Chapitre 10 (3/4)

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— Mon garçon ! J'espère que ta tante te ménage ?

— J'ai gagné contre elle avec mon épée ! lui répondit-il d'un air triomphal.

Victor le regarda d'un air faussement surprit tout en s'approchant de Garance.

— Vraiment ? Voilà qui est très impressionnant.

Il se tourna vers sa fille et haussa un sourcil.

— Te serais-tu soudainement ramollie ?

Garance se leva et épousseta son pantalon.

— Aha, très drôle, lui dit-elle en souriant.

Elle soupira et leva les yeux au ciel. Au moins savait-elle de qui elle tenait son humour que certains qualifiaient parfois de douteux. Elle lui sourit et acheva la distance qui les séparaient.

— Bonjour, papa.

Victor reposa Emile au sol.

— Bonjour, ma chérie.

Il enlaça fortement sa fille comme si cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu. Elle lui répondit avec la même intensité.

— Alors, comment te sens-tu aujourd'hui ?

— Bien mieux qu'hier. La nuit fut beaucoup plus calme.

— Tu m'en vois ravi dans ce cas, lui répondit-il tout en brisant leur étreinte.

Un court silence s'en suivit. Louise profita alors de cette accalmie pour intervenir. Elle émergea du hall d'entrée.

— Victor, vous êtes de retour.

Le commandant lui sourit.

— Ah, Louise. Tout s'est bien passé en mon absence ?

— Oui. J'ai démarré l'inventaire des provisions pour l'hiver. Nous aurons de nombreux achats à effectuer. J'aurais cependant aimé pouvoir en discuter avec Walther, afin de préciser certaines choses. Savez-vous quand il sera de retour ?

L'expression du commandant se fit plus sérieuse. Avec la mission qu'il avait confié à son second, il lui était impossible de répondre à sa belle-fille avec précision.

— Au mieux, je dirais en fin de matinée. Au pire, il te faudra certainement attendre cet après-midi. Mais...si tu as besoin d'aide en son absence...

Louise parut hésiter.

— C'est que... Vous avez déjà beaucoup de travail. Je ne voudrais pas vous surcharger, surtout avec des affaires de cet ordre.

— Je comprends. Cependant, sache que le fait que je sois le commandant des lieux et de la Légion en ce pays ne doit en rien te retenir de venir quérir mon aide. Je ferais un bien piètre personnage si je ne pouvais pas mettre un peu de temps de côté pour toi ou pour les domestiques, lui répondit-il en souriant.

— Très bien, Victor. Dans ce cas, j'aimerais pouv...

— Commandant !

Irvirn s’approcha de Victor d'un pas pressé. Normalement, lui et deux autres de ses compagnons étaient de garde à l'entrée principale de l'hôtel.

— Je te prie de m'excuser un instant. Qu'y-a-t-il, Irvirn ?

— Un messager de l’Oth-Diath Aelidis à la porte, commandant. Ce serait urgent, lui dit-il en chuchotant.

— Je vois. Fais-le entrer.

— Tout de suite.

Le légionnaire s'éloigna rapidement. Il ouvrit la porte piétonnière de l'hôtel et revint avec le messager. Louise comprit vite que sa présence n'était pas requise mais elle n'était pas contrariée de ne pas être la priorité à l'instant même. Elle avait confiance en Victor et savait où était sa place, loin des affaires de la Légion. Cela était mieux ainsi.

— Je vais vous laisser.

— Je suis sincèrement navré, Louise. Si tu le veux bien, nous reparlerons de tout cela plus tard. A l'heure du déjeuner ?

— Cela conviendra. Merci, Victor.

Elle lui sourit puis se tourna vers Emile et Garance. La jeune femme parlait à son neveu.

— Nous continuerons de jouer plus tard, d'accord ?

— Oui, tante Garance.

Le petit garçon sourit puis attrapa la main de sa mère. Ils partirent en direction des cuisines. Victor se tourna vers Irvirn et leur visiteur. D'un geste de la main, il indiqua à son subordonné de prendre congé. Le légionnaire s'exécuta et rejoint ses camarades à l'extérieur.

— C'est toi qui a demandé à l’Oth-Diath de nous prévenir si quoi que ce soit advenait, et tu as bien fait. Je veux que tu sois présente, lui dit-il sans détourner le regard du messager de la prêtresse.

— Oui, Commandant, répondit simplement Garance, consciente que la présence de cet homme n'augurait rien de bon pour la suite de leurs investigations.

