Chapitre 5 (1/4)

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Garance pénétra dans la cour en baillant. Ayant eu du mal à trouver le sommeil à la suite des révélations de son père, elle ne s'était finalement endormie que très tardivement dans la nuit.

Le soleil, qui trônait déjà haut dans le ciel, baignait la cour intérieure de l'hôtel Portelune de sa lumière. Contrairement aux jours passés, l'après-midi s'annonçait radieux. Quel dommage que Garance doive la passer six pieds sous terre, dans les tunnels humides et sombres d'Agrisa.

Un nouveau bâillement s'échappa de ses lèvres. Elle joignit ses doigts et étira ses bras en les soulevant au-dessus de sa tête.

— Voilà ce qui arrive quand on préfère passer sa matinée à dormir, fainéante.

Sérion lui sourit. Vêtu du même uniforme, il passa à côté d'elle et se dirigea vers la porte charretière de l'hôtel, entrouverte la journée afin de permettre aux habitants de la cité et de ses alentours de venir soumettre leurs requêtes. Celles-ci allaient du simple exorcisme à des contrats de chasse plus importants comme ce loup-garou qui terrorisa l'année passée les bûcherons à la frontière sud de la forêt de Lugram. Walther et William avaient traqué la bête pendant six jours avant de pouvoir mettre un terme à ses attaques.

— Allez la marmotte, c'est l'heure de travailler.

Il lui fit signe de le suivre de la main puis passa les portes et salua les gardes en faction.

Sérion Altra, cet elfe noir d'environ quatre-vingt-dix ans, était l'un des plus anciens compagnons d'armes de son père. Avec son teint sombre proche du noir, et ses cheveux gris, il était loin de passer inaperçu au sein de la foule, déjà importante, qui parcourait les rues de la haute-ville. Le continent d'Alen était en grande majorité peuplé d'êtres humains. Pour autant, il n'était pas rare de croiser dans les royaumes et cités qui le composait nombres d'elfes, de nains ou de lycans.  

Garance secoua la tête et sourit. Tout comme son frère, Sérion ne perdait jamais une occasion de la taquiner. S'avançant pour le rejoindre, elle fut vite retenue par une autre voix masculine, celle de son père.

— Garance, un instant je te prie.

La jeune femme se retourna et lui fit face.

— Père ?

— Tu es de patrouille aujourd'hui.

Victor s'approcha d'elle, vêtu du même uniforme que Sérion et sa fille à l'exception faite d'une étole en laine noire reposant sur ses épaules, brodée de pourpre et retenue par une fibule en argent. Garance remarqua un parchemin roulé dans sa main droite.

— Oui, nous nous apprêtions à partir.

— A quel endroit Walther vous a-t-il assigné ?

— Au sud-est de la cité. La zone comprise entre le cimetière Saint-Valantois et le port. Des spectres auraient été aperçut par les contrebandiers aux abords du troisième.

— Dans ce cas, j'aimerai que tu fasses un détour par la Bibliothèque. Elle n'est pas loin de votre chemin de toute façon.

Victor tendit alors à Garance le vélin qu'il tenait.

— Ce sera fait, répondit-elle tout en glissant le document dans une poche intérieure de son manteau.

— Je préviendrai Walther de votre retard en fin d'après-midi. Il serait dommage qu'il ne s'inquiète pour rien.

Garance croisa ses bras et haussa un sourcil.

— Pourquoi voudrais-tu que nous soyons en retard ?

— Garance, voyons... Tu connais Alan. Tu sais pertinemment qu'il insistera pour vous garder quelques minutes, si ce n'est une heure entière, à discuter autour d'un verre. Cela fait presque un mois qu'il ne t'a pas vue, lui répondit-il en souriant.

Garance soupira. Levant les yeux au ciel, elle laissa ses bras retomber le long de son corps.

— Ah oui, c'est vrai... Je te jure, celui-là alors. Je vais rejoindre Sérion. A ce soir, père.

— Une dernière chose, jeune femme.

Il jeta un coup d'œil rapide aux alentours. Constatant que l'ensemble des domestiques et des gardes étaient concentrés sur leurs tâches en cours, il poursuivit, le ton de sa voix se faisant plus bas.

