Chapitre 5 (4/4)

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Galbali l'observa avec surprise. C'était la première fois qu'il l'entendait s'exprimer avec autant de sincérité.

Contrairement à Sérion et à son maître, l'apprenti ne connaissait Garance que depuis son arrivée en Essenie et la première chose qu'il remarqua à son sujet fut qu'elle laissait rarement les gens indifférents. Aussi, se souvint-il de cette année difficile où, à l'apogée de sa détresse, la jeune femme se montra des plus froide et des plus égocentrique, rejetant jusqu'à ses proches. Elle s’était mise plusieurs fois en danger inutilement, ce qui lui valut sur l’omoplate gauche cette cicatrice causée par un loup-garou qu’elle eut l’imprudence de sous-estimer.

Tout le monde avait eu si peur pour elle. Elle, qui ne cessait encore de dire qu’elle n’avait besoin de personne ou que l’on devait arrêter de s’inquiéter pour elle. Son père s'était retrouvé maintes fois débordé face à son comportement et ce n'est qu'avec les soutiens de Walther et d'Alan qu'il parvint finalement à l'aider et à l'éloigner du chemin chaotique sur lequel elle s'était engagée. A défaut de sang, bien des larmes coulèrent ces jours-là.

Il repensa à cette période avec honte ; lui qui s'était permis de la juger sans rien savoir de son histoire. Son maître se montra incroyablement patient avec lui, prenant le temps de l'aider à changer son avis la concernant. Il avait fini par comprendre et par accepter les raisons derrière le comportement de Garance qui, en ces temps-là, s'était montré parfois à la limite de l'acceptable.

Galbali soupira puis passa une de ses mains dans ses cheveux blonds sombres. Ce genre de conversation le mettait mal à l'aise.

Garance poursuivit.

— Après la mort de mère, il y a treize ans, je... Je me sentais...perdue. Je ne savais que faire, comme si…comme si soudainement, je m'étais retrouvée dans la cale sombre d'un navire en perdition sur une mer déchaînée. Et...dans ce cas-là tu...tu ne sais que faire, tu ne sais où aller... Soudainement, c'est comme si un grand vide avait pris place dans ton esprit. Tel un mort-vivant, tu continues de marcher mais... Tu n'as presque plus goût à rien, tu... (Elle prit une profonde inspiration.) A cette période, je n’ai pas vraiment réfléchi… Rejoindre la Légion, c’était là le seul choix que je pouvais faire. Travailler pour eux…me forçait à penser à autre chose. Mais…même avec ce travail, le malheur ne s’éloignait jamais vraiment… Toutes ces situations tragiques et parfois, même les plus simples… Ça faisait trop. Alors…alors je me suis détachée de tout cela, faisant de moi la petite garce froide et égocentrique que vous avez connue… Aussi, j’étais terrifiée…terrifiée à l’idée de perdre un autre de mes proches. Je… Voilà...c'est tout. Je ne sais que dire de plus.

Garance reteint sans peine ses larmes, bien que raviver le souvenir de cette période lui provoquait un fort pincement au cœur. C'était comme replanter un couteau dans une plaie qui peinait à se refermer. Mais plus le temps passait et plus elle en parlait facilement.

— Tu sais, même si la...confusion que je ressentais à l'époque s'est fortement atténuée, elle est encore présente. Parfois trop. Alors je suis...désolée si ma réponse n'est pas ce à quoi tu t'attendais. Et j’ai assez parlé.

Alan sourit puis replaça sa pipe entre ses dents.

— Je ne m'attendais à rien d'autre qu'une réponse et tu viens de m'en fournir une. Pour ce qui est de son contenu, toi seule est en mesure de décider si oui ou non elle te convient. Si oui, tant mieux. Si non... Dans ce cas, tu n'auras qu'à continuer à chercher jusqu'à ce que tu en trouves une qui te convienne. Je n'ai pas à répondre à ta place. Tout ce que je peux faire, c'est t'indiquer les chemins que tu pourrais éventuellement suivre. Tu sais Garance, certaines personnes mettent du temps à trouver des réponses et il en existe d'autres qui n'en trouveront probablement jamais. Alors, tâche simplement de ne pas être trop dure avec toi-même.

Garance baissa les yeux et médita sur les paroles du Sage. Elle savait qu'il avait raison mais cela ne l'empêchait pas de se sentir frustrée. Frustrée de ne toujours pas être en mesure d'avoir une raison claire. Ou peut-être cherchait-elle cette réponse trop loin ? Peut-être avait-elle pris cette décision simplement parce que sa survie avait été en jeu ?

Survivre. Elle ne devrait pas avoir honte d’un tel choix ; personne ne le devrait.

Soupirant longuement, elle se redressa dans son fauteuil et desserra doucement ses poings.

