Chapitre 8 (2/2)

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— Ton impression, Morga ?

— Ils nous cachent quelque chose. Tu as vu la façon dont ils ont réagi à la mention de l'homme aux yeux blancs ?

— Oui...comme si nous venions de leur rappeler un désagréable souvenir. Il faudra tirer cela au clair. Mais pour l'instant, contentons-nous de nous diriger vers leur « dépotoir ».

Les deux chevaliers marchaient tranquillement côte à côte. Une fois passé la sortie du quartier général des Noirelames, Morga ne put s'empêcher une remarque acide.

— Charognes puantes... Que les morts les emportent...

La façon dont les Noirelames traitaient les morts l’écœurait au plus haut point. Bien qu'elle ne soit pas croyante comme beaucoup de ses compagnons d'arme, elle demeurait cependant attachée à la spiritualité qui entourait le panthéon baesléen, en particulier du culte lilluéen. Peu importait ce qu'ils avaient été de leur vivant, les morts méritaient un tant soit peu de respect et le droit aux rites funèbres, même s'ils devaient se limiter au strict minimum. Walther était moins émotionnel que Morga sur le sujet, habitué depuis toujours à ce type de point de vue. Il avait pris tant de distance avec ces sujets qu'il apparaissait sans cesse froid et indifférent.

La salle vers laquelle ils se dirigeaient, au nord de la cité, était considérée comme l’une des mieux conservées du deuxième sous-sol. Pendant une vingtaine de minutes, ils évoluèrent dans un ensemble de galeries justes assez grandes pour laisser passer trois personnes côtes-à-côtes et plutôt mal éclairées.

Sur la fin du trajet, les torches moins nombreuses plongèrent la zone dans une lumière beaucoup plus tamisée. Les galeries se firent plus larges, hautes et riches en décors architecturaux. Le lieu tout entier respirait la noblesse même si celle-ci apparaissait dévastée et noircie par les affres du temps et les ravages des pillards.

Walther et Morga bifurquèrent sur la gauche puis sur la droite au bout d'une dizaine de mètres. Ils montèrent une série de cinq marches avant de déboucher sur une petite antichambre sombre aux fresques décrépies.

— C'est ici ?

— Oui. Suis-moi.

De l'autre côté de la pièce, face à eux, se trouvait l'entrée du « dépotoir » des Noirelames. Que les contrebandiers aient ainsi fait usage de ce lieu peinait Walther. Il y a trois ans, lui et Garance avaient accompagnés deux archéologues et un historien pour en étudier les bas-reliefs. Cette salle était l'une des plus belles et des mieux conservées des étages supérieurs d’Agrisa. Garance serait aussi chagrinée que lui de ce triste résultat.

La grande porte en bois sculptée était ouverte. Fortement endommagée, un de ses battants ne tenait plus sur ses gonds et reposait depuis longtemps contre un mur. L'antichambre dans laquelle ils se trouvaient avait jadis servit de hall d'entrée à une demeure importante, tant par sa taille que par le rang de ses défunts occupants. De part et d'autre de la pièce, de nombreux autres couloirs menaient au reste de la noble bâtisse.

Une fois l’ancienne porte passée, le petit groupe s’avança dans une immense salle rectangulaire. C'était la première fois que Morga y mettait les pieds et les bas-reliefs qui couraient sur l'ensemble des murs, du sol au plafond, captèrent immédiatement son attention. L'historien de passage, un certain Melavran d'Ovronelle, avait conclu que la grande majorité représentait des évènements d’ampleur survenus vers la fin de la quatrième Ere. Les autres dépeignaient des épisodes moins importants, concernant plus souvent la vie de tous les jours.