— Par rapport à ce dont nous avons discuté hier. Sache que j'ai mis les autres au courant dans la matinée alors que tu dormais. Ne sois donc pas surprise s'ils décident d'aborder le sujet dans les heures ou jours à venir.

— Très bien, merci pour l'information papa.

Son père posa quelques instants ses mains sur ses épaules en un geste qui se voulut rassurant.

La discussion de la veille lui revint en mémoire. Après le départ de Garance, lui et Walther avaient longuement discuté et celui-ci lui avait admis que si sa fille n'était pas venue lui forcer la main comme elle l'avait fait, il en aurait parlé à tous deux ou trois jours plus tard. Victor reconnut qu'il s'était montré le plus têtu des deux.

Plus d'une fois avait-il menti à Garance et William dans le but de les protéger et, bien qu’il estimât ces actes nécessaires, il n'en était pas fier. Il les savait pourtant capables de surmonter les obstacles que la vie mettrait sur leur chemin. Mais l'ombre de la mort de son épouse revenait souvent le hanter et, lorsque cela lui arrivait, il était assailli de diverses pensées angoissantes à leur égard.

Il chassa vivement ces idées désagréables de son esprit et relâcha sa prise sur les épaules de sa cadette.

— Allez, dehors maintenant. Et prenez garde à vous dans les souterrains.

Garance s'éloigna doucement de son père.

— Cesseras-tu donc un jour de t'en faire ? lui répondit-elle le ton enjoué.

Elle secoua sa tête et se retourna en direction de l'entrée afin de rattraper son collègue. En sortant, Garance salua à son tour les gardes puis chercha Sérion du regard. Il se trouvait à sa gauche, adossé tranquillement contre le mur du bâtiment. Les bras croisés, il sifflotait un air connu de bien des bardes, les Souvenirs du bal des Sandre, contant les mésaventures d’un jeune noble lors du bal masqué le plus renommé du reinaume de Valei.

Sérion se redressa à l’approche de Garance. Contrairement à sa collègue, il n'avait que pour seules lames visibles deux dagues chacune disposée d'un côté de sa ceinture. Les membres de l'ordre étaient depuis toujours libre de choisir leurs armes et il n'était pas rare d'en voir certains se focaliser uniquement sur leur magie.

— Un problème ? demanda-t-il.

— Non. Père nous demande de faire un détour par la Bibliothèque. Il veut que je transmette une lettre à oncle Alan.

— Dans ce cas...cela ne sert à rien de longer les remparts de la haute-ville... Passons plutôt par la grand-place.

Garance rit.

— Le jour de l'ouverture de la foire ? Tu aimes le danger, dis-moi.

Elle appuya son commentaire en indiquant de sa tête la foule qui se pressait dans l'avenue en direction de la place principale de la capitale. Sérion se contenta de rire. Il s'avança dans l'avenue, suivi de près par la jeune femme.

Ils se frayèrent tant bien que mal un chemin jusqu'à l'entrée de la grande foire d'automne. Cet événement, attendu des artisans et marchands du pays entier, avait démarré tôt dans la matinée à la suite du discours plutôt expéditif du bourgmestre Enel Onrastre.

Le duo préféra faire le tour de la place afin d'éviter le plus gros de la foule amassée au centre. Riches propriétaires de la haute-ville et bourgeois plus modestes de la basse se côtoyaient en un rapide et bruyant ballet. De temps à autre, mendiants et autres voleurs issus des bas-fonds pouvaient être croisés au milieu de la foule distraite. Quelques-uns parvinrent à faire les poches des passants les plus insouciants, s'éloignant au plus vite de leurs victimes, un sourire satisfait sur les lèvres. Garance et Sérion en remarquèrent quelques-uns sans pour autant réagir. Cela était l'affaire des gardes de la cité et tant que ces malfrats n'essayaient pas de s'en prendre à eux, ils se contenteraient de les ignorer.

Ils eurent du mal à s'extirper de la grand-place étant donné le nombre de personne qui allaient et venaient d'un étal à l’autre. Peut-être que longer les remparts comme ils l'avaient initialement prévu aurait-il été une meilleure idée mais Sérion ratait rarement l'occasion de se mêler à la foule lors des grands événements annuels. Le message de son père pour Alan avait simplement été l'excuse parfaite pour ce trajet.