— Pourrions-nous parler d'autre chose ? Cette discussion n'était pas vraiment à l'ordre du jour, lui répondit-elle tout en se frottant nerveusement le front du bout des doigts.

— Comme tu voudras, répondit son oncle en souriant.

Sérion était demeuré silencieux tout ce temps. Il avait écouté avec attention et c'est par respect pour sa collègue et amie qu'il n'avait rien dit. Mais sentant que la situation actuelle avait fini par prendre une lourdeur gênante pour la jeune femme, l'elfe décida finalement d'intervenir.

— Je pense qu'il est temps pour nous de partir, déclara-t-il soudainement.

Garance se leva sans attendre et se tourna dans sa direction. Son regard montrait de la gratitude.

— Tu as raison. Je ne tiens pas particulièrement à être présente dans le quatrième sous-sol lorsque la nuit commencera à tomber.

Sérion se montra taquin.

— Pourquoi donc ? Aurais-tu soudainement peur du noir ?

— Moi ? Et puis quoi encore ? lui répondit-elle, incrédule qu'il lui pose une telle question.

Sérion lui sourit. Bien qu’il souhaitât d’abord détourner son esprit du précédent sujet problématique, il avait aussi besoin qu'elle se concentre sur la mission principale de l'après-midi. Ce genre de conversation était important mais le moment choisi par Alan pour ce faire n'avait peut-être pas été le meilleur. Il se leva à son tour.

Voyant que Sérion se moquait d'elle, Garance leva les yeux au ciel puis sourit.

— Imbécile...

Alan expira une nouvelle bouffée de fumée. Entendant ses deux invités parler d'Agrisa rappela à son esprit la seconde question qu'il avait souhaité soumettre.

— Puisque vous parlez des souterrains, j'espère que tout va bien pour vous par là-bas.

Sérion et Garance se tournèrent dans sa direction. L'elfe se demanda alors pourquoi Alan s’inquiétait de cela. La réponse était pourtant évidente. Il n'avait rien remarqué de notable. Qui plus est, le commandant l’aurait très certainement mis au courant de leur état s'il avait estimé la chose nécessaire.

— Naturellement, Messire Marxus. Pourquoi posez-vous la question ?

Alan lui répondit, son sourire habituel aux lèvres.

— Oh, pour pas grand-chose. Comme je l'ai dit plus tôt, cela fait un mois que je ne vous ai pas vu. Je m'assure simplement que tout se passe bien pour vous.

Le Sage remarqua ensuite le visage fermé de Garance. Quelque chose semblait de nouveau la préoccuper.

— Tu as la mine sombre, ma chère. Tout va bien ?

— Je n'irais pas jusqu'au point de dire que tout va bien. Il y a quelque chose d'étrange avec Agrisa, comme une drôle de sensation... Il y a quelque chose de...différent. De différent et d'inquiétant. Bien que je n'en sois pas encore totalement sûre.

— Tu trouves ? Je n'ai pourtant rien remarqué d'inhabituel, lui répondit Sérion.

— Vraiment ? Pourtant...

Garance ne comprit pas pourquoi son camarade n'avait rien ressenti d'anormal. Son frère lui avait pourtant fait discrètement part de ses inquiétudes. Lui aussi avait senti que quelque chose ne tournait pas rond. La sensation que tous deux avaient des souterrains avait soudainement changé en l'espace d'une semaine. Pourquoi étaient-ils les seuls à l'avoir perçu ? Et qu'en était-il de leur père ? Cette pensée ne la rassura pas.

Elle fit ce qu'elle put pour garder son expression la plus neutre possible. Il devait bien y avoir une explication.

Sérion lui apposa une tape amicale dans le dos. Il lui sourit, toujours avec cette même intention de la rassurer.

— Ne te fais pas trop de soucis. Ce que tu as perçu n'étais peut-être rien d'autre qu'une présence fantôme. L’Inconnu n’est plus actif en Agrisa depuis longtemps. Il ne s'agit peut-être que de restes de sa présence. Rien de si terrible en somme, contrairement à ce que l'on peut en dire.

— Très bien... Si tu le dis.

Acquiesçant de la tête, Garance n'insista pas plus. Elle verrait plus tard ce qu'il en serait dans les souterrains. Elle se tourna vers leur hôte.

— Merci pour ton accueil, oncle Alan. Je n'oublierai pas de transmettre ta réponse à père. C'est promis.

— Bien, bien. Allez, bon vent à vous deux. N'hésitez pas à revenir nous rendre visite d'ici-là. Ma porte vous est toujours ouverte.

Garance et Sérion lui sourirent tous deux. Alan se leva de son fauteuil puis posa sa pipe dans une coupelle en métal.