Le plus notable de ces bas-reliefs, que Walther et Garance avaient eu l'occasion d’observer de près, se trouvait à droite non loin de l'entrée. L'on y distinguait de nombreuses figures aux traits incomplets ou fortement imprécis. Un seul personnage, le plus important, était achevé. Il s'agissait d'un humain. Richement vêtu, celui-ci avait une posture presque royale par rapport aux autres. Deux détails avaient frappé Garance et Walther. Le premier était le crâne de corbeau qui ornait son armure, montrant que cet homme avait une sorte de lien avec la Légion ou les Mortis, le corbeau était un symbole commun. Mais même encore aujourd'hui, il leur était impossible de dire lequel. Le deuxième détail était sculpté à gauche de sa tête. Un corbeau au regard étrangement vivant était posé sur son épaule. Il donnait l’impression d’observer le spectateur d’un œil peu rassurant.

Chronologiquement parlant, ce bas-relief était le plus récent, dépeignant certainement des évènements survenus juste avant la désertion et la chute de la cité d'Agrisa, ce qui pouvait expliquer son caractère inachevé. Aujourd'hui encore, une question demeurait présente dans l'esprit de Walther, et très probablement dans celui des érudits. Ce personnage avait-il un lien quelconque avec la chute de la cité ?

— Voici donc la fameuse fresque qui a occupé vos esprits il y a trois ans de cela.

— Oui, en effet. Il m'arrive parfois d'y repenser. (Il soupira.) Allons-y, Morga. Nous ne sommes pas venus pour cela. Et si jamais tu souhaites en savoir plus, demande à Garance ou va te renseigner auprès d'Alan. Ils seront plus à même de te répondre.

— Très bien, Walther.

Il se détourna du bas-relief et suivit Morga jusqu'au centre de la pièce où se trouvait un vieux bassin profond de deux mètres, entièrement vidé de son eau. A la place, c'est une petite montagne de cadavres à différents stades de décomposition, qui l'emplissait. Au plus près du bassin, l'odeur était atroce et aurait fait vomir toute personne peu habituée à de tels relents. Morga se contenta d'une grimace au même titre que Walther. Mais dans son cas, celle-ci se fit plus discrète.

— Avec un charnier pareil, les nécromanciens de passage vont avoir de quoi parfaire leur art.

— Et encore poser des problèmes.

— Si je me souviens bien, le dernier que nous avons expulsé de la ville, c'était il y a quatre mois ?

— Oui, mais ce souvenir là en particulier s'avère plus amusant qu'agaçant.

— Mage noir contre mage noir. Ce jour-là, Garance l'a bien remis à sa place. Le pauvre imbécile est reparti la queue entre les jambes.

Morga rit de ce souvenir. Elle avait été présente ce jour-là afin d'épauler Garance au cas où le nécromancien en question aurait pu lui donner du fil à retordre mais il n'en fut rien. Morga se contenta d'être spectatrice, ce qui ne fut pas sans lui déplaire, avec le « spectacle » que sa collègue lui offrit.

— Il nous faudra songer à un moyen de brûler ce tas de cadavres sans enfumer toutes les galeries, déclara ensuite Walther.

Morga acquiesça en silence.

— Bon, eh bien au travail.

Elle prit une profonde inspiration puis ravala une grimace ; elle n'avait pas du tout envie de mettre ses pieds dans ce charnier. Malgré tout, elle s'accroupit puis descendit délicatement dans la fosse. La mage se rapprocha de la pile centrale tout en enjambant les corps comme elle le pouvait. Normalement, ils ne devraient pas avoir de mal à trouver le cadavre en question, la grande majorité des morts présent ici étant soit des humains soit des haut-elfes.

— Sur ta droite, Morga. Celui-ci semble plus frais que les autres.

La jeune femme tourna son regard dans la direction indiquée par son supérieur qui se tenait non-loin d'elle au bord du bassin. Sur sa droite, au pied du tas de corps, se trouvait un cadavre trapu. Il avait l'air d'être récent. Morga s'en approcha et constata qu'il s'agissait bien d'un nain. Chauve, le corps arborait un nez épais et une barbe fournie. La jeune femme posa un genou à terre. Les Noirelames l'avaient entièrement dépouillé de son équipement. Tout ce qu'il restait sur le cadavre étaient des vêtements sales et déchirés.

— Est-ce le bon ?

— Ça en a tout l'air.

— Bien, ne traînons pas dans ce cas.

