Chapitre 5 (3/4)

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Tandis que Garance et Sérion entraient pour ensuite s'avancer dans le hall, Galbali usa discrètement de sa magie, voulant s'assurer qu'il n'y avait aucune présence suspecte dans les environs. Mais sa tentative ne révéla rien. Etrange. Peut-être se faisait-il des idées ? Il n'insista pas plus et referma la porte à clé.

L’apprenti les accompagna jusqu'au bureau d'Alan puis les laissa entrer les premiers. Les murs de l'immense bureau du Bibliothécaire étaient couverts de boiseries. Au centre se trouvait une grande table submergée de livres et de parchemins poussiéreux disposés en tas peu ordonnés. Le bureau d'Alan, moins encombré qu'au départ de Galbali, se situait au fond de la pièce.

Alan écarta les bras en un geste accueillant. Les épaisses manches en laine de son manteau pendaient d’une vingtaine de centimètres sous ses membres. Une épaisse ceinture en cuir agrémentée d'une multitude de poches cintrait sa taille et sa tunique, l'une d'elle contenant un journal dont le Sage ne se séparait jamais.

— Ah, Garance, Sérion ! Quelle joie de vous revoir. Quel bon vent vous amène ?

— Oh, pas grand-chose.

Garance sortit la missive de sa poche. Elle s'avança vers l'érudit et lui tendis la lettre.

— Père voulait simplement que je te confie ceci.

— Mmmh, je vois...

Alan s'empara du courrier. Il examina avec méfiance le sceau, se demandant ce que Victor Mortis pouvait bien lui vouloir. Le fait même qu'il confia ce document à un de ses mages et non au messager habituel de l'hôtel pouvait en dire long sur son contenu. Face à lui, Garance et Sérion se firent la même réflexion.

Il soupira puis s'adressa de nouveau à ses invités, une expression moins sombre sur le visage.

— Mais installez-vous. Winfrey sera ici d'un instant à l'autre avec de l'eau chaude. Une tasse de thé peut-être ?

— Très peu pour moi, oncle Alan. Tu sais bien que le thé est loin d'être ce que je préfère.

— Votre proposition est fort aimable, Sire Marxus, mais je crains de n'être obligé de la décliner. Une autre fois peut-être ?

— Bien, comme vous le souhaitez, mes amis. Mais...vous allez quand même rester quelques instants. Je n'ai guère eu l'occasion de discuter avec vous depuis longtemps. Vous n'avez pas autre chose de prévu, j'espère ?

— Toutes mes excuses, oncle Alan, mais nous sommes de patrouille aujourd'hui. Nous voulons bien rester mais pas plus de quelques minutes. Il ne serait pas raisonnable que nous nous éternisions trop longtemps.

— Je vois... Quelle déception... Bon, tant pis. Ce sera pour une autre fois.

— Avec plaisir, oncle Alan.

L'érudit les invita à s'asseoir d'un geste de la main. L'épée que Garance avait dans le dos rendait sa position peu confortable mais elle fit avec. Après tout, d'ici quelques minutes, ils seraient définitivement en route pour les souterrains. Dans le même temps, Galbali en profita pour refermer la fenêtre. Le but avait été d'aérer la pièce et non d'en baisser la température. Il rejoignit ensuite les invités de son maître en se plaçant debout à la droite de Garance et de Sérion.

Garance observa Alan chercher sa pipe sur un guéridon non loin de l’entrée. Il la trouva entre un livre et un petit tas de parchemins. Elle soupira. Depuis toujours, son oncle de cœur avait cette fâcheuse habitude de laisser traîner ses affaires n'importe où et il était facile de comprendre que parfois il ne les retrouve que plusieurs jours plus tard. Son bureau était rempli de curiosités de toute sorte à faire pâlir d'envie certains collectionneurs de la capitale et de ses environs.

A quelques pas de l'objet désiré, il vit Winfrey apparaître sur le pas de la porte avec en ses mains un plateau sur lequel reposait une théière et quatre tasses.

— Le thé, Maître.

— Ah, oui. Merci, Winfrey. Posez-le sur le bureau.

Alan attrapa sa pipe puis suivit le domestique jusqu'à sa destination. Tandis que celui-ci servait le thé, que Garance et Sérion refusèrent à nouveau poliment, le Sage prit le temps de la rallumer.

— Bien, vous pouvez disposer, dit-il tout en expirant une première bouffée de fumée.

— Maître.

