingtaine de mètres. Construit par les Grandes Archives il y a cent soixante-trois ans, le bâtiment était l'un des plus anciens de la capitale. Il leur avait servi de bibliothèque et de centre de recherches sur les ruines d'Agrisa pendant soixante ans à la suite de quoi il fut cédé à la Légion qui le rénova et l'agrandit.

Jour et nuit, l'entrée était gardée par deux des sept légionnaires qui résidaient dans l'hôtel. Les tâches principales de ces soldats consistaient à administrer et défendre les lieux sous la juridiction et la protection de leur ordre mais il n’était pas rare de les voir accompagner les Chevaliers noirs dans le cadre de certaines missions.

Chose surprenante, ce qui n'avait été jadis au départ qu'une simple corporation de mages et de mercenaires avait fini par évoluer en une armée puissante. Les Grandes Archives et l’Ordre d’Eril issus de la même époque connurent une évolution similaire. Evolution qui ne fut pas au goût de tous. Aujourd'hui encore, beaucoup sont ceux qui craignent le pouvoir et l'influence que ces trois factions obtinrent au fil des siècles en Alen.

Garance connaissait ces légionnaires depuis son enfance. Le groupe avait choisi de les suivre jusqu'en Essenie à la suite de leur départ précipité de la forteresse d’Eriaud il y a treize ans. Bien que les Chevaliers aient toujours été en mesure de gérer les tâches administratives de l'ordre, le fait que d'autres qu'eux le fassent les soulageaient grandement. Ils étaient ainsi libres de se concentrer sur leur mission principale, chasser les monstres et créatures nuisibles à la population, de jour comme de nuit.

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