Chapitre 4 (4/4)

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Son père acquiesça à ses questions.

— Toutes ne sont pas censurées, seulement celles en lien à l'étude de leurs savoirs religieux et magiques. Et en particulier celles sur les Abysses, lui répondit-il en se levant.  

Voilà un terme qui faisait froid dans le dos.  

— Les Abysses ? Les ashéens appelaient cet endroit, l’Inconnu, si je me souviens bien. La terre d'ombre maculée de sang et de folie... Pas étonnant que l'église aellionienne ne veuille pas en entendre parler.  

Son père ne dit rien dans l'immédiat et se dirigea vers un petit guéridon sur lequel reposait une carafe de vin. Il s'en saisit puis versa le liquide rouge dans un deux verres présents. Reposant la carafe à son emplacement initial, il attrapa son verre et rejoint sa fille.  

— Tu sais bien qu’en ce monde, certaines personnes ne sont pas en capacité d’essayer de comprendre ou de saisir ce qui possiblement les dépasse. Ils préfèrent bannir ce qui les effraient, enterrer cette menace sous les beaux principes des mythes et des légendes et prétendre que rien de tout cela n'a jamais existé. Ils choisissent de tenir la vérité à distance plutôt que d'avoir le courage d'y faire face, quitte à y laisser des plumes au passage. Et après, nous sommes les inconscients... 

— J'imagine que c'est pour cette raison que les Grandes archives se sont installées ici. Agrisa a fricoté avec les Abysses et ils ont fini par le découvrir ?  

— En effet, même si personne ne sait vraiment de quelle façon. Il a fallu aux Grandes archives près de trois siècles de négociations et de manipulations pour obtenir la permission de s'installer en Essenie. Les gens étaient si terrifiés que personne ne voulait en entendre parler. Cet état d’esprit a duré un temps.  

— J'imagine aussi que c'est pour cela que tu ne veux pas que nous descendions au-delà du quatrième sous-sol.

— Oui.  

Garance et son père se turent pendant quelques instants. L'air s'était alourdi. Pour les membres de leur ordre, mentionner l’Inconnu était toujours source de préoccupation. Son père porta son verre à sa bouche, qu'il vida d'un trait, à grandes gorgées. Ce n'était pas un sujet qu'il appréciait aborder.

Garance inspira un grand coup et poursuivit la conversation.  

— Le roi et la cour sont au courant de tout cela ? Et les hauts représentants des Trois ?  

— A l’exception des Diaths de Lothrean et de Lilua, aucun ne l’est. Les Grandes archives et la Légion sont plus ou moins parvenues à taire ces informations. Ils savent que les ruines sont envahies de morts-vivants pour des raisons surnaturelles mais cela s'arrête là.  

Victor soupira. Il posa son verre derrière lui sur le bureau.  

— Sinon, pour revenir à ta question initiale, cet accès dans la crypte des Beaumont est devenu pour nous une de nos voies de secours. Un point de sortie discret. A l'écart des yeux de la garde...et du roi. Au cas où les choses tourneraient mal.  

— Cela fait un siècle que nous sommes ici. Pourquoi tourneraient-elles mal ?

— Pour de multiples raisons.

  Il ne voulait pas aller plus loin, la discussion prenant un tournant qu'il n'appréciait guère.  

— Papa...

De nouveau il restait évasif sur ces sujets. Seulement, elle ne pouvait plus le laisser faire ainsi, pas après ce que Maugran Berort lui avait raconté.

— Puisque nous abordons le sujet… J'ai un message pour toi, de la part de Maugran Berort.  

Victor prit une profonde inspiration.  

— Le capitaine des Veilleurs... Si tu me dis cela, c'est que tu es passé le voir.  

— Oui.

— Et qu'a-t-il à dire ? demanda-t-il, méfiant.  

— De prendre garde aux membres de la cour. En particulier de Baldwin Thralond, de Henrik Aerelm et de leur cher souverain, si loin de nous porter dans son cœur. Et il insiste fortement pour que tu le fasses. Cela le troublait vraiment.  

Loin d’avoir élevé des idiots, Victor savait pertinemment où elle voulait en venir en lui parlant de cela. Peut-être aurait-il dû être franc avec sa fille quand elle était venue le voir la veille.

— J'imagine donc que tu sais pour la « rumeur » ... Maugran. Espèce d'imbécile...  

— Il m'a dit que tu réagirais ainsi... Tu sais bien que nous aurions fini par l'apprendre tôt ou tard.  

Silencieusement, Victor remplit une nouvelle fois son verre. Garance hésitait à approfondir le sujet.

— Est-ce que c'est vrai alors... Cette histoire sur les massacres à l’est... Pour être franche, j'espère que ce n'est rien d'autre qu'une grande farce, parce que cela fait un peu froid dans le dos.  

— Si seulement. J'aimerai que cela en soit une.

Il avala une grande gorgée. Garance se leva brusquement du bureau. Elle se tourna vers son père. La stupeur s'affichait sur son visage.  

— C’est une plaisanterie ?

— Je suis très sérieux, Garance, lui répondit-il la mâchoire serrée.  

La jeune femme n'en croyait pas ses oreilles.

