Chapitre 5 (2/4)

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Cette histoire rejoignit la longue liste des récits qui entachaient leur réputation mais c'était là un sacrifice auquel beaucoup avaient consenti depuis longtemps. La Légion avait accepté de supporter le poids de ces morts. Elle préférait ne pas faire miroiter de vains espoirs de guérison aux victimes ou à leurs proches. Mentir ne ferait qu'aggraver les choses.

Agréer à cette réalité était difficile pour une grande majorité de la population. Elle avait relégué depuis bien trop longtemps les Abysses au rang de légende ou de mythe.

Sérion y songea lui aussi. Mais contrairement à Garance, il avait eu l'occasion d'être témoin des dégâts qu'ils pouvaient provoquer et il espérait vraiment que l'enquête ne prendrait pas cette direction.

— Ces possibilités, aussi saugrenues puissent-elles te sembler Garance, ne sont malheureusement pas à écarter.

Ils empruntèrent un escalier puis passèrent par un chemin un peu plus étroit situé à l'arrière de la banque des frères Laurentois. La fenêtre étant entrouverte, Garance et Sérion eurent le bonheur d'entendre une nouvelle fois l'aîné de la fratrie vociférer ses ordres à ses employés comme un vulgaire esclavagiste.

Poursuivant leur route, les deux mages atterrirent dans une nouvelle avenue, bien moins engorgée que celles menant à la grand-place et au château. Leur première destination n'était maintenant plus bien loin.

— Pour ce qui est de la première hypothèse, concernant les autres potentiels coupables, je vois mal l’Ordre d’Eril agir de la sorte, en dépit du manque de sympathie évidant qu'il nous porte. Bien qu'il profite déjà très certainement de cette sinistre affaire. Erinan Sofra doit être en train de jubiler sur son trône... Ah...qu'importe... Comme tu l'as dit, aucune piste n'est à écarter.

— Certes mais... Les Mortis dans ce cas ? Après tout, je ne serai guère surpris qu'ils n'en arrivent à de telles extrémités dans leur quête aveugle de justice. Il est vrai que la Légion et son domaine ont fait sécession du royaume d’Evragartha il y a quatre cents ans, à la suite du conflit qui opposa les sœurs Léliane et Irélia Mortis. Sans oublier que les descendants de cette dernière ne l'ont jamais accepté et continuent encore aujourd'hui de nous voir comme des traîtres. Pour être franc, il serait bon qu'ils se trouvent un autre passe-temps.

Garance ne put s'empêcher de hausser un sourcil.

— Leurs descendants ? Vous voir comme des traîtres ? (Elle rit.) Dois-je te rappeler, que tu côtoies couramment trois d'entre eux à longueur de journée ? Il est vrai que tu nous entends souvent nous plaindre à ce sujet.

Sérion prit alors un air faussement offusqué.

— Jamais ne me permettrai-je une telle comparaison. Vous portez certes le nom des Mortis mais ne ressembler nullement à l'actuelle famille royale. Très honnêtement, je pense que vous seuls incarnez véritablement l'âme de cette Maison ou de ce qu'il en reste...

— Flatteur.

— C'est la vérité voyons et je ne suis pas le seul à le penser. De plus, il n'y a rien de très surprenant quant au fait que ton père soit rapidement devenu l'un des Grands commandants de la Légion. Certes, c’est avant tout pour ses compétences en tant que meneur et mage de bataille qu’il fut promu mais il y avait tout de même une part non-négligeable de provocation à l’égard de nos voisins à l’est. Ton père est le seul à avoir eu assez de jugeote pour leur tourner le dos comme il le fit. J'imagine que cela devait être lassant de les entendre se plaindre à longueur de journée.

— Je n'en sais rien... Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de discuter avec lui de sa jeunesse, de l'époque avant qu'il n'épouse ma mère. Il n'aime guère en parler. La seule chose que je sais, c'est que peu de temps après son départ, une fois engagé dans la Légion, père aurait été banni d’Evragartha pour avoir trahi la confiance de sa famille et de sa souveraine. Au passage, il nous a décrit sa cousine comme étant, et je cite, "une vieille chouette folle et aigrie".

— De ce que j'en sais, il s'agit là d'une description plutôt juste. Difficile de croire que vous soyez issus de la même lignée.

