Chapitre 18 (3/4)

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Garance soupira. Il fallait toujours que cette histoire vieille de quatre siècles revienne sur la table. La Légion avait certes bien participé à la défaite de la dernière souveraine de l'empire d’Evragartha, Irélia Mortis, mais c'est sa sœur cadette Milidis, que l'on surnommait Nocturne, qui mit fin à sa folie. Une guerre idiote contre un des plus vieux états de l'Alen, l'empire de Soram.

À la suite de ces événements tragiques, leur réputation avait été au plus bas et la Légion eut bien du mal à regagner la confiance des pays voisins, en particulier dans le sud. Leur absence laissa le champ libre à d'autres guildes pour gagner en influence, comme l’Ordre d’Eril ou les Écarlates, qui avait fait leur apparition peu avant le début de ces tragiques événements.

— Mes amis, continua Edwald d'un air faussement attristé, les accusations sont graves. Mais je ferais un bien piètre monarque si je ne vous laissai pas la possibilité de vous défendre et de convaincre cette noble assemblée que votre ordre n'est en rien responsable des crimes dont on l'accuse. Toutes ces vilaines rumeurs qui courent à votre sujet... Comme cela doit être épuisant à la longue, termina-t-il, une main sur le cœur.

— Je ne dirais rien, lui répondit simplement Victor.

Il savait qu'un jour ou l'autre le roi finirait par être au courant de leurs petits arrangements avec les contrebandiers. Il ne nierait rien, cependant, rien ne l'empêchait d'affirmer les dires du roi. Il ne rentrerait pas dans son petit jeu.

— Pourquoi devrais-je perdre mon temps à me défendre...à nous défendre de vos accusations ? En particulier quand l'accusateur est déjà déterminé à annoncer et à appliquer la sentence, quoi que je dise, aujourd'hui même ? Ne pensez pas être le premier à agir de la sorte. Et vous serez très loin d’être le dernier, Votre Majesté. Mais sachez que vous commettez une grave erreur.

Sa réponse provoqua des murmures outrés un peu partout dans l'assistance. A la gauche du couple royal, Héloïse ne put retenir un petit sourire en coin. Volusien demeura de marbre comme à sa grande habitude tandis que Herlemond ne put s'empêcher de frapper l'accoudoir de colère, le poing serré. Les mains croisées et posées sur ses genoux, la reine fusillait du regard Victor, une fine grimace sur les lèvres. Pour ce qui était du roi, il s'arrêta tout simplement de sourire.

— Une grave erreur ? (Il se pencha en avant, les mains serrant avec force les accoudoirs de son trône.) En quoi punir des traîtres et des complices de meurtres tel que vous serait une « grave erreur » ?

Le silence continu de Victor ne fit que contrarier Edwald encore plus. Il haussa le ton, une nouvelle fois.

— Puisque vous semblez l'oublier, permettez-moi de vous rappeler une chose, Seigneur Mortis. Vous êtes ici en Essenie, pas dans l’Agertha. Cessez d'agir comme si vous aviez toute autorité ici. Tant que vous demeurez sur mes terres, vous me devez obéissance. Je suis votre roi ! Cessez donc de me prendre de haut. Vous vous pensez mon égal ?! finit-il en hurlant.

Victor eut grande peine à masquer son sourire. Son roi ? Il n'avait pas de roi. En tout cas, plus depuis longtemps. Il n'avait juré loyauté à aucun monarque que ce soit, pas plus que ses propres enfants. Depuis toujours, la Légion était la seule figure d'autorité envers laquelle ils répondaient, étant l'une des rares choses en ce monde qui ait à leurs yeux, un semblant de bon sens. Et quand bien même, comment auraient-ils pu jurer loyauté à un homme si proche des figures les plus extrêmes de l’Ordre d’Eril, tant par son éducation, que par les liens nourris par son épouse ?

Il ne pouvait pas non plus se permettre de laisser à ce nouveau monarque la possibilité de défaire le travail de sa femme. L’Ordre d’Eril passait trop de temps à détruire aveuglement sous prétexte de protéger la populace plutôt que de chercher à comprendre et agir en conséquence. Ce comportement l'irritait au plus haut point.