Arrivé à leur niveau, l'homme s'inclina légèrement.

— Seigneur Mortis. Je me nomme Cillien et j'apporte un message urgent de la part de l’Oth-Diath Aelidis et de son Excellence, la Diath Héloïse.

— Bienvenue. Suivez-moi.

Le commandant s'avança vers le hall d'entrée, suivi de près par Garance et l'émissaire de la Diath. Ils atteignirent rapidement son bureau. Une fois à l'intérieur, Victor tira les épais rideaux des fenêtres, plongeant les lieux dans la pénombre. D'un claquement de doigts, il alluma les différents chandeliers dispersés dans la pièce, ce qui ne manqua pas de faire sursauter leur visiteur. Il s'installa ensuite dans son fauteuil, derrière son bureau. Victor croisa les jambes et posa ses bras sur les accoudoirs de son siège. Soucieux de la venue de cet homme, il craignait de perdre les quelques derniers soutiens qu'il lui restait. Garance referma la porte puis s'adossa contre un meuble, juste à la droite de son père. Le messager, lui, resta debout face au commandant et fut le premier à parler.

— En tant que secrétaire personnel de la Diath, j'ai été chargé de porter un message à votre connaissance, un message oral, plus précisément.

— Qu'en est-il ?

— Tout d'abord, nos deux ordres ont toujours travaillé conjointement afin de nous assurer au mieux que les Noirelames ne troublent pas trop la population, pas plus qu'elle ne l'est déjà en tous les cas, et, jusqu'à présent, cette coopération et cette surveillance, si je puis dire, avaient porté leurs fruits. Comme convenu avec votre fille, nous revenons donc vers vous concernant cette disparition suspecte qui eut lieu en début de semaine dans la nuit de dimanche à lundi. (Il tourna son visage vers Garance.) Les deux prêtresses que vous avez croisées ont naturellement fait part de votre demande à l’Oth-Diath et n'ont pas omis de mentionner le jeune garçon à son origine. (Il fit de nouveau face à Victor.) L’Oth-Diath vous fait dire, qu'interpellée, elle a tenu à l'entendre en personne. Alarmée par ce témoignage, elle ordonna ensuite au personnel en charge des bas-quartiers de demeurer attentif et de tendre l'oreille au moindre trouble, à la moindre...dissonance dans le quotidien. Rien d'étrange ou de particulièrement inhabituel ne fut à déplorer dans les jours qui suivirent, jusqu'à hier. Ce vendredi, au petit matin, nous avons appris que, dans la nuit, trois autres familles avaient eu à déplorer des disparitions en des circonstances similaires. Un homme serait venu frapper à la porte de ces familles, avec un des deux parents malades, plusieurs enfants en bas âge, et dans l'impossibilité de payer une quelconque forme de traitement.

Les visages de Victor et Garance se durcirent. Cillien poursuivit.

— D'après ce que les enfants nous ont dit, le scénario fut le même dans chacune des maisonnées avec l'homme en question proposant un travail à effectuer dans les souterrains le temps d'une nuit en échange d'une somme conséquente. En tous cas, soi-disant suffisante pour acheter un remède capable de soigner l'époux ou l'épouse affligé par la maladie... Et comme avec le jeune Dacien, aucun des parents n'est revenu depuis... Voilà... C'est tout ce que je puis dire sur cette affaire.

Le commandant laissa s'échapper un long soupir. Garance avait porté sa main au niveau de sa bouche. Elle réfléchit à voix haute.

— Il cible les plus fragiles, ceux qu'il estime qu'ils ne manqueront à personne. Mais dans quel but ? A-t-il réellement besoin de main d'œuvre ou n'est-ce là qu'un leurre ?

Garance se souvint alors d'un autre détail qui avait attiré son attention en début de semaine.

— Cillien, les gens ont-ils fait mention d'un élément physique particulier chez cet individu, comme la couleur de ses yeux ?

— Oui, en effet. Parmi les enfants interrogés, un seul se souvient clairement avoir vu des yeux blancs.

— Je le savais, lança-t-elle en grimaçant.

Le messager fut légèrement surpris de sa réaction.

— Le jeune Dacien a aussi fait part de ce « détail ». Sauriez-vous de qui il s'agit ?

— Malheureusement non. La seule chose dont nous sommes sûr avec cet individu est qu'il est lié à d'étranges activités dans les souterrains. Nous tâchons actuellement d'en savoir plus, répondit simplement Victor.

