Chapitre 12

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Jeudi 9 Octobre - An 517 - 5ème Ère

1ère entrée


Je ne peux pas échouer. J'en ai fait la promesse, une, signée dans le sang et les larmes.

Mon cœur et mon âme réclament vengeance depuis trop longtemps maintenant, pour l'infamie dont nous avons été victimes et pour l'injustice que nous avons endurés.


Je suis venu au sud, dans cette lointaine contrée, avec une seule et unique idée en tête : justice pour ma sœur, justice pour mon frère, justice pour mes pauvres parents qui en sont morts de chagrin.

J’ai vu ma mère dépérir lentement au fil des ans, se refusant petit à petit à toute sortie hors de la demeure familiale. Elle passait souvent de longues heures dans la chambre d'enfant de Kaerolyn pour y pleurer. A chaque fois que j'y repense, cette vision me brise le cœur. Elle était là, fixant par moment un point dans le vide, sans jamais dire quoi que ce soit, et à d'autres, elle se saisissait d'une de ses vieilles poupées qu'elle serrait dans ses bras en sanglotant. Ses yeux, qui avaient toujours été remplis d'une curiosité et d’une joie incroyable, étaient là éteints, constamment éteints. Vint un jour où toute force semblait l'avoir quitté.

Ma mère mourut lors d'une froide nuit d'hiver, dans le chagrin et un désespoir sans nom.

Je me souviens encore du regard désemparé et impuissant de notre père. Même s'il le montrait moins que notre mère, Arvan et moi savions pertinemment qu'il ne serait plus jamais le même. Lui qui avait toujours été un homme si fort de caractère, si brillant. Nous sentions que le poids de ce terrible évènement l'avait marqué, terriblement marqué dans sa chair. Il était devenu beaucoup plus impatient, beaucoup plus irascible. A la fin, il finit par noyer son chagrin dans l’alcool.

On le retrouva mort dans le salon un beau matin d'été, de nombreuses bouteilles vides gisant autour de lui.


J'ai dû répéter cela des dizaines de fois mais ces souvenirs sont bien trop forts, bien trop vivaces pour que je n'en parle pas.

Ils me hantent constamment.


Il y a trente-sept ans, tout comme mes parents et mon frère aîné, je m'étais opposé à la décision funeste de Kaerolyn. Je me demande encore quelle idée a bien pu lui passer par la tête. Épouser un Mortis ? Alors qu'ils sont responsables de la disgrâce et de la mort du noble fondateur de notre Maison ? Jamais ce Sage n'aurait dû emmener ma sœur avec lui jusqu'en Hautelune.

A son retour, soi-disant pour ses études en alchimie se justifia-t-elle.


Pourquoi refusait-elle de comprendre le danger que ces gens étaient et sont encore aujourd'hui ? Mais comme toujours, elle n'en a fait qu'à sa tête. Kaerolyn était d'une bienveillance incomparable mais, quel caractère ! Têtue comme un âne. Pire même.


Et voilà où son entêtement la menée... Tout droit dans les bras de la Mort.

Et tout bascula il y a treize ans.


Une haine profonde m'envahit le jour où nous reçûmes cette maudite lettre, annonçant sa fin tragique, soi-disant des suites d'une terrible maladie.

Nous étions dévastés. La petite prodige de la famille n'était plus. Elle était partie, à tout jamais.


Au début, nous refusions d'y croire mais, avec le temps, et la confirmation de ce fait par nombre de ses collaborateurs, l'implacable réalité dut s'imposer à nous.

Mes parents exigèrent alors le retour de sa dépouille, de sorte qu'elle puisse reposer auprès des siens, dans sa terre natale. A ce moment, nous espérions que les Mortis feraient montre d'une once de sympathie à l'égard de notre condition mais leur réponse fut des plus froide et des plus cruelles à nos yeux.

Quel ne fut pas notre horreur de découvrir que cette simple demande nous soit refusée de la sorte, par simple courrier. Pas un seul représentant officiel pour nous l'apprendre. Nous étions traités comme de simples citoyens, et non avec la déférence dû à notre rang.

