Chapitre 13 (2/4)

9 minutes de lecture

— La Légion était peut-être au courant du début de l'apparition d'un Monolithe et y a envoyé à l'avance un de leur Chevalier noir pour pallier cette menace ?

« Monolithe », Morga prononça ce mot avec crainte. Bien que ses connaissances sur les Abysses ne soient pas aussi poussées que celle de sa collègue, elle en savait néanmoins assez pour comprendre que les Monolithes étaient leur pire manifestation possible. Ces monuments gigantesques, aux apparences diverses, étaient l'équivalent d'une porte grande ouverte sur l’Inconnu et plus particulièrement, sur le domaine de l'Archonte auquel ils étaient rattachés.

Ces maîtres du Sang noir étaient alors libres de répandre leur influence sur les terres et êtres environnants, offrant momentanément à Athran l'apparence sombre et tordue des Abysses. Une épaisse brume noire se manifestait parfois dans la zone corrompue ; brume noire qui n'était autre qu'une des manifestations physiques du Sang noir. Naturellement, cela n'était pas sans rappeler les histoires qui narraient la disparition des habitants d'Agrisa.

— Même s’il s’agissait d’un Chevalier, un seulement ?

Garance trouvait l'idée absurde et quelque chose la dérangeait. Pour des raisons qui lui étaient inconnues, certains Chevaliers noirs étaient plus résistants à la présence de l’Inconnu, leur permettant sans problèmes de faire face aux abyssaux dits « communs » voire même à de jeunes Archontes. Mais ils n'étaient pas entièrement immunisés et dans le cadre de l'apparition d'un Monolithe, la présence abyssale pouvait être particulièrement étouffante, souvent au sens figuré, si l'on prenait en compte la brume noire. Alors comment pouvaient-ils espérer demeurer longtemps dans un tel lieu tout en faisant face à un adversaire aussi redoutable qu'un Archonte, sans subir la moindre séquelle, physique ou psychologique ?

Garance avait aussi eu vent d'étranges histoires à propos de mystérieux combattants, semblable à des Chevaliers noirs, errant seuls sur les routes et dont le seul et unique objectif était de chasser les abyssaux, en particulier les Archontes et leurs Monolithes. Si Garance se souvenait bien, Alan les avaient nommés « Revenants ».

L'homme figurant sur ce bas-relief en était-il un ? Cela pourrait expliquer pourquoi il était représenté seul et pourquoi aucune archive de la Légion ne le mentionnait. Dans son corps de métier, les légendes et les mythes, aussi farfelus étaient-ils, avaient toujours un fond de vérité.

Mais Garance en savait trop peu sur le sujet pour s'y éterniser, aussi décida-t-elle de ne pas partager son hypothèse avec Morga. Elle la mis de côté et tâcha de présenter à sa collègue une réponse moins « farfelue ».

— Morga, souviens-toi. Qui dit Monolithe, dit forcément Archonte, et probablement une petite armée d'abyssaux. Pourquoi ne pas envoyer plusieurs Chevaliers noirs et des légionnaires ? La fresque n'en présente qu'un.

— Ou alors, il était de passage et sentant la menace, il est venu à leur secours.

— Morga, comme je te l'ai dit, la Légion n'a aucune trace de l'évènement, pas même dans ses archives secrètes. Et pour que les officiels de la cité en aient réalisé un bas-relief, c'est que ce personnage a eu un impact fort dans la cité, même temporaire. S'il avait fait partie de la Légion, on en aurait entendu parler, à un moment ou un autre. D'autant plus qu'il aurait forcément demandé des renforts. Depuis toujours c'est le protocole à suivre dans ces cas-là et bien que les nôtres se montrent parfois téméraires, nous ne sommes pas inconscients pour autant.

— Oui, c'est vrai. Pardon, tu as raison.

— Quand on y réfléchit un peu, il n'y a rien de cohérent. Un étrange personnage affilié à la Légion ou aux Mortis est présenté acclamé par les gens de la cité et peu de temps après, la moitié de cette même cité est engloutie par les Abysses. Et la Légion n'a aucune trace de cet individu et de ces agissements. Elle n'a envoyé personne à Agrisa. Pire encore, elle n'a appris ce qu'il s'est passé qu'une semaine plus tard, de la bouche d'un des Maîtres de la Connaissance de l'époque.

