Chapitre 13 (1/4)

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Garance se tenait dans le couloir du deuxième étage. Face à la fenêtre, elle observait en silence le soleil qui se couchait à l'ouest. Le ciel et les nuages avaient pris une teinte rouge-violacée avec à certains endroits, quelques petites pointes de rose. Les couleurs étaient sublimes et la vue envoûtante. Ce soir-là, elle ne se désolait pas de devoir quitter ce ciel pour les profondeurs inhospitalière d'Agrisa. Le spectacle qui s'offrait à elle en ces lieux était tout aussi magnifique et majestueux. Dans la mort, la ruine et les ombres, il s'agissait d'un autre genre de beauté.

Au bout de quelques minutes, Garance se redressa et s'éloigna lentement de la fenêtre pour rejoindre l'escalier principal de la bâtisse. Ici, les lumières des torches donnaient à la pierre blanche une belle lueur orangée, similaire à celle que les rayons du soleil projetaient sur les pierres à l'extérieur. La jeune femme prit son temps pour descendre ; elle n'était pas pressée. Tout en descendant, elle caressa la surface du mur à sa droite du bout des doigts.

La mage pénétra dans le hall principal, bien plus éclairé que les escaliers. Dans le réfectoire, les domestiques s'affairaient à ranger les tables. Avec ce qui attendait certains de ses membres cette nuit, la maisonnée avait pris son souper un peu plus tôt que d'habitude.

Dans une pièce, non loin de la porte principale, William discutait des derniers préparatifs avec Walther et en particulier de la route qu'ils emprunteraient une fois dans les souterrains. Son frère tenait à arriver à la jonction du quatrième et cinquième sous-sols au plus vite, en évitant dans la mesure du possible les galeries principales où patrouillaient les Noirelames. Avec les récentes révélations, ils devaient impérativement se faire discrets. Walter conseilla à William de prendre les vieux passages jadis utilisés par les Grandes archives car beaucoup étaient encore dissimulés à la vue de tous.

Sérion était prêt depuis quelques minutes et profitait du temps qu'il lui restait pour finir de lire les quelques pages du livre qu'il avait entamé deux semaines plus tôt. Il savait qu'ils devaient quitter les lieux à huit heures sonnantes. Regardant l'horloge murale du salon, l'elfe constata qu'il lui restait une bonne vingtaine de minutes avant l'heure du départ. Il s'enfonça un peu plus dans la banquette puis se replongea dans sa lecture des Mythes et Légendes des clans Toth-ri de l’Alen.

Au pied de l'escalier, Garance regarda Sérion en souriant. Chez eux, la lecture était depuis toujours une passion commune. D'autant plus qu'au sein de leurs rangs, elle était même vivement encouragée. Indépendamment de leurs goûts personnels, ils se conseillaient très souvent des livres, pour la plupart tout droit sortis de la bibliothèque privée d'Alan Marxus. A son tour, elle aperçut l'heure sur l'horloge du salon. Constatant tout comme son collègue qu'il lui restait un peu de temps, la jeune femme décida d'en profiter pour inspecter une dernière fois sa tenue avant le départ.

L'ensemble était aux trois-quarts composé de cuir noir. Le haut de son uniforme, sous lequel se trouvait glissée une chemise noire en lin, était divisé en deux parties. Une sorte de corsage épais lui couvrait l'abdomen tandis qu'un plastron élégamment ouvragé, conçu de sorte à trouver un équilibre entre liberté de mouvement et protection, lui couvrait le torse. Un gorgerin en cuir décoré d'un motif de roses épineuses lui protégeait le cou. Pour la protection de ses bras, une sorte de renfort, ressemblant à de longues mitaines, composé de plusieurs morceaux de cuir, lui couvrait les membres supérieurs jusqu'au bas des épaules. Un laçage et des sangles les empêchaient de glisser.

Deux ceintures lui entouraient la taille, l'une tenant sa dague et l'autre maintenant la pochette accrochée plus bas à sa cuisse droite. Ses bottes étaient recouvertes par une série d'éléments en acier maintenu par des sangles protégeant dessus des pieds, chevilles, tibias et genoux. Par-dessus son pantalon, un renfort supplémentaire lui couvrait les genoux et les cuisses aux trois-quarts avant d'être fixé au haut de sa tenue par d'autres sangles.

Son équipement était complété par un manteau de cuir noir dont les différents pans s'arrêtaient au même niveau, juste au-dessus des genoux. Le col était relevé. De profil, il masquait le cou et le bas du menton de Garance. Quelques pièces de métal, elles aussi élégamment ouvragées, venaient décorer ce col et le haut des manches du vêtement.

Dans un aspect plus général, l'esthétique de la tenue correspondait à la mage, sombre et élégant. Cet uniforme était un cadeau de son père, qui lui avait offert lors de sa promotion officielle au rang de Chevalier noir, l'année de ses vingt ans.

