Chapitre 7 (1/4)

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Les deux mages débouchèrent sur les bas-fonds de la capitale après plusieurs minutes de marche silencieuse. L'entrée des souterrains par laquelle ils émergèrent était perdue au milieu de nombreux anciens canaux qui avaient jadis servi d'égouts à la cité. Indépendamment des ruines d'Agrisa, cette partie de la ville était réputée comme la plus dangereuse, les gardes limitants très souvent leurs patrouilles à la place principale et à trois rues du quartier, très souvent de jour.

Naturellement, cette absence des autorités n'était pas sans déplaire aux Noirelames et aux autres groupes de malfrats qui sévissaient un peu partout dans la capitale et ses environs. Depuis longtemps, beaucoup avaient élu domicile dans les parages.

Garance et Sérion longeaient les murs des larges conduit, passant au milieu des rats qui s’écartaient à leur passage. A l'extérieur, le soleil commençait à se coucher, annonçant la fin de la journée sous le couvert d'un voile lumineux rouge-orangé.

— Ce quartier est toujours aussi charmant que dans mes souvenirs, dit la jeune femme tout en grimaçant.

Elle renifla la manche gauche de son vêtement.

— C'est décidé, ce soir, le bain est à moi. Je pense l'avoir amplement mérité.

Sérion rit de sa réaction.

— Ma chère amie, t'ai-je déjà raconté la fois où je poursuivi l'une de mes cibles jusque dans les égouts de la cité-état d'Ardisia ?

Garance comprit qu'elle s'était encore plainte inutilement.

— Oui, Sérion... Et plus d'une centaine de fois. Tu te fais un plaisir de constamment nous rappeler ta mésaventure chaque fois que l'un de nous peste après la puanteur de certaines ruelles.

— Crois-moi, ce quartier, aussi pauvre et abandonné soit-il, n'a absolument rien à envier à certains bas-fonds des cités elfiques de Perica. Il y a pire, bien pire.

Il expliqua cela avec un air triste sur le visage. Evoquer sa terre natale n'avait jamais été simple, de douloureux souvenirs revenant souvent le hanter. Il pouvait alors passer de longues heures à contempler un point dans le vide, le regard éteint.

Garance le vit de nouveau se perdre dans une de ses pensées empoisonnées et s’en voulut un peu.

— Tu sais, d'habitude je m'arrange pour sortir par le passage qui donne sur l'est du port, près des entrepôts, dit-elle en espérant détourner l’attention de Sérion sur un autre sujet.

— Même si cela te rallonge le trajet ?

— Oui, je ne rate jamais une occasion de pouvoir contempler l'océan. En particulier à l'heure du crépuscule, comme maintenant.

— Je vois... C'est une idée intéressante. Je tâcherais de m'en souvenir pour la prochaine fois.

Ils s'avancèrent dans une première ruelle, la terre sous leurs pieds encore humide des averses de la veille. Les habitations autour d'eux étaient des plus délabrés : des trous dans les toitures et les murs, des portes qui tenaient à peine debout et de nombreux détritus qui jonchaient le sol des rues, juste au pied des maisons.

Ce spectacle désolait Sérion à chaque fois qu'il y mettait les pieds. L'elfe savait mieux que quiconque parmi ses frères et sœurs d'armes à quoi une vie dans la misère totale ressemblait. Il aurait aimé pouvoir faire plus pour aider ces gens mais il était un mercenaire, un mage de combat dont le travail consistait plus souvent à prendre la vie qu'à la donner ou la protéger.

Une part de Garance se sentait navrée pour toutes ces personnes et même si elle ressentait une certaine empathie, comme toujours, elle tâchait de garder de la distance. Comme avec les contrebandiers, elle n’avait ni le temps, ni l’envie de s’occuper de chaque âme malheureuse qu’elle croisait.

— Regarde-les, Garance... La plupart de ces gens sont malades ou affamés... Et certains d'entre eux seraient prêts à n'importe quoi pour un morceau de pain ou quelques pièces d'or.

— Prêts à n'importe quoi... Comme aider les contrebandiers dans les parties les plus inhospitalières des souterrains ?

Elle dit cela avec une certaine pointe d'ironie.

— Oui...surtout ça.

Sérion soupira longuement.

— J'aimerai pouvoir faire plus pour ces gens...

Garance lui sourit. Elle lui tapota l'épaule affectueusement et essaya de l'aider à relativiser sa situation.