Oui, dans le cadre d'Agrisa, ces histoires de Revenants semblaient correspondre à merveille, aussi farfelues pouvaient-elles paraître.

— Un cultiste ?

La proposition de Morga surprit quelque peu Garance.

— Ce n'est pas impossible considérant ce qu'il s'est passé avec l’Inconnu. Mais affilié ou dans les rangs de la Légion ? J'en doute. Il aurait eu intérêt à être bon, étant donné qu'il se serait fait trucider dans l'heure.

Avec ces religieux, la Légion se montrait toujours impitoyable. Combien de ces fous étaient à l'origine des massacres et tragédies que l'on mettait sur le dos de son ordre et de sa famille depuis des temps immémoriaux ? Un nombre élevé qui ne diminuait jamais, pour leur plus grand malheur.

— Personnellement, j'ai deux hypothèses. Soit il a tenté d'empêcher le drame et a échoué, soit il en est responsable. Pour ce qui est du « responsable », les chercheurs sont du même avis et doutent qu'il puisse s'agir d'un cultiste. Même si certains habitants d'Agrisa ont eu des pratiques liées à l’Inconnu, ces gens se faisaient très discret... Et dans leur exploration du cinquième, les Grandes archives n'ont jamais découvert de créature ou de cadavre que l'on aurait pu lier d'une façon ou d'une autre au personnage de ce bas-relief. Personne ne sait ce qu'il est advenu de lui.

— Ils ne sont pas allés au-delà du cinquième ?

— Ils n'ont pas pu. Les accès étaient ouverts mais Alan m'a expliqué qu'à la frontière du sixième, l'aura des lieux se faisait bien trop noire et oppressante. Quelque chose de puissant bouchait le passage. Il aurait été bien trop dangereux pour eux de s'aventurer plus loin.

— Comment cela ? Normalement, ils auraient du pouvoir y aller. Le Monolithe avait pourtant disparu.

— C’est ce qui était cru, oui. Mais oncle Alan m'a dit que les Sages de l'époque s'étaient refusés à prendre des risques inconsidérés. Enfin, ce sont les raisons « officielles ». Quoi qu'il en soit, ils quittèrent les lieux puis prirent un certain temps pour sceller le cinquième sous-sol ne sachant pas comment cette « présence » évoluerait au fur et à mesure des mois qui suivrait. Je ne sais pas grand-chose d'autre sur le sujet. Alan n'a fait qu'esquisser les grandes lignes. Il ne voulait pas aller plus loin.

— Je vois...

Cette histoire était en effet des plus étranges.

— Il y a aussi un dernier détail qui m'a interpellé, s'exprima de nouveau Morga.

— Lequel ?

— Le corbeau perché sur son épaule. Tu vois de quoi je parle ?

— Oui. Le concernant, personne ne sait vraiment à quoi il peut correspondre. Un familier peut-être ? Je n'ai malheureusement rien d'autre à dire dessus. Le mystère est entier.

— J'admets que ces conclusions sont peu rassurantes. Agrisa est décidément un lieu bien étrange.

— C'est vrai, et comme beaucoup d'autres endroits en Athran. Mais en vérité, y a-t-il jamais eu une seule chose de rassurante avec l'histoire de cette cité.

— Considérant son passé, il n'y a absolument rien de rassurant. Si je me souviens bien, même du temps des ashéens, cette ville avait déjà mauvaise réputation.

— Toutes les cités ashéennes avaient mauvaise réputation, même après la chute de leur empire. En dépit de la grandeur de leurs connaissances en magie, ou encore en architecture, que les humains ont abondamment réutilisée depuis de nombreux siècles, c'est un peuple qui fut surtout connu pour être suprémaciste et qui pratiquait abondamment l'esclavage. Et ça, c'est sans parler de leur religion et des pratiques sanglantes qui l'accompagnaient. Qu'on le veuille ou non, tout ce qu'ils ont bâti, au sens propre comme figuré, l'a été dans le sang et les larmes. Ce sont des lieux empreint d'une forte négativité. Voilà un fait qu'il serait bon de ne jamais oublier, encore plus pour ceux qui aujourd'hui vivent dans, ou dans notre cas, au-dessus, de ces antiques cités.