— D'étranges activités ?

Cillien fut quelque peu interpellé par ce curieux choix de mots. Féru d'histoire, il connaissait les sombres évènements qui avaient jadis mené à la chute de la cité souterraine. En l'espace d'une nuit, l'ensemble de la population des profondeurs d'Agrisa, la zone comprenant le cinquième, sixième et septième sous-sols, auraient disparu. Les habitants des zones supérieures auraient fui, paniqués.

Certains récits, parfois présentés comme des témoignages, faisaient état de hurlements terribles, loin de ce que l’humanité pouvait produire. D'autres parlaient d'un gigantesque massacre qui aurait eu lieu et d'une étrange brume noire qui aurait enveloppé l'ensemble des couloirs l'espace de quelques heures. Ces récits étaient tous plus sinistres et macabres les uns que les autres.

À la suite de ces évènements, la cité fut désertée et rares furent ceux qui choisirent d'y demeurer. Ceux qui ne souhaitaient pas quitter la région commencèrent à construire de nouveaux bâtiments et à bâtir une nouvelle cité au-dessus de la souterraine, scellant par la même occasion tous les passages qui y menaient, par peur de ce qui pourrait en remonter.

Avec le temps, de nombreuses personnes bien moins scrupuleuses et farouches, sans parler des plus ignorantes, arrivèrent et décidèrent de rouvrir ces passages et même d'en créer de nouveaux. Entre les pillards et les mages plus ou moins bien intentionnés, le monde ne manquait pas. Et c'est ainsi que, lentement, la cité qui deviendrait un jour la Nouvelle-Essenie fut fondée.

Cependant, aussi éclectiques étaient-ils, un point unissait ces récits : les Abysses. Selon les légendes, quelqu'un ou quelque chose les auraient invoquées, provoquant l'engloutissement total d'une partie de la population. Alors quand la Légion commençait à parler « d'étranges activités » avec un air aussi sombre, c'est que cela n'augurait rien de bon.

Les contrebandiers et quelques rares nécromanciens qui allaient et venaient dans les souterrains, ça, Cillien avait fini par en avoir une certaine habitude. Il en était de même pour les morts et les autres revenants qui s'échappaient de temps à autre des catacombes de la cité pour déambuler par petites patrouilles dans le quatrième sous-sol voire même le troisième. Mais pire que cela ? Il ne voyait pas d'autres options que les Abysses. Il pria pour qu'il ne s'agisse pas de cela.

Face à lui, les visages de Victor et Garance s'étaient fait plus anxieux. Ils suspectaient bien quelque chose, comme ils l'avaient laissé sous-entendre, mais ils hésitaient encore à le dire. Et pour de bonnes raisons, car la conclusion à laquelle ils étaient arrivés n'augurait strictement rien de bon pour eux comme pour la capitale de ce royaume.

— Il vaut peut-être mieux les mettre au courant, père. Il n'est peut-être pas sage de garder cela pour nous plus longtemps.

Victor regarda Garance en soupirant. Compte tenu des circonstances, il avait préféré garder cela pour lui, cette affaire le touchant personnellement. Mais sa fille avait raison. Si quelque chose ou quelqu'un menaçait cette ville, ils étaient tenus d'en avertir les autorités, du fait des accords qu'ils avaient signés. Qui plus est, en agissant ainsi maintenant, peut-être pourrait-il trouver une alliée en la Diath Héloïse, face au poids grandissant que prenait Herlemond et sa clique au sein de la cour et du pays.

En vérité, l'entente de la Légion avec les cultes liluéens et lothréanais était presque excellente, bien que le commandant n'ait pas eu l'occasion de les entretenir comme il l'aurait fallu depuis une petite année. Il savait qu'il n'avait rien de particulier à craindre d'eux. Il leur faisait confiance contrairement à d'autres.

Garance ne disait rien car c'était à son père de mener la conversation. Mais cela ne l’empêchait pas de faire le même constat que lui. Ils avaient une liberté quasi-totale dans les souterrains mais à la surface, leur champ d'action se trouvait considérablement réduit. Ils devaient trouver un peu de soutien là où ils le pouvaient et s'il fallait là dire la sinistre vérité pour y parvenir, autant le faire.

Les membres de ces deux congrégations étaient ceux qui avaient le plus conscience de la menace que constituait les Abyssaux. Ils tâchaient donc de travailler ensemble auprès de la population, le culte de Lothrean avec les Grandes archives et le culte de Lilua avec la Légion.

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