— Galbali, raccompagne-les donc jusqu'à l'entrée.

— Tout de suite, Maître, dit-il en s'inclinant.

Garance fit un dernier signe de la main au Sage puis suivit Galbali et Sérion jusqu'à la sortie de la Bibliothèque.

Le Sage s'approcha d'une des fenêtres et observa la foule aller et venir d'un bout à l'autre de l'avenue. Quelques instants plus tard, les deux chevaliers apparurent dans son champ de vision. Ils saluèrent de la main Galbali puis reprirent leur route. Alan devina qu'ils se dirigeaient vers le cimetière de la haute-ville à la vue du chemin qu'ils empruntaient.

Garance avait bien changé depuis ses dix-neuf ans. Il soupira puis sourit tendrement. Il faisait partie des rares personnes auquel elle se confiait aisément. Bien que n'étant pas véritablement son oncle, il avait depuis toujours occupé cette place dans le cœur des enfants de Victor et Kaerolyn.

— Ah, Kaerolyn... Ma chère amie... Sais-tu seulement à quel point tu leur manques ? A quel point tu nous manques ?

Il soupira de nouveau. Repensant aux Mortis, et plus particulièrement à Victor, il tourna sa tête en direction de son bureau. Il y observa la lettre qui reposait dans un coin et, le visage plus soucieux, repensa à son contenu.


Alan,


Essaie de gagner du temps auprès du roi et de la cour. Les choses évoluent mal pour nous. Gagne du temps. Fais ce que tu pourras. Je te fais confiance. C'est tout ce que je te demande.


Garance avait des soupçons sur les « rumeurs ». Elle a insisté et j'ai fini par la mettre au courant. Les autres le sont aussi. Ils sont inquiets même s'ils ne le montrent pas. Ils sont loin d'être stupides. De plus, Garance a découvert le passage dans la crypte. Face à son insistance, j'ai aussi mis tout le monde au courant.


Mais plus important encore, la barrière a été détruite, réduite à néant.

Nous avons des intrus. Des intrus bien informés et je n'aime pas cela.


D'autant plus que quelque chose a changé dans Agrisa. William l'a senti tout comme moi. J'attends de voir pour Garance, étant donné qu'elle ne m'a toujours rien dit. Mais le résultat devrait être le même. Tu sais à quel point les membres de ma lignée sont sensibles à la présence de l’Inconnu. Quelque chose me dit que tout est lié aux dernières recherches de Kaerolyn, à ce qu'elle fit en bas. J'en suis persuadé.


Viens me voir à l'hôtel pour plus d'informations.

Et détruis ce message une fois lu.


V.


Alan fronça les sourcils. Il se détourna de la fenêtre et reparti s'asseoir à son bureau. Il fixa des yeux le message. Galbali revint vite à ses côtés, avec dans ses bras, deux livres qu'un des copieurs de la bâtisse lui avait donné. Il les déposa avec les autres sur la table située au milieu de la pièce.

Au moment de son entrée, il vit son maître consumer le courrier par les flammes d'un geste de la main. Il s'avança près de lui. Alan était des plus préoccupé. Il croisa ses mains sur son bureau puis y déposa son menton. Il était maintenant urgent qu'elle soit mise au courant.

— Galbali, va préparer le Miltrevoy.

L'apprenti regarda son maître avec surprise. Cet oiseau rare n'était destiné qu'aux correspondances urgentes, d'une urgence capitale la plupart du temps.

— A qui dois-je destiner la future lettre, Maître ?

— Ishaa Astanatos.

Ce nom prononcé, il n'hésita pas un seul instant et quitta la pièce d'un pas pressé.


*****


A l'ombre d'une ruelle, un homme aux courts cheveux noirs et vêtu d'un épais manteau marron observait les deux chevaliers s'éloigner de la Bibliothèque. Son regard se fixa quelques instants sur la plus jeune. Elle discutait avec l'elfe noir à ses côtés avant de rire à une de ses répliques. Les bras croisés, il serra ses poings. La colère se lisait sur son visage.

Derrière, Valion sorti de l’ombre et s’approcha de lui.

— Vous constatez dès à présent que je n'ai point menti à leur sujet. Ils sont là comme promis. Désormais, il ne nous reste plus qu'à découvrir la vérité sur la mort de votre sœur, dissimulée quelque part dans les profondeurs de la cité souterraine.

— Et la Légion ? lui demanda l’homme aux cheveux sombre, sans détourner son regard de l’avenue.

— Elle ne sera bientôt plus un problème.

L'homme aux yeux blancs sourit froidement tandis que son compagnon acquiesçait de la tête. Après un dernier coup d’œil, tous deux s'éloignèrent de l'avenue pour replonger dans les ténèbres.

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