Morga attrapa les gants en cuir qui se trouvait dans la grande pochette attachée à sa ceinture à droite. Elle les enfila en grimaçant. Elle n'aimait pas examiner les cadavres. Walther lui avait dit qu'elle s'y habituerait avec le temps mais la mage avait beau faire des efforts, elle n'y arrivait toujours pas. Elle prit une profonde inspiration, mit son dégoût de côté et se pencha sur le corps.

— Il a de multiples lacérations sur les bras et le dos. Ça ressemble plus à des griffures qu'autre chose. Il a aussi une vilaine morsure sur sa cuisse droite. Les Noirelames ont beau l'avoir recousu, il était quand même dans un sale état.

— Ce qui semble écarter la première hypothèse..., dit Walther en soupirant.

Au même moment, quelque chose capta l'attention de la mage. Elle retourna le corps et arracha une partie de la tunique qui le recouvrait. Walther commença à faire le tour du bassin et se rapprocha de Morga.

— Qu'y a-t-il ?

Elle se tourna dans sa direction.

— Les plaies sur son dos... Il y en a trois qui sont complètement noires...

Il finit de s'approcher au pas de course puis s'accroupit au bord du bassin. Morga s'écarta légèrement pour le laisser voir. Trois des plaies étaient noires. Au plus près des blessures, la peau était maculée de petites tâches sombres. Même les petits capillaires alentours avaient subi le même traitement.

— Regarde ses yeux, lui lança-t-il vivement.

Morga replaça le nain sur le dos puis souleva délicatement l'une des paupières de sa main droite. En-dessous, l’entièreté de l’œil apparut aussi noire que les plaies. Morga eut un léger mouvement de recul et plaça sa main gauche près de son cache-œil. Elle n'aimait pas ce regard. Il faisait remonter trop de mauvais souvenir à la surface.

— Et merde...

— Morga ?

— Ça va. Ne t'en fais pas.

Morga se redressa puis se tourna vers Walther.

— Le commandant avait raison. Des Abyssaux ont bel et bien eu raison du nain et de son groupe.

L'homme soupira longuement. Il ferma ses yeux quelques secondes tout en se pinçant l'arête du nez. Leurs pires craintes commençaient à s'avérer réelles.

De son côté, Morga ferma aussi son œil quelques instants. Elle serra ses poings. La mage tenta de se calmer du mieux qu'elle le pouvait bien que le lieu ne fût pas propice à une telle chose. Mais au bout d'une dizaine de secondes, une drôle de sensation la parcourut. Une sensation qui lui était étrangement familière.

— Attends un peu...

Walther se redressa à ces mots. Quelque chose venait de capter l'attention de sa subordonnée et il était curieux de savoir quoi.

— Il y autre chose ? lui demanda-t-il, méfiant.

— Oui, c'est très léger et je ne m'en suis pas rendue compte de suite mais... (Son iris s’illumina de bleu puis elle balaya la salle du regard.) Quelqu'un d'autre est venu avant nous ici... Avec cette aura, je dirais un mage... C'est subtil mais... Elle semble similaire à celle que j'ai traqué dans la crypte des Beaumont et... Non. J'en suis certaine. C'est la même.

Elle se tourna vers lui. Elle semblait sûre d'elle. En tout cas, assez pour que Walther ne remette pas sa parole en doute.

— Es-tu en mesure de la suivre ?

— Malheureusement non. C'est bien trop faible pour constituer une piste solide.

Il soupira. Les évènements récents semblaient bel et bien avoir un lien commun. Mais lequel ?

— Quelqu'un d'autre s'intéresse à cette histoire.

— Reste à savoir qui et pourquoi... Viens, Morga. Remontons à la surface et ne perdons pas de temps. Nous nous occuperons de cette mystérieuse présence en temps voulu. Et, Morga, une dernière chose.

— Oui, Walther ?

— Si les autres te posent la question : aujourd'hui, tu n'as fait que patrouiller dans les souterrains avec moi. Le temps que l'on en sache plus, pas un mot de tout cela avec qui que ce soit. Le commandant mettra les autres au courant en temps voulu.

— Très bien. A tes ordres.

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