Repensant d'ailleurs à son père, elle décida d'entamer elle-même la conversation sur ce sujet devenu quelque peu problématique pour eux. Elle jeta au préalable un rapide coup d'œil autour d'elle préférant s'assurer de l'absence de quelconques oreilles indiscrètes. Mais soudainement, dans la seconde qui suivit, Sérion lui attrapa le bras et la tira dans une petite ruelle adjacente bien moins bondée. Garance, surprise, se demanda où il voulut en venir en agissant de la sorte. Étaient -ils suivis ? Elle n'avait pourtant rien remarqué d'anormal.

— Les bains de foule ont leurs charmes mais ils ont aussi leurs limites, expliqua-t-il en la relâchant.

Garance soupira, soulagée que rien de grave ne fut sur le point de se produire. Sérion avait toujours eu un don pour agir de façon imprévisible. La jeune femme se demandait souvent comment Walther et son père faisaient pour en permanence deviner ce qu’il s'apprêtait à faire.

Son collègue la tira hors de ses pensées.

— De plus, j'ai bien senti que tu souhaitais aborder un sujet qui, au vu de ta façon d'observer les alentours, m'a semblé plus ou moins...contrariant.

Garance comprit finalement où son ami avait voulu en venir. Elle soupira une nouvelle fois puis poursuivit avec son intention de départ.

— Père m'a mis au courant concernant la petite discussion que vous avez tous eu en tête à tête avec lui tôt dans la matinée.

— Ah oui... Cette nouvelle ne nous a guère enchanté. Tu aurais dû voir la tête que ton frère a fait. J'ai bien cru que le pauvre allait s'évanouir sur place. Cela aurait été quelque peu embêtant.

Garance sourit.

— Je m'en doute. Sacré William. Sinon, avez-vous eu le temps d'en discuter ? Des premières impressions ?

Garance savait pertinemment que spéculer sur le sujet ne changerait absolument rien au problème. Elle posa cette question plus pour se rassurer que pour tenter d'apporter des réponses.

— Nous n'avons guère eu le temps d'aborder le sujet. Et pour ce qui est de mes premières impressions... Hmm... Au vu de notre réputation, je serai tenté de dire que quelqu'un cherche certainement à nous porter préjudice. En tous cas, cela fait partie des actions que j'envisagerais. Et pour ce qui est du motif, cela pourrait être n'importe quoi. Ce ne sont pas les ennemis ou les raisons de nous en vouloir qui manquent.

— C'est vrai, tu as raison. Beaucoup sont loin de nous porter dans leur cœur. De plus, je trouverais surprenant qu'une part importante de notre faction est choisie de se rebeller de la sorte. Il est certes déjà arrivé que des chevaliers ou des légionnaires finissent par être en désaccord avec certaines de nos pratiques, bien que cela fut rare, mais... Ces gens se sont généralement contentés de quitter à l'amiable la Légion et de simplement aller voir ailleurs... La teneur des faits de cette histoire... Cela parait juste...étrange.

— Soit ces agresseurs se sont fait passer pour les nôtres, soit les nôtres sont tout simplement devenus fous. Dans le cas de la seconde hypothèse, « étrange » est un terme intéressant...bien qu'un peu faible.

— Oui... Étrange mais malheureusement pas impossible.

Sérion mentionnant le terme « fou », la jeune femme repensa alors à cette histoire qu'Alan lui avait raconté quand elle était enfant.

Il y a plusieurs décennies, un village entier avait succombé à une folie meurtrière. Des « voix venues d’ailleurs » avaient ordonné aux habitants de s’entretuer. Les Chevaliers noirs, à l’époque dépêchés sur place par le souverain des lieux, constatèrent vite que les Abysses étaient responsables de ce ravage. Ils avaient retrouvé l’ensemble des corps/cadavres mutilés des villageois suspendus dans les airs, immobiles. Ils éliminèrent un à un tous les survivants qu’ils trouvèrent même ceux qui n’avaient pas encore succombés à la folie, adultes comme enfants, de sorte que le Sang noir de l’outremonde ne se propage pas plus en avant.

A la fin de ce récit glaçant et devant la réaction indignée de la fillette qu’elle fut à l’époque, Alan expliqua qu’il n’existait aucun remède, aucun sort ou rituel capable de soigner ces gens de cette affliction, ce qui rendit ces morts inévitables. Chaque apparition des Abysses se finissait en tragédie.

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