La première fois que la jeune femme était sortie en ville ainsi vêtue, de nombreux gardes s'étaient moqués d'elle, la voix empreinte d'un certain mépris. Ses « fantaisies inutiles », comme ils les appelaient, étaient les rares instants d'élégance qu'elle pouvait se permettre. Garance aimait être bien habillée et du moment que ses petites personnalisations n'entravaient pas ses mouvements, elle se moquait éperdument de passer pour une excentrique aux yeux des autres.

La mage attacha le baudrier qui soutenait son épée autour de son torse puis couvrit ses mains de ses gants en cuir. Elle s'adossa ensuite au mur qui séparait le hall du réfectoire et croisa les bras, choisissant d'attendre patiemment et dans le silence que tout le monde soit prêt.

La semaine avait été particulièrement éreintante pour elle, le manque de sommeil couplé à son agacement n'ayant pas fait bon ménage. Elle avait cependant profité des deux derniers jours, beaucoup plus calmes, pour réfléchir à sa situation et aux événements récents.

Elle allait être honnête, les cauchemars qu'elle avait faits l'avait effrayé au tout début, lors de la première nuit. Mais une fois ce temps passé, elle parvint à affronter les autres avec bien moins de crainte. Au début, elle avait été réticente à les suivre, ne sachant pas vraiment ce qu'il adviendrait d'elle si elle le faisait. Mais très vite, la curiosité avait fini par prendre le pas sur tout le reste et elle s'exécuta sans broncher.

Si elle s'était réveillée la nuit, c'était toujours à cause de la surprise induite par le dénouement de son périple. Ses rêves ou cauchemars se terminaient presque toujours en chute. Elle se perdait constamment dans deux choses différentes. La première était une épaisse brume noire et la deuxième, un liquide semblable à de l'eau mais tout aussi noir. C'est à l'instant même où elle commençait à s'enfoncer en ces deux choses qu'elle rejoignait brutalement le monde éveillé. Les quatre jours et les quatre nuits où elle laissa le sommeil la prendre, elle comptabilisa en tout près d'une trentaine de rêves similaires.

Mais au milieu de toutes ses errances nocturnes, une présence s'était fait sentir en permanence. Elle n'évoquait rien de doux ou de violent et se contentait d'être là, d'observer. Cette présence avait toujours été celle vers laquelle les voix tendaient sans cesse à la guider. Au début, Garance n'avait pas fait le lien avec l'Abyssal qu'elle avait rencontré dans les souterrains et elle ne le fit que lorsque celui-ci apparut de nouveau en plein jour dans l'avenue bondée où Garance se trouvait. L'aura qui émanait de cette créature était la même que celle dans ses rêves. Elle en était désormais certaine.

Les voix oscillaient entre des chuchotements de toutes sortes et un ricanement des plus distincts, issus d'une seule et même origine. Garance avait l'impression d'avoir été témoin d'une étrange conversation même si elle n'avait pas toujours été capable de distinguer les mots dans leurs propos.

Et enfin, le dernier point qui l'avait interpellé. La période de trouble qu'elle avait enduré avait été étonnamment courte. Elle se souvenait clairement que pour son grand frère, l'histoire avait été une toute autre affaire. Il avait dû endurer cela pendant plus de deux semaines.

Cette période avait été extrêmement marquante pour elle à l'époque. Elle se souvenait avoir pleuré longuement, terrifiée de voir son frère dans l'état dans lequel il s'était trouvé. Elle avait craint pendant longtemps que son tour ne vienne et qu'elle n'y survive pas. Ce sentiment fut exacerbé par le décès de leur mère qui survint plus tard la même année. Il lui avait fallu quelques hivers pour s'en remettre. Mais très vite, elle transforma cette crainte en appréhension lui permettant d'affronter les souterrains d'Agrisa avec plus de sérénité.

Malgré tout, quelque chose la dérangeait. Quatre jours seulement ? Alors que la moyenne se situait entre deux semaines et un mois. Son père avait eu aussi l'air d'être très surpris. Peut-être y avait-il une raison ? Il faudrait qu'elle aille se renseigner, auprès de lui ou d'Alan.

Plus concrètement, son expérience du matin et les révélations de Shaelo étaient véritablement ce qui avait précipité son retour dans les souterrains. Sa curiosité avait pris le dessus. Elle voulait savoir et, plus encore, comprendre.

Morga arriva à son tour dans le hall. Elle avait quitté son uniforme pour une simple robe en lin et avait tressé ses cheveux sur le côté. Son cache-œil enlevé, quelques mèches de cheveux couvraient la partie blessée de son visage sans masquer à la vue d'autrui les trois cicatrices qui barraient sa paupière et la moitié de sa joue. Morga était à l'aise en ces lieux. Elle savait qu'elle n'avait rien à craindre des autres et qu'elle était libre de se dévoiler de la sorte.