Leur apparente beauté cachait un cœur pourrissant. Les ashéens avaient fait connaître un règne de terreur à une partie du monde. Durant la première moitié de la Troisième Ère, leur empire englobait le continent d'Alen, la côte nord d'Acles, ainsi que l'ouest des Terres Noires et de Cribius, la région dont ils étaient apparemment originaires. En Alen, les humains, nains et Toth-ri avaient particulièrement souffert, devant subir leur hégémonie pendant de nombreux siècles. Une période sombre, et si éloignée de la période actuelle, que la grande majorité de la population n'en avait même plus connaissance. Nombreux étaient ceux qui aujourd’hui voyaient les ashéens comme un antique peuple mystérieux, à l'architecture stupéfiante et aux pouvoirs incroyables.

— Garance. Sérion ! On y va.

William avait terminé avec Walther. Il était désormais temps de partir.

Dans le salon, Sérion referma son livre et le déposa sur la table basse. Garance s'écarta du mur et salua Morga de la main avant de rejoindre son frère accompagné de l'elfe. Un peu plus loin dans le couloir, le commandant se tenait dans l'embrasure de la porte de son bureau.

— Faites attention à vous. Et ne prenez pas de risques inutiles.

— Ne t'en fais pas, père. Nous serons prudents. C'est promis, lui répondit Garance en souriant.

Avec tout ce qu'il se passait, Victor n'arrivait pas à être autre chose qu'inquiet. La perspective de savoir Garance de retour si tôt dans les souterrains ne l'enchantait guère même si elle était accompagnée de son frère et de Sérion. Il n'était pas seulement leur commandant, il était aussi leur père. En silence, il les observa disparaître un à un dans les escaliers qui menaient aux sous-sols de l'hôtel.

*****

Une fois la dernière barrière passée, le trio déboucha dans une petite salle vide et poussiéreuse. L'entrée de cette pièce se trouvait éloignée des galeries principales du deuxième-sous-sol. Par son caractère isolé, la zone ne disposait d'aucun éclairage. Bien que cela ne fût pas un problème pour Garance et Sérion, pour William, ou encore Morga, cela était une toute autre histoire.

— Tu es toujours certain que tu ne veux pas que je te l'enseigne ?

— Sœurette, le sortilège que tu emploies appartient à la magie des ombres, et bien que je respecte ton choix, tu sais pertinemment que je ne donne pas là-dedans.

— Comme tu veux, frangin. Tu sais aussi pertinemment ce que je pense de tes petites flammèches, dit Garance en indiquant de la tête les deux petites boules de flammes qui dansaient autour de son frère. Elles sont très loin d'être discrètes.

— Peut-être, mais quand il s'agit de se défendre, tu es bien contente qu'elles soient là.

— J'ai mon propre système pour cela.

— Et cette vilaine manie de toujours vouloir avoir le dernier mot.

Garance soupira puis sourit. Elle leva les bras en signe de défaite. William ne put que lever les yeux au ciel mais il ne lui en tint pas rigueur, certains de ses comportements étant induits par son angoisse des évènements. Il rejoint Sérion à l'entrée de la pièce, accompagné de sa sœur qui fit mine de l'ignorer le temps de quelques secondes.

— Si j'ai bien compris, on va utiliser les vieux passages des Grandes archives ? lui demanda-t-elle.

— Oui, et ce, jusqu'à ce que nous atteignions le quatrième sous-sol. Père veut que nous évitions les Noirelames.

— Avec ce qu'il se passe en ce moment, cela se comprend. Tout le monde est à cran.

— Oui... Allons-y.

William ouvrit lentement la porte et jeta un coup d’œil dans le couloir. Constatant qu'il n'y avait personne, il sortit puis maintint la porte ouverte pour que ses camarades puissent à leur tour sortir de la pièce. Une fois sa sœur et Sérion dehors, il la referma tout aussi doucement.

— Bien, suivez-moi.

Le trio prit à gauche et s'enfonça un peu plus dans ce qui avait un jour était un ancien quartier résidentiel. Ils évoluèrent rapidement dans les couloirs délabrés, alternant entre marche rapide et course. Plus vite ils atteindraient le quatrième et mieux cela serait, pour tout le monde.

Les habitations étaient vides, entièrement dépouillées. Tous les meubles et objets qu'elles avaient un jour contenu ayant été dérobé par les pillards au fil des siècles. Il ne restait plus aujourd'hui que des carcasses de pierres, en mémoire de ce qui avait un jour été.

*****

Annotations

Vous aimez lire Cassandra Mortis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0