Non seulement nous refusait-on le retour de son corps mais, en plus de cela, l'on nous annonçait qu'elle avait été crématisé et que ses cendres reposaient désormais dans la crypte des Mortis à Hautelune, soi-disant à sa demande.


Le pire des affronts a été fait à sa dépouille !

Son corps brûlé, comme celui d'un vulgaire animal, alors qu'il aurait dû être descendu dans la crypte familiale après avoir reçu les justes honneurs. Il aurait dû être chéri et honoré comme ceux de nos ancêtres.

Le visage de mon père, aussi blanc qu’un linge, et ma mère, d’une colère noire. Arvan pleura.


Je me souviens encore de ce jour où ma sœur quitta la demeure familiale, pour ne plus jamais y revenir.

Je me souviens clairement l'avoir supplié pendant de longues minutes de revoir sa décision et de rester. Au plus profond de moi, j'en étais persuadé, cet homme ne la rendrait jamais heureuse. Nous savions tous que leur univers tout entier n'était rien de plus qu'une éternelle nuit glaciale.

Et comme j'avais eu raison de penser ainsi !


Père aurait dû la faire enfermer ! Ainsi, elle ne nous aurait jamais quitté.


Mais cette elfe noire l'accompagnait ce jour-là. Une femme puissante et influente à ce que l'on disait. Si nous avions agi de la sorte, elle nous aurait causé beaucoup, beaucoup de problèmes. Et c'est à contrecœur que nos parents l'ont laissé s'en aller, rejoindre ce Mortis.

Ces gens m'ont pris ma sœur, injustement !


Aujourd'hui, je suis proche du but, proche de trouver la vérité. Jusqu'au bout, jamais n'avons-nous cru à cette histoire de maladie. Mais comment faire pour confirmer nos soupçons ? Pour prouver que quelque chose de terrible lui était arrivé ?

J'ai passé ces treize dernières années à ravaler en silence ma colère, en espérant qu'un jour peut-être, une opportunité me serait offerte.


Et cette année, au cours du mois de Février, une m'apparut enfin, sous la forme d'un étrange personnage.

Cet homme, Valion, s'est présenté à moi en tant qu'ancien mécène de Kaerolyn. Attristé par son départ, il nous a expliqué chercher lui-aussi à comprendre les évènements qui ont menés à son trépas. Mais pourquoi ne venir à nous que maintenant ?

J'admets que la question m'a effleuré les lèvres bien des fois mais je n'ai jamais osé la lui poser. Quelque chose à son sujet me semblait étrange malgré son chagrin apparent.

Peut-être ma sœur ne lui a-t-elle jamais fait part de ses origines ?


Arvan est, depuis le trépas de notre père, paix à son âme, le chef de notre illustre famille. Sans son soutien, ce projet n'aurait jamais pu totalement se mettre en branle. Et je le remercie chaque jour de sa confiance.

Aussi, sans Valion, je n'aurais jamais cru pouvoir un jour apporter la consolation dont nos esprits et nos cœurs avaient tant besoin.


Il nous a offert une occasion inespérée en nous dévoilant le lieu des dernières recherches de ma sœur et de l'emplacement actuel de Victor Mortis et des siens. Et quelle ne fut pas ma stupeur d'apprendre que les deux endroits coïncidaient ! Il y avait forcément une raison, forcément !


Grâce au journal qu'il m'a apporté, le dernier écrit de la main de ma sœur, et je ne sais comment il a réussi à s'en emparer, j'ai pu mieux comprendre les mois qui précédèrent son trépas.

Cependant, celui-ci semble curieusement incomplet. Il s'arrête brusquement au moment où elle parle d'un étrange « prisonnier » dans le septième sous-sol. Après cela, il n'y a plus que des pages blanches jusqu'à la fin.

Le ton qu'elle emploie dans les dernières feuilles m'inquiète.

Kaerolyn, pourquoi tant de secrets ? Qu'est-ce qui t'effrayait à ce point ?


*****


Jeudi 9 Octobre - An 517 - 5ème Ère

2ème entrée


Mon arrivé à la Nouvelle-Essenie se fit sans grande difficulté. Le voyage fut long mais relativement calme.