— Cela ne peut être des membres de l'ordre. C'est impossible.  

— Pour les trois autres Grands commandants, tout porte à croire que non mais… On ne sait jamais. Nous pourrions très bien avoir des traîtres dans nos rangs.  

— Et... Et s'il s'agit bien de membres de la Légion ?  

Elle lui fit face tandis qu'il reposait violemment son verre sur le bureau. Cette histoire le mettait hors de lui. Victor regarda sa fille droit dans les yeux. Le ton qu'il employa était tranchant et brutal.  

— Dans ce cas, je me ferai un plaisir de leur trancher moi-même la gorge. Aucun de ces félons ne vivra assez longtemps pour voir le jour suivant se lever. Ça, c'est une promesse que je fais.

Son père n'était pas le genre de personne qu'il était raisonnable de se mettre à dos. Qui que soient ceux à l'origine de ces horreurs, elle sut à ce moment précis que leur mort serait lente et douloureuse.

Elle l'observa avec inquiétude. Elle ne l'avait encore jamais vu dans un tel état et encore moins avec un visage aussi froid.  

Les événements récents avaient pris une tournure préoccupante. Garance craignait pour la suite. Que se passerait-il si les autorités du pays finissaient par apprendre que cette soi-disant rumeur était vraie ? Absolument rien de bon. Elle ne serait alors guère surprise de voir la populace à leurs portes réclamer leur mort et les prêtres de la Lumière se feraient probablement un plaisir de répondre à leur demande tout en se présentant comme leurs "saints sauveurs". La suite de ce scénario inclurait très certainement la place principale de la capitale et un bûcher. Dans tous les cas, la Légion se trouvait désormais dans une situation compliquée.  

Victor sentait à quel point son annonce perturbait Garance. Il ferma ses yeux un court instant et prit une profonde inspiration. Il se leva ensuite de son bureau avant de se diriger vers sa fille qu'il serra dans ses bras. Il lui caressa le cou avec tendresse.  

— J'ai conscience que tout cela te perturbe et tu m'en vois navré. C'est pour cette raison que je ne souhaitais pas mentionner le sujet... Ces attaques ont eu lieu à l'autre bout du continent et mes collègues ont été en mesure de juguler la diffusion de certaines informations. L'impact diplomatique a été plus violent dans les régions limitrophes mais ici... (Il soupira.) Pour le moment tout va bien, et ce malgré nos relations de plus en plus chaotiques avec la cour depuis près d'un an. Mais j'ai conscience que cela ne justifie pas pour autant notre sécurité pleine et entière. Il va nous falloir faire avec. Cette macabre histoire ne doit pas nous empêcher de faire notre travail. Alors essaie de ne pas trop t'en faire, d'accord ?  

Garance avait fermé les yeux. L'enserrant dans ses bras en retour, elle écouta attentivement chacun de ses mots. Elle lui faisait confiance. Elle lui avait toujours fait confiance. Victor prit son visage dans ses mains. La jeune femme rouvrit ses yeux et leva la tête. Souriant à son père, elle acquiesça de la tête puis posa ses mains sur les siennes.  

— Tu as raison. Pardon, je... Je n'aurais pas dû réagir de la sorte. C’était maladroit.  

Son père la relâcha et lui donna une tape amicale sur l'épaule.

— Papa...  

— Qu'y a-t-il d'autre Garance ?  

— Je suis désolée pour tout à l'heure. Quand je suis allée voir Maugran, je ne voulais pas te forcer la main. C'est juste que... Tu avais l'air si anxieux hier après-midi que je n'ai pas pu m'en empêcher. Ça et nos soucis de communications avec les autorités... J'essaierai de faire en sorte que cela ne se reproduise plus, c'est promis.  

— Ne le sois pas... Je pense avoir aussi fait une erreur en vous cachant la vérité sur ce sujet. J'aurais dû vous en parler bien plus tôt, au moment même où j'ai obtenu ces informations. Va en paix ma fille. La faute est partagée.  

Garance se contenta de lui répondre d'un mouvement de la tête. Elle se retourna en direction de la sortie. Proche de la porte, elle tendit sa main gauche vers la poignée.  

— Une dernière chose... Aussitôt que tu sortiras en ville, tâche de rester sur tes gardes, peut-être même plus qu'avant. Et si soudainement, quoi que ce soit te paraît différent, n'hésite pas à nous en faire part, à moi comme à Walther.  

Elle lui fit face.  

— A vos ordres, commandant, lui répondit-elle tout en s'inclinant.  

Victor sentit une nouvelle détermination dans le son de sa voix. Reprenant place dans son fauteuil, cela le rassura.  

— Allez, file maintenant. Va donc te restaurer. Tu dois être affamée.  

— C'est peu dire. J'avalerai une vache entière, répondit-elle en riant.  

— Walther a dû rejoindre les autres. Si tu le trouves, dis-lui de revenir me voir.  

— Ce sera fait.  

Garance ouvrit la porte et sortit de la pièce.  

— Bonne nuit, papa. Essaie de prendre un peu de repos toi aussi.  

— Je sais, je sais... Allez, bonne nuit.

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