— Tu en fais déjà beaucoup pour eux, Sérion. Tu fais don d'une partie de tes revenus à l'orphelinat et lorsque tu n'as aucune mission de prévue, tu viens offrir ton aide à l'hospice. Et puis, pour ce qui est de la pauvreté du quartier, les choses sont malheureusement ainsi. Nous ne pouvons pas venir en aide à tout le monde en permanence. Nous avons déjà fort à faire entre l’Inconnu et tous les autres problèmes qui pullulent un peu partout dans la nature. Nous ne pouvons pas en plus rajouter à cela la charge de tous les miséreux du monde. Laisse donc cela aux Erilliens. C'est peut-être là la seule chose dans laquelle ils sont doués.

Garance avait prononcé ces deux dernières phrases avec un certain respect. Bien qu'elle déteste les Inquisiteurs de l’Ordre d’Eril, ses Paladins étaient un tout autre sujet. Elle les tolérait plus facilement que leurs congénères, même si certains se montraient souvent moralisateurs, et parvenait à éprouver une sorte de considération sans pour autant que ce sentiment évolue jusqu'à de la sympathie. Une chose était cependant indéniable à leur sujet, ils étaient toujours là pour les plus faibles et les plus vulnérables, la charité faisant parti des nombreux devoirs auxquels ils devaient se plier.

— Tu sais, Garance, avant de rejoindre la Légion j'ai...hésité le temps de quelques jours à aller voir du côté de l’Ordre d’Eril et de ses Paladins. Je ne sais plus pourquoi d'ailleurs mais... J'en avais assez de mon...ancienne vie. C'est ton père qui m'a convaincu de rejoindre les rangs de la Légion, peu de temps après que je le rencontre. Lui et le fait que...

— ...et le fait que tu te sois vite rendu compte qu'un grand nombre de leurs hauts fonctionnaires se montrent de plus en plus xénophobes et racistes... Sans parler du fait que tu es un ancien assassin. Ils t'auraient fait exécuter sur le champ.

Sérion soupira puis leva les yeux au ciel.

— Tu es infernale.

— Quoi ? J'ai dit la vérité, lui dit la jeune femme tout en se retournant vers lui.

— Je fais dans la nostalgie et toi tu... (Il rit.) Tu les détestes vraiment, ma parole.

— Oui, en effet. Il serait peut-être temps de s'en rendre compte. Et à moins d'un miracle, cela n'est pas près de changer... Peu importe... Et si nous parlions de choses moins déprimantes ? Pourquoi pas du futur repas qui nous attends à l'hôtel ?

— N'as-tu donc que la nourriture en tête ?

— Pas seulement la nourriture mais aussi les livres, l’écriture, les pièces de théâtre et un tas d'autres choses. Admet quand même que les petits plats de ce cher Georges sont à tomber. Je n'avais jamais mangé autant de poisson depuis notre arrivée à la Nouvelle-Essenie.

Sérion ne put retenir ses rires. Il fut très vite rejoint par Garance, ravie que la bonne humeur soit enfin de retour. Après toutes ces émotions, les deux amis avaient envie de penser à autre chose. Ils se faufilèrent dans de nombreuses rues, évitant les plus isolées et les plus étroites. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent sur une voie qui les mèneraient à la place principale du quartier.

C’était aux abords de cette place que se trouvait, réunit en un seul complexe, les bâtiments accueillants l’hospice, l’orphelinat et un temple principalement dédié aux Trois mais aussi aux autres divinités du panthéon baesléen. Ce lieu, la seule construction en pierre du quartier, était tenu par les prêtresses de Lilua, présentes jour et nuit pour les habitants de ce secteur de la capitale.

Au sein de leur hospice et de leur orphelinat, les servantes de la déesse de la vie et de la mort faisaient tout en leur pouvoir pour sauvegarder le peu de dignité qu'il restait à ce quartier. Et pour les malheureux qui succombaient à la maladie ou à la faim, les prêtresses accomplissaient leurs devoirs envers eux. Lilua présidait aux rites funèbres et était connue de tous pour être la conductrice des âmes et l'intermédiaire entre l'au-delà et le monde des vivants. C’était une médiatrice qui ne prenait parti ni pour les vivants, ni pour les morts.

Arrivés sur la place, Sérion et Garance entendirent des pleurs s'élever au milieu des voix des multiples passants. Ils tournèrent tout deux leur tête dans leurs directions. Là, assis sur le sol contre un mur se trouvait un jeune garçon pas plus âgé que dix hivers. Recroquevillé sur lui-même, son visage était partiellement recouvert de poussière et de saleté. Sérion se refusa à passer sans aller voir ce qui chagrinait cet enfant.