— Ce n'est peut-être pas plus mal que père soit parti. Quand on voit l'état actuel du royaume d’Evragartha, cela fait peine à voir. En l'espace de plusieurs décennies, il est devenu l'ombre de ce qu'il avait été. Enfin, je dis décennies mais père et oncle Alan me répétaient souvent étant petite que le royaume avait lentement amorcé sa descente aux enfers depuis au moins six siècles. Quant à savoir pourquoi, personne ne le sait vraiment, ou alors ils se gardent bien de le dire. Maintenant, c'est comme si une brume épaisse l'entourait et l'isolait du reste du monde. C’est aussi surprenant qu’aucune nation alentour n’ait cherché à profiter de sa faiblesse apparente.

Sérion observa le visage de son amie et y décela une certaine déception. Sa famille proche avait perdu de son éclat d'antan et se trouvait dans un état déplorable. L'elfe en était désolé mais pas autant que Victor, William et Garance qui devaient souvent faire les frais de cette triste réalité.

L'image actuelle de sa Maison était très éloignée des hauts faits contés par ses parents du temps de son enfance. Bien qu'ils se soient trouvés une famille en la Légion, une part d'elle-même se sentait seule et orpheline.

— Et nous voilà arrivés.

Le duo fit face à un immense bâtiment de deux étages, l'un des plus élevé de la haute ville après le château du roi et le Sanctuaire des Trois. La Bibliothèque royale où logeait le fameux mage de la cour, le Bibliothécaire, bordait la fin de la grande avenue Est sur une cinquantaine de mètres. L'établissement était ouvert au public les trois premiers jours de la semaine, du lever jusqu'au coucher du soleil. Les autres jours, il n'acceptait que les visiteurs autorisés par le doyen et demeurait entièrement fermé lors des fêtes et foires annuelles.

La façade était parsemée de grandes baies géminées à arc brisé. Quelques sculptures et bas-reliefs dépeignant maints érudits décoraient çà et là le reste de sa surface. Au rez-de-chaussée, une fenêtre à double battant servait d’unique point d’entrée à la bâtisse. Deux fenêtres à petits carreaux, protégées par des barreaux en acier, se trouvaient encastrées dans la moitié supérieure des épais panneaux en bois.

Garance se saisit du heurtoir à tête de dragon et cogna trois fois.

— Qui va là ? hurla brusquement un des domestiques de la Bibliothèque.

Les deux compagnons levèrent la tête. L'homme qui s'était adressé à eux se trouvait à la fenêtre surplombant l'entrée.

— Oh... Dame Mortis, Sire Altra. Bien le bonjour. J'imagine que vous souhaitez voir Maître Marxus.

— En effet. J'ai ici une missive à lui remettre en main propre et cela ne peut attendre.

— Je comprends, ma Dame. Je m'en vais le quérir sur le champ. Veuillez patienter un instant.

Le domestique referma délicatement la fenêtre derrière lui. Garance fit une légère grimace.

— J'imagine que comme d'habitude, seul Alan et Galbali ont en leur possession les clés de la Bibliothèque. Ah, ces Sages alors... Toujours aussi méfiants, chuchota-t-elle en direction de Sérion.

Il rit doucement.

— Difficile de leur en vouloir. En particulier quand on sait à quel point les Grandes Archives tiennent à leurs secrets.

— Tu n'as pas tort, dit-elle tout en observant les alentours du coin de l'œil.

Pourquoi avait-elle soudainement la désagréable sensation d'être épiée ?


*****


— Sales petits rongeurs ! C'est le quatrième livre qu'ils abîment ce mois-ci. Galbali ! Si nous les laissons faire, il n'y aura bientôt plus un seul manuscrit dans cette bibliothèque. Et à quoi peut bien servir un Bibliothécaire s'il n'y a point de livre à garder. A rien ! Voilà la réponse.

L'homme jeta un livre aux pages rongées sur une table placée non-loin de son bureau. A quelques pas de lui, son apprenti, Galbali Roanamora, essayait tant bien que mal de tempérer la situation.

— Je vous en prie, Maître Alan. Ne soyez pas aussi dramatique. Ces livres ne vont pas tous disparaître en l'espace d'une semaine.