Et si elle se trouvait dans le hall en cet instant est que les bas-reliefs qu'elle avait vu dans le deuxième sous-sol en début de semaine n'avaient pas quitté ses pensées. Certaines de ces sculptures l'avaient interpellée, en particulier celle qui semblait la plus récente. Elle voulait en savoir un peu plus et ne pouvant se rendre auprès d'Alan, Garance devint son choix le plus logique.

Morga aurait pu aller la voir en début d'après-midi mais son amie avait décidé de s'enfermer dans sa chambre jusqu'au repas du soir. Et lorsque Garance agissait de la sorte, il n'était pas sage de venir la déranger, encore plus considérant la semaine qu'elle avait passé. Elle avait eu besoin d'être seule et Morga s'était refusée à troubler sa quiétude. Mais Garance avait l'air d'être mieux portante, d'autant plus qu'il lui restait un peu de temps avant le départ.

— Garance ?

La mage rouvrit lentement ses yeux et observa en souriant sa collègue qui s'arrêta non loin, à seulement deux pas.

— Oui, Morga ? Tu as besoin de quelque chose ?

— Avant que tu ne partes, je voulais te poser une question. Enfin, si cela ne te dérange pas.

— Pas de souci. Quelle est-elle ?

— Tu sais que mardi matin, Walther et moi sommes allés patrouiller dans les souterrains.

— En effet.

Morga se souvenait bien que Walther lui eût demandé de garder le silence sur les véritables raisons de leur « patrouille », aussi, choisit-elle de modifier quelque peu son discours, de sorte que Garance ne suspecte rien de trop étrange.

— Nous étions près des bâtiments luxueux du deuxième sous-sol et je me suis souvenue des fameuses sculptures que tu avais un jour mentionnée. J'ai donc souhaité les voir de mes propres yeux, chose que Walther m'accorda volontiers au retour de la patrouille.

— Celles dans la grande salle avec le bassin ?

Morga fit une grimace. Elle revoyait encore le monticule de cadavre au centre de la pièce.

— Oui. Cependant, le bas-relief qui m'a le plus intrigué est celui demeuré inachevé. Il y avait quelque chose d'assez étrange avec et le personnage central semblait lié à la Légion, si on en croit la décoration de son armure.

— Ah, oui... Celui-là... C'est aussi l'avis des spécialistes que j'ai accompagné. Ils ont eu la gentillesse de nous faire parvenir une copie de leur étude et de leurs conclusions. Les documents sont dans nos archives. Je te montrerais où, si tu es intéressée.

— Ce serait avec plaisir.

— Bien... Concernant cet humain, pour qu'il ait ainsi figuré sur ces bas-reliefs que l'on pense historiques, c'est qu'il s'agissait probablement d'un personnage important et qui est resté assez longtemps dans la cité et ses alentours pour qu'on décide de garder une telle trace de son passage. Considérant son armure et le contexte de l'époque, ils pensent qu'il s'agissait d'un membre haut placé de la Légion. Les nombreux détails de sa tenue montrent qu’il était loin d’être un légionnaire ou un simple Chevalier noir. Cependant, et c'est là où les choses sont étranges, rien dans les archives de la Légion ne fait état d'une visite officielle d'un membre haut placé à cette période précise.

— Un Mortis affilié à la Légion peut être ? Après tout, à l'époque, le royaume d’Evragartha et l’Agertha formaient encore un seul et même empire. La scission entre ta famille et la Légion ne s'est faite que deux siècles plus tard.

— C'était une des hypothèses avancées mais, même là, rien apparemment dans les archives royales de Corbargent, ne fait état d'une telle visite. En tout cas, rien dans les archives « officielles ». Impossible à confirmer avec certitude donc.

Les érudits n'avaient eu accès qu'à ce que les officiels de Corbargent avaient bien voulu leur fournir. Ils n'étaient pas entièrement opposés au fait que l'on vienne étudier l'histoire de leur pays mais tout ce qui avait un lien avec la Légion pouvait être source de tension. Tout dépendait de comment l'on abordait le sujet.

— Je vois... C'est assez étrange tout de même. Si on suit la chronologie des frises, l'arrivée de cet homme est le dernier évènement majeur connu dans l'histoire d'Agrisa.

— Ça l'est, en effet. Le bas-relief étant inachevé, les érudits pensent que la désertion de la cité s'est possiblement faite à deux moments : soit à la même période de la présence de ce personnage, soit très peu de temps après son possible départ. Mais dans tous les cas, tout cela est très mystérieux. Car si on résume, un membre haut placé de la Légion, peut être un Mortis, cela étant très courant à l'époque, arrive à Agrisa, accueillit chaleureusement pour je ne sais quelles raisons par les notables et aristocrates et, peu de temps après ou au même moment, la moitié de la cité disparaît mystérieusement et provoque la fuite massive du reste de ses habitants. Dans ce drame, tout pointe vers l’Inconnu mais...ce personnage intrigue.

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