Du haut de son trône, Edwald se refusait à quitter des yeux les gens qui lui faisaient face. Il appréciait peu que l'on se moque de lui et n'aurait aucun scrupule à le leur faire comprendre. Il n'avait jamais eu la moindre once de sympathie à leur égard, entre leur chef qui se défiait de ses ordres et l'une de ses subordonnés qui semblait passer la moitié de son temps à humilier injustement ses soldats. Il en avait plus qu'assez.

La même colère que le roi grondait dans l'esprit de Thralond et d'Aerelm. Comme un grand nombre de leurs concitoyens, le capitaine de la garde et le chancelier avait vu d'un mauvais œil l'installation de la Légion dans leur belle capitale. Ils auraient préféré de tout cœur y voir l’Ordre d’Eril plutôt que ces gens qu'il considérait comme des criminels. Mais comme tous les autres membres de la cour, ils s'étaient tus face à l'insistance du précédant souverain, préférant les Chevaliers Noirs aux nobles Inquisiteurs.

Edwald se leva brusquement du trône puis dévala les quatre marches en pierre de la petite estrade. Il s'arrêta devant Victor. Son ton se fit plus acide.

— Et je devrais me contenter de cette réponse. Dois-je prendre votre présent silence pour un aveu ?

— Pensez ce que vous voulez. Je ne vous dois rien.

Sa voix était restée ferme. Il n'hésita pas à défier du regard le roi et ses conseillers. Il était Grand Commandant et ne souffrirait pas qu'un petit roi de pacotille, à peine monté sur le trône, se permette de lui apprendre son métier.

D'un mouvement de colère, Edwald essaya de le gifler. Victor attrapa son poignet sans la moindre difficulté avant d'immobiliser son bras. Il ne le quitta pas des yeux un seul instant. Dans l'instant qui suivi, Thralond mis la main sur la poignée de son épée et la sortie de son fourreau de quelques centimètres. Certains chevaliers esseniens avaient déjà dégainé leur arme.

Sans se soucier de leur réaction, Victor relâcha le poignet du roi qui recula lentement, une étrange expression mêlant de la colère à une sorte de joie.

— La Légion...dit-il doucement.

Il commença à remonter les marches de l'estrade en pierre.

— Où que vous alliez, il faut toujours que vous vous pensiez au-dessus des autres... Constamment. Bien... Puisque c'est ainsi...dit-il tout en regagnant son trône. Vous aviez raison sur un point, Seigneur Mortis. J'avais bel et bien décidé d'une sentence à votre égard. Une sentence dont le descriptif comprend les mots « exil » et « Saint-ordre ».

La cour félicita Edwald de sa décision.

Dans son fauteuil, Héloïse soupira longuement. Tout comme Victor, elle s'était doutée de la forme que prendrait cette discussion, si l'on pouvait seulement qualifier ce face-à-face de tel. A ses côtés, même s'il n'en montrait rien, Volusien accueillit cette « solution » avec un certain dédain. Lui aussi avait vu les tendances extrémistes, avec lesquels les souverains de ce royaume jouaient, s'amplifier. De plus en plus de membres de l’Ordre d’Eril, et de leurs alliés, s'isolaient de leurs cultes respectifs depuis maintenant deux ou trois siècles et cela n'allait pas en arrangeant. Tous deux avaient connaissance de l'antagonisme qui opposait la Légion à l’Ordre d’Eril, en particulier les Chevaliers noirs aux Inquisiteurs, leurs méthodes et philosophie différant totalement. Une nouvelle guerre ouverte n'était pas une possibilité acceptable.