Le domestique s'inclina de nouveau puis quitta la pièce. Une fois Winfrey parti, Alan se dirigea une nouvelle fois vers l'entrée, sa pipe tenue entre ses dents. Il sortit rapidement la tête de l'embrasure de la porte afin de s'assurer que personne ne se trouvait dans les environs. Il soupira, recula d'un pas et ferma la porte de son bureau à l'aide du trousseau de clés qui pendait à sa ceinture.

Il fit un nouveau pas en arrière puis réalisa un brusque geste du bras à l'horizontale. Un symbole composé de plusieurs cercles concentriques et d'autres figures géométriques complexes apparut sur la porte, les murs et les fenêtres du bureau. S'illuminant d'un bleu azuré, il permit d'isoler phoniquement la pièce. Alan avait l'habitude d'agir de la sorte à chacune de leurs visites. Ils étaient ainsi libres de discuter des sujets voulus, aussi problématiques soient-ils.

Garance et Sérion l'observaient en silence tandis que Galbali, les yeux fermés, s'assurait que le sortilège de son maître était bien en place. Le Sage revint vite à son bureau puis s'empara de la lettre avant d'en briser le sceau en cire.

— Galbali, engage donc la conversation avec nos invités, que je puisse me charger de la lecture de ce courrier.

— Tout de suite, lui répondit-il en soupirant.

Garance et Sérion sourirent ; être l'apprenti d'Alan était loin d'être une chose aisée. Bien qu'il soit un maître bienveillant, ses petits élans dramatiques le rendait par moment quelques peu difficile à gérer. La jeune femme posa son menton dans le creux de sa main droite.

— Eh, bien. On peut dire qu'il est en forme pour presque soixante hivers.

— Ne m'en parle pas. C'est cette histoire de souris qui lui monte à la tête.

— Les souris ? Sérieusement... Ne me dis pas qu'il recommence avec ses pièges.

— Que crois-tu ? Bien sûr que oui, il recommence. Un de nos domestiques m'a prévenu tôt ce matin après que l'un d'eux lui ai fracturé deux des doigts de la main droite. Depuis, j'en ai retrouvé près d'une trentaine disséminée sur les étagères des bibliothèques du premier étage. Et je n'ai pas encore vérifié le deuxième !

Garance et Sérion ne purent retenir quelques rires.

— Pauvre Galbali...

— Oui, c'est cela. Pauvre moi, finit-il ironiquement.

— Tsk... Décidément, rien ne va plus dans ce monde...

Le groupe se tut et fixa le Sage du regard. Garance se redressa dans son fauteuil.

— Tout va bien, oncle Alan ?

— Tout irait bien si chacun effectuait correctement son travail.

Il attrapa sa pipe de sa main gauche puis reposa la lettre sur un coin de son bureau. Il semblait soucieux.

— Ton père aime me mettre dans des situations délicates...

— C'est-à-dire ?

Garance se montra méfiante. Avec les récents évènements, chaque acte de leur part, en particulier de son père, avaient leur importance.

Le Sage reposa ses bras sur le bureau puis fixa Garance droit dans les yeux.

— Dis-lui ceci en réponse à sa lettre. Je vais tâcher de voir ce que je peux faire mais atténuer les soupçons du roi et de ses conseillers risque de s'avérer bientôt impossible. Ils finiront bien par savoir la vérité, à un moment ou à un autre. Aussi, j'ai beau être le mage de la cour, il n'en demeure pas moins que je suis avant toute chose un Sage des Grandes Archives. Je tâcherai de voir avec ma supérieure. Si cela ne pose aucun problème à l'aboutissement de ses projets, je pense que je serai en mesure d'apporter une aide disons plus...approfondie.

— Ta supérieure ?

Un sourire apparut sur le visage du Sage. Il plaçât un index tendu face à ses lèvres.

— Chut ! Je n'ai pas le droit d'en parler. Tu sais bien qu'il s'agit d'un secret.

— Un secret qui n'en est pas un. Du moins pas pour nous. Tu fais référence au Neavathary auquel tu obéis. Nous savons pertinemment que la quasi-totalité des Bibliothécaires des royaumes situés au sud d'Alen sont des Sages. Vous obéissez tous au même Maître, bien que nous ne connaissions pas son nom, lui dit Sérion tout en observant la réaction de sa collègue du coin de l'œil.

Depuis toujours, Garance avait été intriguée par les Neavathary, aussi connus sous le nom de Maîtres de la Connaissance. Petite, elle avait espéré en rencontrer un au-travers du travail de son père, ce qui n’arriva jamais. Et même si cet intérêt s’était dissipé avec le temps, une certaine curiosité demeurait.

