Chapitre 4 (3/4)

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Cette nuit-là, Cebeon et Anceus étaient de garde. Malgré la pénombre, il ne fallut pas longtemps aux deux gardes pour repérer la jeune femme qui s'approchait à grands pas de la porte piétonne.

— Aha ! Il semblerait que notre bonne vieille Garance rentre enfin de mission. Tu en as mis du temps dis-donc.

— Alors, comment cela s'est-il passé avec nos amis les fantômes ?

— Comment veux-tu que cela se soit passé, Anceus ? Ce sont des Beaumont dont tu parles. Une vraie bande de pestes.

— Cela, je n'en doute pas un seul instant, répondit-elle en riant.

— Si tu cherches le commandant Mortis, sache qu'il est dans son bureau. Les autres sont probablement encore au réfectoire.

— Très bien. Merci, Cebeon.

Anceus, une elfe noire native de l’Alen, tourna le dos à Garance et s'approcha de la porte d'entrée de l'hôtel. Elle donna plusieurs coups de poing sur la surface ouvragée tout en interpellant l'homme situé de l'autre côté.

— Irvirn ! Ouvre la porte. Dame Mortis est de retour.

Anceus se recula et rejoignit la place qu'elle avait préalablement quitté. Pendant ce temps, Irvirn s'attela à déverrouiller la porte qu'il ouvrit en grand dans la seconde qui suivit.

— Bonne nuit. A demain mes amis.

— A demain, Garance.

— Reposez-vous bien, Dame Mortis.

La jeune femme leur adressa un dernier geste de la main avant de pénétrer dans l'enceinte de la cour intérieure de l'hôtel. Elle salua à son passage Irvirn qui ne perdit guère de temps pour refermer l'épaisse porte en bois derrière elle.

Garance prit immédiatement la direction du bureau de son père situé au rez-de-chaussée du bâtiment principal. Sur son chemin, elle aperçut deux des domestiques de la demeure passer sous les arcades et transporter des plats de la cuisine au réfectoire où se trouvait Morga, Sérion et son frère, William. Pour ses camarades, l'heure du dîner était loin de toucher à son terme en témoignaient les nombreux éclats de voix en provenance de la pièce. Son estomac se manifesta bruyamment. Les odeurs de viandes et de pommes de terre rôties lui mettaient l'eau à la bouche.

La mage emprunta l'une des trois entrées de l'édifice et atteignit le bureau de son père au bout d'une dizaine de mètres. A l'instant où elle se saisit de la poignée, elle entendit son père s'adresser à une deuxième personne qu'elle devina être Walther.

— La situation est si grave que cela ?

— J'en ai peur, Victor. Les informations que nous avons reçues sont alarmantes. Il va nous falloir agir en conséquence et se préparer au pire.

— Je vois... Garance, rentre donc au lieu de nous espionner.

La jeune femme sursauta puis ouvrit la porte en grand.

Le bureau de son père se situait à l'arrière du bâtiment, placé à l'abri des regards indiscrets. En dépit de sa petite taille, il s'agissait d'un lieu familier pour Garance, une pièce accueillante où l'on se sentait bien. Les murs étaient pour la plupart recouvert d'étagères remplies d'une multitude de parchemins et manuscrits variés. Les épais rideaux sombres à l'arrière avaient été tirés afin d'offrir un peu plus d'intimité au maître des lieux. Pour lui, il était important d'éviter tout regard non désiré.  

Au milieu de la pièce, de part et d'autre du bureau en bois précieux, se trouvait Victor Mortis et Walther Balfein, son second. L'adjoint avait une carrure impressionnante. Chauve, son faciès aux traits durs était traversé en diagonale par une première cicatrice tandis qu'une deuxième, plus fine et plus petite, couvrait le coin gauche de sa bouche. L'homme se tenait debout, son manteau de cuir marron sur le dos et son chapeau coincé sous le bras gauche. Il portait sous son vêtement encore humide un plastron ouvragé frappé du blason de la Légion, un corbeau aux ailes déployés. Les ancêtres des Mortis étant à l'origine de la création de leur ordre, il n'était pas surprenant de les voir partager ainsi un de leur symbole, à la fois porteur de vie et de mort.  

Le père de Garance lui faisait face assis dans son vieux fauteuil tapissé de cuir. Il tenait en mains une missive en provenance de l’Agertha, un pays dirigé par la Légion et situé au centre du continent alenois et au nord-ouest de l'Essenie.  

Garance referma la porte avant de s’avancer jusqu'à son bureau. A ses côtés, Walther la toisait d’une bonne tête et demie.   

