Chapitre 6 (3/4)

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Sérion courait pour se rapprocher au plus vite de Garance. Il avait senti du mouvement près d'elle à l'instant où la première revenante du groupe avait disparu. Elle allait avoir besoin d'aide.

Au même moment, comme il l’avait deviné, une forme translucide et verdâtre commença lentement à faire son apparition derrière la jeune femme. Le spectre d'un homme, lui aussi richement vêtu, jaillit hors du mur, un air des plus sombres sur le visage. Sérion vit qu'il était armé d'une une épée brisée, une lame spectrale tout aussi translucide que son corps.

Le revenant se jeta sur Garance en un hurlement lugubre, prêt à lui enfoncer son arme dans le crâne. Elle se retourna, perçut le mouvement du bras du spectre et amorça une esquive n'ayant pas le temps de contrer avec son épée. A moins de deux mètres d’elle, Sérion, arrivé à point nommé, s'élança en direction du spectre en un bon et l'envoya loin de Garance d'un coup de pied placé sur le côté gauche de son thorax. Le revenant fut projeté loin de la jeune femme qui parvint à se redresser juste à temps pour parer le coup d'un troisième spectre sorti d'un autre mur beaucoup plus proche d'elle.

La créature projetée au sol par Sérion se redressa en poussant un hurlement glacial. Elle voulut s'en prendre à l'elfe mais celui-ci se montra plus vif. De ses deux dagues, il tailla le torse du revenant d'une croix en diagonale. Le spectre s'immobilisa. Il lâcha sa lame qui disparut avant de toucher le sol. Dans l'instant qui suivit, il se consuma à son tour d'une lueur incandescente rougeâtre.

De son côté, Garance parvint à repousser son adversaire de son épée. Elle entailla un de ses membres supérieurs puis propulsa d'un geste de son bras gauche deux de ses orbes sombres sur le revenant. Le premier le toucha au thorax et le second à la tête. Sans un mot, il disparut à son tour tout en se dissipant dans la brume.

Dans le même temps, les trois derniers spectres que Sérion avait perçu au début apparurent non loin. Le plus proche se jeta sur lui, épée en main. L'elfe, prêt à riposter, parvint à le maîtriser et à le neutraliser d'un sort de flammes.

Leurs comparses ayant tous disparus un à un, les deux derniers revenants hésitèrent. La colère finit par laisser place à une peur panique. Ils révoquèrent leurs armes et prirent la fuite. Mais dans la violente confusion induite par leurs émotions aucun ne se soucia de l’autre, aucun ne sembla même être en mesure de retrouver son chemin vers le seul foyer qu’ils leur restaient. Au croisement, ils empruntèrent chacun une direction opposée.

Sérion et Garance partirent immédiatement à leur poursuite. Ils ne pouvaient les laisser continuer de hanter ainsi cette zone d’Agrisa. A l’approche du croisement, eux-aussi se séparèrent mais d’un commun accord.

— On se retrouve à l’entrée du quatrième.

— Compris.

Sérion partit à droite et Garance à gauche.

Le spectre qu’elle poursuivait était celui d’un jeune garçon. A l’heure de sa mort, il n’avait pas dû être âgé de plus d’une douzaine de printemps. Traquant son aura, elle le suivit dans une dizaine de couloirs tous plus différents les uns que les autres. Plus elle avançait et plus la vétusté des lieux se manifestait, avec davantage de pierres jonchant le sol.

Elle s’arrêta à mi-parcours d’une nouvelle galerie, après avoir descendu un escalier d’une vingtaine de marches, et trouva sa cible non loin devant elle, immobile. Avançant prudemment sur un sol de plus en plus lézardé, elle attendait le bon moment pour en finir. Une pensée vint malgré tout parasiter sa concentration. Pourquoi était-il ainsi, inerte, le regard dans le vide comme si quelqu’un l’avait ensorcelé ?

Pour seule réponse, le garçon hurla puis un craquement sec se fit entendre. Il s’écroula sur les genoux et tandis que son corps se dissipait lentement dans la brume, Garance chut, le sol se dérobant brusquement sous ses pieds.

Le trou était malheureusement bien trop large pour qu’elle puisse s’accrocher à un des bords et dû se résigner à trouver un autre moyen de ralentir sa chute. Elle connaissait bien un sort, mais aurait-elle le temps d’en effectuer le geste ?