Balayant la salle du regard, Garance croisa les bras. Entre les nobles qui surjouaient, Herlemond qui était à deux doigts d'applaudir et le ton hautain du roi, elle en vint à la conclusion que tout ceci n'était qu'une grande pièce de théâtre. Qu'attendait donc Edwald de cette scène ? Essayait-il de les humilier ou de montrer à tout le monde à quel point il était grand, fort et intelligent ? Toute cette comédie pour une décision qui aurait simplement pu leur être notifiée par messager officiel lui donnait la nausée. Elle avait hâte de sortir d'ici.

Pour ce qui était de ses camarades, aucun n'était particulièrement surpris. Ils s'étaient tous attendus à cette annonce. Une annonce qui contraignait malgré tout leurs plans. En vérité, l'inconnue principale demeurait dans l’exécution de cette annonce, qui ne tarda pas à se faire entendre.

— J'ai envoyé, il y a plusieurs jours, un message en direction de la forteresse du Guet de Verteceaux en Trinorie et n'ai reçu la réponse à mon humble demande, il n'y a seulement qu'une petite heure. Pour vous résumer en quelques mots, les représentants de l’Ordre d’Eril arriveront ce Mardi. Et comme je suis un homme qui sait se montrer conciliant, je vous accorde un délais supplémentaire de deux jours pour vous permettre de faire vos bagages. En somme... Vendredi prochain, au coucher du soleil, vous devrez avoir quitté l'enceinte de ma capitale pour la frontière la plus proche. Ce qu'il advient de vous une fois ce délai passé, ne sera plus mon problème.

— Un excellent choix, Votre Majesté, acquiesça le Diath Herlemond.

— Naturellement, Excellence. Vous avez toujours été de si bons conseils, lui répondit Edwald.

Victor serra ses poings à cette nouvelle annonce mais ne dit rien, contrairement au reste de son groupe qui n'hésita pas à faire savoir oralement leurs interrogations.

— La Trinorie ? Pourquoi aller chercher si loin ? N'y-a-t-il pas une forteresse plus proche ? se demanda Morga.

— Le Guet de Verteceaux... murmura William. Si mes souvenirs sont bons...la personne à la tête de la forteresse n'est nul autre que Sire Iveln de Meault, n'est-ce pas ?

— Le tristement célèbre « chasseur de sorcières » ? poursuivit Garance, surprise et inquiète.

Walther soupira longuement puis se tourna vers eux.

— Lui-même.

Avec un tel choix, Edwald se moquait délibérément d'eux. C'était de la provocation pure et simple. Il aurait aisément pu faire appel à la garnison du château Baremcourt situé près de la frontière entre l'Essenie et le Nélaen, mais non, il avait fait appel à Iveln de Meault, l'un des Inquisiteurs les plus tristement célèbres de ce côté-ci de l'Alen.

Cet homme était bien connu des membres haut-placés de la Légion et des Grandes archives depuis une dizaine d'années. Le grand public n'avait pas connaissance de son serment d'allégeance aux Écarlates et pour l’Ordre d’Eril, il faisait partie des Inquisiteurs un peu trop zélés à qui l'ont avait simplement conseillé de tempérer leurs humeurs. Mais comment Erinan Sofra, le chef de leur guilde, pouvait accepter de tels fauteurs de troubles au sein de ses rangs ?

Les conseillers d'Edwald ne purent que sourire, satisfait de la décision de leur souverain. Ils n'avaient jamais porté la Légion et les Mortis dans leur cœur. Depuis toujours, ils les trouvaient égoïstes, ne se souciant que d'eux et de leurs affaires, oubliant le reste du monde. Sans parler de toutes les histoires sordides qui les entouraient. Pour les plus religieux d’entre eux, le simple fait que l’une d'elle mentionne le fait qu'ils auraient jadis aidé une divinité déchue en Athran les outraient au plus haut point. Leur existence même était un blasphème.

— Vous êtes si déterminé à nous voir quitter les lieux que vous agissez comme un parfait inconscient, rétorqua alors Victor.

Le Grand Commandant savait que son titre le rendrait intouchable face aux Inquisiteurs, ce qui ne serait peut-être malheureusement pas le cas pour les autres. Il était hors de question qu'ils menacent d'une quelconque façon ses enfants et ses subordonnés.

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