Quelle tristesse que cette belle cité portuaire doive ainsi faire face à la corruption de la Légion et des Mortis à sa tête. Mais si notre plan se déroule pour le mieux, la Nouvelle-Essenie sera bientôt libérée de leur influence néfaste. Les habitants de ce pays pourront alors retrouver la paix et la quiétude qui étaient la leur avant que ces maudits cafards ne souillent de leur présence leur capitale.

Afin d'éviter d'attirer l'attention sur nous, nous avons emprunté un passage supposé secret, situé à l'extérieur de la ville et nous permettant d'atteindre au plus vite notre destination : les catacombes, comme mentionnées dans le journal de ma sœur.

Le passage se trouvait dans une vieille crypte. Nous avons laissé les trois fantômes qui l'habitait poursuivre leur « existence ». Les bannir n'aurait fait qu'attirer l'attention et aurait été une perte de temps. Nous nous sommes arrangés pour qu'aucun d'eux ne nous voit.


A nouveau, je ne sais comment Valion a obtenu cette information concernant cette galerie. L'entrée était cachée derrière une barrière ; un sortilège des plus subtils que je n'avais pas remarqué. Quand je l'ai interrogé sur ce « détail », il m'a répondu ceci :

« Un vieux corbeau l'a murmuré à mon oreille, juste avant de rendre son dernier souffle. »


Un sourire froid maculait ses lèvres.

Je n'ai pas insisté.


*****


Samedi 18 Octobre - An 517 - 5ème Ère

21ème entrée


Bien qu'investi par des contrebandiers et de nombreux autres malfrats, donnant à ces lieux un semblant de vie, une ambiance de mort y persiste. D'étranges et sombres histoires demeurent concernant ces lieux. Le genre d'histoire que l'on raconte à la tombée de la nuit pour effrayer les enfants.

De l'ensemble des informations que je suis parvenu à réunir, en voici le résumé. Il porte essentiellement sur la « structure » de cette cité souterraine, pour la moins étrange. Mais pour être honnête, tout ce que les ashéens ont jadis bâti est étrange. Contrairement à moi et à mes hommes, cela n'a pas semblé perturber Valion.


- 1er et 2ème sous-sols :

Un réseau de petites galeries et d'habitations relativement étroites, à l'exception de quelques larges salles.

Les petites gens et les plus miséreux résidaient ici. De nombreux postes de gardes assuraient le contrôle de la populace et des passages menant à la surface.

Une vaste zone « ouverte » se trouve dans le deuxième sous-sol. Lieu où les Noirelames ont installé leur quartier général. Dans un autre secteur du même niveau, quatre ou cinq riches résidences s'y trouvent. Probablement des bâtiments officiels et/ou administratifs.


- 3ème et 4ème sous-sols :

Ici, les galeries, salles et bâtiments se font plus larges et vastes.

Quartiers bourgeois. Artisans et autres riches marchands.

Une partie conséquente du quatrième sous-sol sert de cimetière, réservé à la population de ces secteurs. Nous nous trouvons actuellement ici.


- 5ème, 6ème et 7ème sous-sols :

Les « disparitions » inexpliquées ont eu lieu ici.

Le paysage change complètement d'apparence. Deux immenses cavernes ont permis l'érection de nombreux bâtiments, structurés sur différents niveaux et souvent connectés par de multiples passerelles aériennes. Une ville dans la ville.

Là où les précédents niveaux étaient appelés « souterrains », ceux-là sont désignés comme « profondeurs » d'Agrisa. Quartiers nobles et cléricaux. Ce qui se rapproche le plus d'un palais royal se trouve au 7ème « sous-sol ».


*****


Lundi 20 Octobre - An 517 - 5ème Ère

25ème entrée


Valion a réussi à trouver mon neveu et ma nièce.


Ce lundi, en début de semaine, il m'a montré Garance. Je ne l'avais vu qu'en dessin, et elle n'était encore qu'une petite fille à l'époque. Aujourd'hui, elle doit avoir 26 ans, et son frère 32. J'avais espoir qu'ils n'aient pas choisi la voie de leur père.