— Aha ! On ne sait jamais. Ces animaux sont rusés et sont le cauchemar de tout érudit qui se respecte. (Il marqua une pause.) Non, je doute fort que des chats suffisent à eux seuls à clore l'affaire. Après tout, jusqu'à aujourd'hui, mes pièges se sont montrés fort efficaces.

Galbali ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel.

— Si efficaces qu'ils ont fracturé deux des doigts d'un de nos assistants. Cessez donc avec vos pièges, Maître. Mettez-les à la cave si cela vous chante mais par pitié, pas sur les étagères des bibliothèques, finit-il tout en insistant sur chaque mot.

Alan s'apprêta à répliquer mais fut interrompu par l’annonce de l’arrivée de Garance et Sérion quelques instants plus tôt. Le domestique se trouvait sur le pas de la porte, gêné de devoir mettre un terme à leur conversation.

— Maître Marxus...

— Qu'y a-t-il à la fin ? Ah... Mon brave Winfrey, que puis-je pour vous en cette si belle journée ? lui répondit-il, la voix plus détendue.

— La Légion est à la porte et elle attend.

Le regard d'Alan s'éclaircit.

— La Légion ? Ah, merveilleux ! Il doit certainement s'agir de ce bon vieux Walther. La semaine passée, il m'a promis une caisse d'un vin fort goûteux dont tu me diras des nouvelles, expliqua-t-il à Galbali.

— Il ne s'agit pas du Sire Walther, Maître, mais de la Dame Mortis et du Sire Altra. Une missive urgente à vous confier apparemment.

— Grands Dieux ! Ma petite Garance est à la porte ?! Merveilleux, fantastique ! ... Merci, mon brave. Allez donc nous faire chauffer de l'eau, voulez-vous ?

— Tout de suite, Maître.

Winfrey s'inclina puis pris la direction des cuisines. Alan se tourna ensuite vers son apprenti.

— Galbali, va donc leur ouvrir. Je me charge de mettre un peu d'ordre dans tout ce fatras. Il serait navrant de les accueillir dans de telles conditions.

— Sur-le-champ, Maître, finit-il tout en soupirant.

Il leva les yeux au ciel puis quitta la pièce sans un mot, laissant son maître empiler en tas grossier les nombreux parchemins de son bureau. Un acte qui souleva beaucoup de poussière et le conduit à tousser bruyamment. Alan ouvrit alors une des fenêtres de la pièce afin d'y amener un peu d'air frais.

Galbali descendit l'escalier principal du bâtiment. Une fois dans le hall d’entrée, il aperçut les silhouettes des deux chevaliers qui se dessinaient au travers des vitres de la porte principale. L’apprenti déverrouilla la porte à l’aide d’une des clés du trousseau qui se trouvait à sa ceinture. Il accueillit chaleureusement Garance et Sérion. Lui aussi était ravi de les revoir.

— Bienvenue ! Garance, Sérion, cela fait longtemps que nous ne nous étions pas vus ! Maître Alan est enchanté de vous savoir ici. Mais je vous en prie, entrez, entrez.

Galbali s'écarta afin de les laisser passer. Il leur fit signe de s'avancer dans le hall où il les rejoindrait. Sérion regarda Garance en souriant puis lui indiqua de s'engager la première.

— Ma Dame...

— La flatterie ne te mènera nulle part, mon ami, lui dit-elle, le sourire aux lèvres.

— De la flatterie ? Cela n'est point de la flatterie. Je me contente de me comporter en... Comment dites-vous déjà ? Ah, oui. En gentilhomme, voilà le terme.

La jeune femme secoua légèrement la tête, amusée par le comportement de son collègue.

Avant d’entrer dans le bâtiment, elle ne put s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil en direction de l'avenue. Quelque chose la dérangeait depuis leur arrivée ; elle sentait comme une faible présence mais n'arrivait toujours pas à déterminer exactement de quoi elle retournait. C’était d'autant plus étrange qu’elle n'était même pas capable d'en indiquer l'emplacement comme si cette sensation n'avait pas de point d'origine et provenait des quatre coins de la cité. La méfiance se lut sur son visage. Cela était loin d'être habituel.

Galbali remarqua vite le changement dans l’expression de Garance et se demanda ce qui avait pu provoquer un tel comportement de sa part, aussi fugace soit-il. Il était au courant des dernières nouvelles concernant la Légion mais... Quelqu'un les espionnaient-ils ?

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