— Je suis navrée, papa. Je n'avais pas l'intention de t’épier de la sorte. J'ai simplement été surprise d'entendre la voix de Walther. (Elle tourna sa tête vers lui.) Nous nous attendions tous à ne te voir rentrer que demain soir.  

— Un pli urgent pour ton père de la part du haut commandement. Le messager qui devait la livrer à Portelune est passé par la forteresse de Mérina. Il a insisté sur l'importance de son contenu. J’ai donc écourté ma visite et suis rentré aussi vite que possible.  

— C'est ce dont vous parliez plus tôt n'est-ce pas ? Cela avait l'air assez préoccupant.  

— Ça l'est mais ne nécessite en rien que tu t'inquiètes à titre personnel.  

— Je vois...  

Garance se tut, un peu déçue qu'il ne se montre pas franc avec elle. Bien que le contenu de cette lettre ne soit pas réservé à ses yeux, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle ait peut-être un lien avec les récents événements.  

Walther observa sa réaction en silence. Il n'était pas dupe. Comme il le pensait depuis quelques temps, elle se doutait bien de quelque chose. Après tout, il avait été son mentor pendant plusieurs années, avant que son père ne reprenne la main pour achever son apprentissage. Elle était loin d'être stupide. Ignorante de nombreuses choses, c'est vrai, mais pas stupide. Garance était là pour faire son rapport mais une petite voix lui disait qu'autre chose motivait sa présence.

Le second décida de les laisser discuter entre eux ; peut-être en verrait-il plus tard le résultat. Il salua Garance qui lui rendit son geste en souriant. Il couvrit sa tête de son chapeau puis sortit de la pièce.  

Garance se tourna vers son père. Victor replia la lettre et la plaça sur un coin de son bureau non loin d'un petit encrier en argent. Il posa ensuite ses coudes sur la surface du meuble avant de joindre ses mains et d’y déposer son menton.

Un léger sourire apparut sur ses lèvres. Il se remémora vivement leur arrivée en ce royaume, treize ans auparavant. Celle qui n'avait été à l'époque qu'une enfant abattue par la mort brutale de sa mère était devenue une jeune femme forte et indépendante doublée d'une mage de guerre prometteuse. Elle s’en était bien sortie malgré les obstacles. Mais ce sourire fit vite place à une expression autrement plus sérieuse. Le moment était mal choisi pour de la nostalgie.  

— Bien. J'ose espérer que les autres nuisibles ne t'ont pas donné trop de difficultés.  

— Ah, oui... Les nuisibles... Je commence par qui ? Celui de la taverne, celui de la grande porte ou ceux de la crypte ?  

— Que veux-tu donc dire par là ? lui demanda-t-il piqué par la curiosité.  

Garance s'attela alors à lui raconter les divers événements de la soirée. Elle commença par sa nouvelle altercation avec le dénommé Vancel, poursuivit avec le jeune soldat de la grande porte et finit avec les Beaumont. Sur l'ensemble de ses explications, elle consacra le plus de temps à la découverte de ce passage menant aux souterrains ainsi qu'à cet étrange groupe qui en avait eu connaissance.  

A la fin de son récit, l'expression sur le visage de Victor mêlait inquiétude et surprise. Voici une nouvelle à laquelle il ne s'attendait certainement pas. Il se leva de son fauteuil et tourna le dos à Garance. Il approcha des deux baies géminées situées derrière lui et repoussa de la main un pan d'un des rideaux. D'un œil attentif, il observa la rue qui bordait plus bas le mur arrière de la bâtisse. Une patrouille du corps des Veilleurs la traversait actuellement.  

Il n'était guère surpris que sa fille ait trouvé le passage dans la crypte. Elle aurait fini par le savoir de toute manière, tôt ou tard. Il laissa retomber le rideau et se tourna vers Garance.  

— Et qu'est-ce qui te fais dire que ce ne sont pas de simples pillards ?

Cette nouvelle le troublait.  

— Ils savaient précisément où se trouvait l'entrée et n'ont eu aucun mal à détruire la barrière qui y avait été placée. Barrière qui, je pense, est loin de t'être inconnue. Je me trompe ?  

Elle croisa ses bras et fixa son père d'un œil accusateur. Elle lui en voulait un peu de ne pas lui avoir fait confiance. Victor comprenait sa réaction et ne chercha pas à se défendre.  

— Non, pas le moins du monde. Alan et moi-même l'avons renforcé il y a treize ans. Elle s'était énormément affaiblie. Que peux-tu me dire d'autre ?  

Il s'avança et se plaça face à elle, les mains jointes dans le dos.  