— Je n'en dirai pas plus ! insista Alan.

Et ainsi se conclu cet espoir d’en apprendre plus. Bien que légèrement déçue, cela ne l'empêcha pas de lui répondre avec son humour habituel.

— Bah, tiens ! Tu lui diras la même chose, si jamais ce pauvre souverain vient à apprendre la vérité sur son fidèle et loyal Bibliothécaire ?

Un sourire amusé apparut sur son visage. Le Sage décida de jouer le jeu et de lui répondre sur un ton identique même s’il demeurait sérieux quant à la majorité de ses propos.

— Voyons, Garance. Tu sais bien que j'ai à cœur le bien-être de la populace.

— Je sais surtout que tu as à cœur les intérêts de ton ordre, au même titre que Galbali, et ce, avant toute autre chose. Venir en aide au bon peuple n'est qu'un supplément. C'est la soif de connaissance qui vous pousse tous aux portes des Archives, et rien d'autre.

Garance n'avait pas entièrement tort. La connaissance avait toujours été au centre des préoccupations des Grandes archives car après tout : "Savoir, c'est pouvoir." Et même si cela était sa première priorité, cela n'empêchait pas son ordre de se soucier de la protection des populations vulnérables, en particulier lorsque l’Inconnu pointait le bout de son nez.

— Nos intérêts ne diffèrent pas tant que cela des vôtres. Contrer les menaces magiques et abyssales. Protéger ceux qui ne peuvent se protéger. Et ainsi de suite.

Il rit.

Diantre, on croirait entendre un Erilien, dit-il, ironiquement.

Il détestait ce qu’était devenu l’Ordre d’Eril autant que Garance et sa famille. Ses Inquisiteurs et ses Paladins n'étaient à ses yeux que des porteurs de mauvaises nouvelles. Moins il avait à faire à eux et mieux il se portait.

La jeune femme rit de l’entendre s'exprimer ainsi.

— Ça, ce sont les beaux principes sur lesquels nos ordres furent fondés il y a près de quinze siècles. Nombreux sont ceux qui ont rejoint la Légion par simple appât du gain ou en quête de gloire, bien qu'ils en respectent aujourd'hui les principes fondamentaux. Chacun se bat pour ses propres raisons, et elles sont parfois bien loin d'être purement altruistes.

— Chacun se bat pour ses propres raisons. Une remarque pertinente. Et toi alors ? Quelles sont les tiennes ?

Alan avait déjà tenté cette conversation par le passé et trouva l’occasion trop belle pour ne pas en profiter à nouveau. Il savait à quel point ce sujet l’avait quelque peu contrarié il y a sept ans, lorsqu’elle intégra officiellement la Légion. Elle avait tout simplement refusé de lui donner une réponse et s’était fermée comme une huître pour le reste de la journée. Peut-être trouverait-elle aujourd’hui les mots ?

Sans parler qu’avec les récents évènements, il n'aurait peut-être pas la possibilité de consacrer du temps à d'autres discussions amicales comme celle-ci.

De son côté, Garance avait oublié la fâcheuse tendance de son oncle à poser les questions gênantes au moment où l’on si attendait le moins. Elle grimaça légèrement ; la conversation avait pourtant bien démarré. Elle prit une profonde inspiration.

Il y a encore sept ans de cela, elle n'aurait eu aucun scrupule à fusiller du regard quiconque se serait permis de la questionner ainsi et sa réponse brève aurait été agrémentée de propos acides prononcés sans la moindre sympathie. Ce type de réactions, fréquentes à l'époque, n'avait été qu’un des nombreux exemples de la colère qui jadis brûla en son sein depuis la mort de sa mère.

Mais ces dernières années, la jeune femme était lentement parvenue à éteindre cet incendie qui avait couvé dans son cœur. Elle s'était peu à peu ouverte à son entourage jusqu'au point où de telles interrogations ne provoquait désormais plus qu'un regard mélancolique. Et c'est avec cet air triste qu'elle lui répondit.

— Mes raisons...d'intégrer la Légion ? Je... (Elle soupira.) Tu m'as déjà posé cette question...

Alan sourit.

— Et je te la repose aujourd'hui, lui dit-il en souriant. Qui sait ? Peut-être es-tu parvenue à trouver une réponse depuis, même partielle.

Garance soupira une nouvelle fois. A croire qu'Alan Marxus se plaisait à la torturer de la sorte.

— Je... C'était mon échappatoire.

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