J'ai manqué de m'étouffer en la voyant sortir de la Bibliothèque. Elle portait l'uniforme de la Légion.

Et ce serait la même chose pour son grand-frère, William. De ce que je sais, il est marié à une certaine Louise Mirand et a un petit garçon.

Pauvre enfant...


Cette même journée, plus tard dans l'après-midi, Valion a soudainement changé d'humeur. Il s'est montré fortement irrité et semblait agité, comme s'il avait senti que quelque chose n'allait pas.

L'espace de quelques instants, j'ai pu apercevoir son regard et contempler, non sans une certaine crainte, la colère sourde et froide qui l'emplissait. Il s'est éloigné de moi puis s'est mis à hurler :

"Je le savais, je le savais !"


Cet humain agissait si étrangement.

Humain ? Quand je vois ses yeux aux iris d'un blanc pur, j'en doute par instant.


Mais, en toute franchise, cela importe peu. Le plus important est que je parvienne au fin mot de cet histoire. Je ne suis pas stupide. Je sais pertinemment que nous avons chacun des raisons différentes d'être ici, même s'il cherche lui aussi à comprendre ce qui est arrivé à Kaerolyn.


*****


Mercredi 22 Octobre - An 517 - 5ème Ère

27ème entrée


Trouver de la main d'œuvre supplémentaire devient quelque peu compliqué mais cela ne semble pas poser de problème particulier à Valion, qui est revenu cette nuit avec deux nouvelles personnes, celles-ci sans famille. Espérons qu’on ne le remarquera pas.


Et ces Noirelames qui ne nous facilitent guère la tâche. Comme je le pensais, leur curiosité maladive a mené une partie des leurs à leur perte. Bande d'imbéciles.

Mais je dois tout de même avouer avoir été surpris. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils aient le cran de descendre si bas dans la cité souterraine. Les morts qui évoluent dans ces galeries suffisent d'habitude à les en dissuader. Pour qu'ils tentent de s'en prendre à nous de la sorte... Ils nous voient probablement comme une menace.


Après tout, il est vrai qu'en sanctuarisant par le biais de rituels complexes une partie des catacombes comme nous l'avons fait, nous avons renvoyé vers les niveaux supérieurs un nombre certain de revenants et de squelettes. J'imagine que ces « rencontres » ne les ont guère satisfaits.


Bien qu'étant reconnu comme un mage des plus capables dans mon pays d'origine, le royaume d'Anora, j'ai tout de même été grandement impressionné par les talents de mon « partenaire » lors de l'attaque des contrebandiers. Sa maîtrise de la magie est des plus impressionnantes.


Certains seraient tentés de désapprouver mes actes mais j'ai juré sur la tombe de mes parents, sur mon honneur, que rien ni personne ne se mettrait en travers de mon chemin, entre moi et la vérité.

Alors, oui, je les ai massacrés jusqu'au dernier sans la moindre once de pitié et je ne regrette rien. Absolument rien.


Ce qui compte le plus aujourd'hui est d'enfin pouvoir accéder au 5ème sous-sol. Le déblaiement avance vite dans les catacombes. Les anciens passages secrets, jadis bouchés par les Grandes archives, seront très bientôt de nouveau ouvert, et nous serons alors libre d'y pénétrer et de poursuivre notre marche en direction du 7ème niveau, notre destination finale.


*****


Samedi 25 Octobre - An 517 - 5ème Ère

32ème entrée


Pour ce qui est de la présente journée, Valion a décidé de traquer la source de son « dérangement », survenu en début de semaine. Il a l'intention de s'enfoncer plus en avant, et seul, dans le quatrième sous-sol. Mes hommes disent qu'il est fou, mais j'ai vu de quoi il est capable. Les morts ne l'empêcheront pas d'atteindre sa destination, pas plus que des vivants.


La nuit ne tardera pas à tomber. Il partira d'ici une heure ou deux.


Mais une nouvelle question me vient à l'esprit :

Cela a-t-il à voir avec nos recherches ? Les causes de la mort de Kaerolyn ?


C. Nimra

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