— Ils ont réussi à isoler un des trois imbéciles dans les murs de sa propre crypte. Ça et la destruction de la barrière prouvent qu'il y a au moins un mage compétent au sein de ce groupe. De plus... (Elle soupira.) A part toi, Alan et probablement Walther, y a-t-il qui que ce soit d'autre au courant ?  

— Non, tu es la seule à savoir...pour le moment. Pourquoi me demandes-tu cela ?  

Elle vint s'asseoir sur le rebord du bureau de son père.  

— Ah, tu plaisantes là ? (Elle rit et décroisa les bras.) J'ai entre mes mains une information qui n'est connue en ce royaume que de l'un des quatre chefs de la Légion, de son second et du Bibliothécaire de la cour essenienne qui s'avère être au passage un Sage des Grandes archives, par conséquent... Tu peux m'expliquer comment une bande de simples pillards auraient pu mettre leurs mains sur une information pareille ?  

Elle avait formulé une interrogation pertinente. Il fouilla dans sa mémoire. A l'exception des trois qu'elle venait de citer et des autres Grands commandants, le seul qui avait connaissance de la galerie était l'homme qui l'avait précédé à la gouvernance de l'hôtel Portelune. Mais il avait actuellement la charge de la forteresse d’Arnstein dans le royaume d'Anora, une contrée éloignée au nord-ouest d'ici. Il ne savait que lui répondre.  

— Tu as raison... Cela ne me plaît pas... (Il soupira.) Je vais en discuter avec Walther puis je contacterai Alan. Il va nous falloir combler ce trou en attendant que l'on en sache plus. Garance, n'en parle pas aux autres pour le moment et surtout pas aux légionnaires. S'il te plaît. Je leur fais confiance mais je préfère cette information dans les mains du moins de personnes possibles. De préférence, seulement les hauts-gradés. Je mettrais les autres au fait de cette situation plus tard, c'est promis.  

— Très bien. Je garderai le secret. Néanmoins... Tu peux au moins m'expliquer pourquoi vous ne nous avez rien dit ? Qu'à ce passage de si important pour la Légion ? Quelle est l'histoire derrière ?  

Victor la fixa des yeux un instants. Devait-il lui en dire plus ? Elle avait beau être sa fille, il n'en restait pas moins Grand commandant de la Légion et son supérieur hiérarchique. S'il y avait des choses qu'elle n'avait pas à savoir il n'avait par conséquent rien à lui dire.

Mais il décida quand même de le faire. Il supportait de moins en moins de devoir mentir à ses enfants même si cela était parfois nécessaire. Il rejoignit Garance et s'assis à son tour sur le rebord.  

— Il s'agit d'un des trois accès secret aux ruines dont nous avons hérité suite au départ des Grandes archives, il y a cent-trois ans. Comme tu le sais, le bâtiment dans lequel nous sommes fut leur bibliothèque. Ils s'étaient installés ici dans le but d'étudier les ruines d'Agrisa et avaient besoin d'une…disons documentation particulière. Et quand je dis particulière, je veux parler de manuscrits et parchemins faisant parti de la longue liste des écrits prohibés en Essenie, et au sein d'autres royaumes du sud.

Du fait de leur affiliation à l'église aellionienne, ce royaume avait toujours eu une politique stricte quant à certains écrits antiques. Que cela soit dans le cadre d'études ou encore de simple archivage, cet état avait purement et simplement interdit un grand nombre de ces ouvrages jugés hérétiques, païens ou encore comme mettant en danger la stabilité de la société.

—Nos alliés ont donc jugé préférable de mettre à leur disposition un lieu de passage discret et à l'écart de la cité. C'est aussi grâce aux Sages que les Noirelames ont pris le contrôle des premiers et seconds niveaux des souterrains.  

— Ils souhaitaient donc brouiller les pistes... J'ai aussi eu vent de cette loi. Alan m'en a parlé. Le seul fait de posséder un de ces ouvrages peut être passible de la peine capitale. Donc, si je résume, cette galerie leur servit de canal de distribution et d'échange pour l'ensemble de ces écrits dits « interdits » dont ils avaient besoin pour leur étude. C'est bien cela ?  

— Tout à fait.  

La jeune femme dirigea son regard vers le sol et croisa ses bras. Son père ne manqua pas de remarquer son changement d'expression.  

— Quelque chose semble te troubler, Garance.  

— Ce n'est rien de grave... Je repensais aux ashéens... Leur civilisation s'est entièrement éteinte il y a près de trois mille ans et la cité qu'ils ont construite ici a fini par faire partie intégrante de l'histoire de ce pays... Quel intérêt ont-ils à censurer des connaissances les concernant ? Ne devraient-ils pas plutôt les promouvoir auprès de leurs érudits ?

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