Elle s’exécuta sans y penser plus, son instinct et ses réflexes prenant le dessus. Elle se retourna dans le vide et tendis sa main gauche devant elle. Une puissante onde de choc déferla à trois mètres du sol, le fissurant légèrement, mais le sortilège ralentit grandement sa chute. Elle lâcha son épée et atterrit un peu plus en douceur à la suite d’une longue roulade.

Malgré tout sonnée par l’atterrissage, elle mit un peu de temps à se relever, toussant quelque peu dans la poussière que cet effondrement avait soulevée. Elle ne savait de quelle hauteur elle avait chu mais une chose était certaine, elle n’était plus dans le quatrième.

Une fois debout, elle fit quelques pas vers l’avant et se rendit compte avec joie qu’elle n’avait rien de cassé. Garance observa les alentours en quête de son arme et la vit enfin gisant non loin d’elle. Elle s’en saisit rapidement. Ce capharnaüm risquait d’attirer d’éventuels indésirables jusqu’à sa position et son arme serait un premier moyen de s’en prémunir.

Sa vue s’habitua à ces nouvelles ténèbres. Elle semblait avoir atterri dans un petit couloir, entre deux maisons, qui en rejoignait un plus grand. En garde, elle avança à tâtons, dans un noir que d’autres auraient jugé total. C’est dans ces instants que plus qu’à l’accoutumée, elle remerciait sa mère de lui avoir enseignée jadis ce qu’elle savait aujourd’hui.

La jeune femme se blottit rapidement contre un mur à l’angle du carrefour puis observa avec prudence les environs, à gauche et à droite. Personne ; elle soupira de soulagement. Elle observa le trou par lequel elle était tombée. Situé bien trop haut pour qu’elle ne l’atteigne, elle dut se résoudre à trouver un autre moyen. Elle devait rejoindre le quatrième et ne souhaitait nullement descendre plus bas. Qui savait quelles horreurs s’y terraient encore ?

Sa respiration s’accéléra. Elle repensa alors au lieu de sa chute. Dans le quatrième, il se trouvait à l’est du passage où elle avait quitté Sérion. Elle devait donc aller vers l’ouest. Mais comment parvenir à distinguer cette direction dans un tel …

Une série de murmures incompréhensibles mêlant des voix multiples et dissonantes s’éleva du silence. Garance sursauta. Elle tendit son épée devant elle, vers le couloir de gauche, car c’est de là qu’ils semblaient provenir. C’était la première fois qu’elle faisait l’expérience d’un tel phénomène, pourtant supposé courant. Elle tenait ce savoir de sa mère et de ses nombreux récits sur l’Inconnu. Mais savoir une chose et en faire l’expérience étaient deux faits très différents.

Les murmures se rapprochaient ; Garance pouvait le sentir. N’ayant nulle envie de savoir ce qu’ils cachaient, elle recula dans la direction opposée, jusqu’à ce que son instinct ne lui dise de s’enfoncer prestement dans le couloir de droite. Elle sentit ses mains se crisper sur la poignée de son épée.

Elle parcourut les premiers mètres de la galerie en marchant d’un pas rapide jusqu’à ce que ses jambes ne l’emmènent à sa fin en courant. En moins d’une minute, elle déboucha dans une très grande salle. Avec une dizaine de mètres de hauteur sous plafond et trois fois plus encore de diamètre, cette zone était très bien conservée. Aucune pierre ne jonchait le sol et même pas une seule toile d’araignée pour en habiller les recoins. Elle était différente du reste des souterrains, comme figée, hors du temps.

Les murmures se rapprochèrent rapidement d’elle, la sortant de sa contemplation. Mais, alors qu’ils allaient à leur tour pénétrer la pièce, ils s’arrêtèrent net à son entrée comme si quelque chose leur en avait interdit l’accès. Au bout de quelques secondes, certains d’entre eux se transformèrent en voix moqueuses et de nombreux rires surgirent. Garance recula de plusieurs pas.

Au coin de sa vision, dans les ténèbres, elle vit apparaître une étrange lueur violette. Située à l’autre bout de la pièce, elle semblait se mouvoir d’elle-même et s’intensifiait au fur et à mesure de son avancée. Garance finit par distinguer une figure à ses côtés, avançant au même rythme vers un autre grand hall finit d’un large escalier montant. Intriguée, elle s’en rapprocha quelque peu.

Derrière elle, les murmures qu’elle percevait encore s’intensifièrent en réponse à cette étrange apparition.

— Non ! Ne le suis pas.

— Il t’emmène loin de nous !