Garance était plus divisée. Une part d'elle-même souhaitait poursuivre sa route comme si de rien n'était tandis que l'autre désirait s'approcher du garçon et voir si elle pouvait lui être d'une quelconque aide. Elle finit par soupirer puis suivi Sérion en silence sans n’avoir rien décidé.

L'elfe s'agenouilla près du garçon, un sourire triste sur le visage. Dans sa position, l'enfant vit que quelqu'un s'était approché de lui. Reniflant bruyamment, il releva la tête tout en s'essuyant les yeux d'une main. Il sursauta. L'homme face à lui n'était pas humain.

Par ses cheveux, d'une nuance proche du blanc, et sa peau cendrée, l'enfant comprit qu'il s'agissait d'un de ces elfes noirs. Il avait entendu un grand nombre histoires à leur propos, les dépeignant venus de terres glacés et inhospitalière et aux tempéraments fourbes et assassins. Le prêtre d'Aelleon qui venait pour les offices chaque lundi s'était montré très virulent à leur sujet.

Mais l'enfant reconnut très vite l'uniforme des Chevaliers noirs. Il savait qu'un elfe noir se trouvait dans leurs rangs, les prêtresses parlant souvent de lui. Il venait très souvent leur prêter main forte. Il remarqua aussi qu'une humaine avec le même uniforme l'accompagnait. Ses bras étaient croisés. Même si elle ne souriait pas, son regard était plutôt compatissant.

— Je m'appelle Sérion. Et toi ?

— ...Da...Dacien, m'sieur.

— Tes parents ne sont pas là ?

— Je... Ma mère...ma mère est...morte ce matin. Et...et mon père a...dis...disparu. Je...

L’enfant se remit à pleurer.

— Pardonne ma maladresse, je ne savais pas...

— Disparu, dis-tu ? s’interrogea Garance.

— Oui... Ça fait...presque deux jours...qu'il n'est pas rentré...à la maison... Il est pas là...et j'suis tout seul...

Sérion posa sa main sur son épaule.

— Si je puis me permettre... De quoi est morte ta maman ?

— Elle était malade depuis un mois... Y'a...y'a des remèdes...qui aurait pu l'aider à...à aller mieux mais...mon...mon papa a dit qu'on avait pas les moyens de...de les payer...

— Ton papa est donc parti travailler ?

— Oui mais...il m'avait promis qu’il…qu'il rentrerait hier…et il est toujours pas là...

— Et il travaille où ton papa ?

— Je sais pas vraiment... Le monsieur a pas dit où...

Dacien parvint avec peine à calmer quelque peu ses pleurs. Il se frotta les yeux des deux mains puis renifla bruyamment. Face à lui, Garance et Sérion se montraient méfiants.

— Le monsieur ?

Le jeune garçon resserra ses bras contre lui. Sa voix était moins tremblotante qu'au début de leur conversation.

— Il y a deux nuits, un homme est venu voir mon papa... On venait de rentrer à la maison... On était parti voir maman à l'hospice... Il...il a dit qu'il cherchait des gens pour travailler dans les souterrains. Il a aussi dit qu'il savait pour...pour ma maman et qu'on pourrait gagner beaucoup d'argent. Assez pour acheter un remède pour elle... Le monsieur a promis que...que mon papa rentrerait au lever du jour. Y'avait déjà deux personnes avec lui qui avait accepté son travail...

Les Noirelames avaient probablement quelque chose à avoir dans cette histoire. Il n'était pas rare que les contrebandiers approchent tard dans la soirée ou en début de nuit les plus miséreux du secteur. Ils avaient l'habitude d'en engager certains le temps d'une nuit lorsqu'ils manquaient de main d'œuvre afin de transporter leurs marchandises d'un bout à l'autre des souterrains. Aux yeux des Noirelames, ils étaient payés une misère mais pour les pauvres âmes qui venaient les aider, cette somme signifiait parfois de quoi manger pendant quelques jours.

Victor Mortis était au courant de leurs petits recrutements. Mais de la même façon que son prédécesseur, il avait convenu avec eux que tant que leurs ouvriers d'un soir rentraient chez eux sains et saufs aux aurores, la Légion ne se montrerait pas très regardante sur leurs affaires. Et jusqu'à aujourd'hui, les deux parties avaient respecté cet accord et jamais il n'y avait eu de problèmes à déplorer. Mais ce qu'expliqua ensuite le jeune Dacien provoqua méfiance et suspicion chez les deux mages.

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