— Ne le laisse pas t’arracher à nous !

— Reviens.

— Reviens !

Elle recula à nouveau de plusieurs pas, son épée pointée devant elle. Au milieu de cette cacophonie de voix suppliantes, une nouvelle plus claire et distincte de l’ensemble s’imposa.

— Silence !

Elle sursauta de nouveau. Cette voix provenait de l’étrange figure nouvellement apparue. Ce mot prononcé, les murmures et voix en provenance du couloir finirent par se retirer jusqu’à ce que le silence s’impose de nouveau.

Garance se retourna. Au loin, l’ombre s’était arrêtée au bas de l’escalier, comme si elle l’attendait.

— Suis-moi.

Sa voix résonna sur les murs avec force, lui donnant une présence imposante et un ton plus qu’impérieux.

Garance contrôlait avec peine sa respiration. Cette situation dépassait de loin tous ce qu’elle avait connu dans ces environs. Elle ne savait que faire avec certitude. Elle prit une profonde inspiration. Sa lame toujours prête à frapper, elle fit le choix d’avancer en direction de ce nouveau venu. Un peu plus proche de lui, elle distingua nettement mieux la lueur à ses côtés qui n’étaient rien d’autre qu’une lanterne des plus basiques. La voyant la rejoindre, la figure se retourna et monta une à une les marches de l’escalier.

Elle avançait prudemment jusqu’à ce qu’un hurlement sinistre perçât le silence et ne la força à accélérer le mouvement. Sa poitrine se serra un peu plus. Elle luttait pour que la panique ne s’empare pas d’elle.

Arrivée à son tour au pied de l’important escalier, Garance constata que la figure était déjà plus en avant dans le couloir en hauteur. La lumière qui l’accompagnait ne perdait pas en intensité. L’attendait-elle de nouveau ?

Elle monta les marches trois par trois, leur taille le lui permettant, et, une fois en haut, constata avec justesse que la figure l’attendait patiemment non loin du fond du couloir, à un croisement de deux nouvelles voies.

Contrairement au quatrième, et tout comme la partie qu’elle venait tout juste de quitter, cette zone était étonnamment bien conservée, comme si elle n’avait pas subi les ravages du temps à l’image des sous-sols supérieurs. Sur les murs des deux côtés, les bas-reliefs semblaient dater de la veille, comme fraichement sculptés. Les traits fins et doux des personnages et paysages contrastaient violemment avec l’ambiance oppressante des lieux.

Elle poursuivit sa route et tenta de rejoindre au plus vite le mystérieux personnage qui s’était déjà enfoncé dans le couloir de gauche. Elle pouvait distinguer sa lueur diffuse malgré la distance.

Cette galerie sous arcade était bien plus longue que les précédentes et donnait sur son côté gauche sur un large patio. Ne restaient en seul témoignage d’un somptueux jardin les troncs tordus, morts et pourris sur place, des arbres de jadis. Etrangement, la végétation seule semblait avoir ressenti les effets du temps.

Elle se focalisa de nouveau sur le chemin devant elle. Plus d’une trentaine de mètres plus loin, l’ombre venait de prendre un passage sur la droite. Cette fois-ci, Garance courut, de peur de perdre sa trace.

Arrivée à cette nouvelle bifurcation, un nouveau son perturbant l’arrêta dans son élan. L’écho distant d’une chose qui semblait gratter et cogner la surface des murs en un rythme saccadé parvenait jusqu’à ses oreilles. Mais ce qui la dérangea le plus, fut le cri aigüe et sinistre qui suivit. Pendant un bref instant, sa mémoire lui renvoya à l’esprit les dires inquiétants des contrebandiers.

N’ayant nulle envie de rester ici plus longtemps, elle poursuivit sa course. Son étrange guide l’attendait de nouveau à l’entrée d’une nouvelle salle. Maintenant plus proche de lui qu’elle ne l’avait été depuis le début, elle commença à distinguer une haute silhouette encapuchonnée et recouverte d’un épais manteau qui courait jusqu’au sol, formant une étrange traine déchirée, presque vivante. Il tenait toujours cette lanterne qui brillait de ce violet si sombre.

A une vingtaine de mètres de lui, la lumière s’éteint brusquement et la figure se dissipa presque instantanément dans les ténèbres alentours. Une seconde s’écoula. Dans la salle à l’arrière, une brusque lumière d’un vert pâle glacial illumina la pièce un bref instant avant de retrouver une intensité proche de celle de torches classiques.

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