Chapitre 19 (2/5)

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Garance se redressa.

— Qu'est-ce que... ? balbutia-t-elle.

— Ce carnet était à votre mère. Il date de sa toute dernière expédition, dans les ruines d'Agrisa, juste avant sa mort. Vous avez des questions, je le sais. (Il s'assit sur la chaise la plus proche de lui.) Et toi, ma fille, des suspicions.

— Mais...

— Ne me prends pas pour un imbécile, Garance. Au fond de toi, tu sais que je le sais. (Il soupira.) Mais attendons qu'Ishaa soit là. Je... Je vous dirais tout. C'est promis.

Recroisant les bras, Garance soupira.

— Comme tu voudras, papa.

— Merci, Garance. En attendant, il y avait une chose dont je voulais que nous parlions.

Il sorti une petite bande de papier qu'il présenta aux autres.

— Pour que vous soyez au courant, sachez qu'un Ourargent m'a apporté ce message, peu avant le lever du soleil.

— Et que dit-il ? demanda William.

Victor le lut à voix haute.

Le commandant de la forteresse Arnstein de Kissinger, disparu depuis près de 3 semaines, a été retrouvé mort aux abords d'une forêt au nord du Précipice. Les investigations sont en cours.

Personne ne dit rien sur le moment mais la surprise se lisait aisément sur leur visage.

— Quoi ? Mais qui oserait s'en prendre ainsi à un commandant de la Légion ? s'exclama alors Morga.

— C'était ton prédécesseur ici, n'est-ce pas ? demanda ensuite William, plus calmement.

— Oui, il était au courant de l'existence de nombreux passages souterrains inconnus des autorités de la capitale, dont celle de la crypte des Beaumont. C'est aussi lui qui, il y a treize ans, a fourni à votre mère l'emplacement de ces mêmes passages, aux côtés de nombreuses cartes détaillées des troisième, quatrième et cinquième sous-sols, du temps de ses recherches.

— Magnifique... Et ces enflures d’Eril qui vont venir foutre leur nez dans ce qui ne les regarde pas.

— Mais pourquoi les méprises-tu autant ? lui demanda finalement Morga.

Depuis le temps qu'elle la connaissait, Garance ne s'était jamais caché de son désamour profond les concernant. Elle essaya d'en savoir plus. Elle n'avait jamais osé auparavant, de crainte de s'attirer ses foudres.

Garance soupira longuement puis se tourna vers elle.

— Un Inquisiteur ivre m'a confondue avec un mannequin d'entraînement quand j'avais 11 ans. J'en suis sortie avec quelques ecchymoses. Peu de temps après que Père et William l'aient foutu hors de la ville à coups de pieds, nous avons reçu une charmante lettre de ses supérieurs nous sommant de les dédommager pour le préjudice subi par leur homme. Suite à cela, ma « sympathie » à leur égard n'est pas allé en s'arrangeant.

Garance ne manqua pas l'expression de son frère après qu'elle mentionna cette vieille histoire.

— Oh, arrête de faire cette tête de chien battu, William. Tu sais très bien que je ne t'en ai jamais voulu.

William ne lui répondit pas. Il savait qu'elle avait parfois du mal à se libérer de ces souvenirs et avait tendance à ressasser certaines choses sans le vouloir. Il préféra continuer sur le sujet de départ. Celui que sa sœur avait amené n'était pas à propos.

— Le commandant d'Arnstein ? A Kissinger ?

Un silence pesant s'installa, mais de courte durée car une voix nouvelle vint l'interrompre.

— Il s'avère que le Bibliothécaire de Kissinger, un de mes Sages, a malheureusement subi le même sort.

Ishaa Astanatos, l'une des dix Neavathary, un Maître de la Connaissance tel que le nom se traduisait de l'ashéen en alenois, venait de faire son entrée.

Cette elfe noire, aussi grande que Sérion et Nakita, arborait de longs cheveux gris, presque blancs aux pointes, coiffés en une haute queue de cheval. Certaines mèches étaient finement tressées tandis que d'autres retombaient sur les côtés de son visage aux traits fins. Sa peau, d'un gris plus sombre que celle de Sérion, contrastait fortement avec son regard vif, d'un bleu glace prononcé.

Elle portait une chemise noire à manches longues en tissu épais. La partie supérieure des manches était bouffante et décorée de larges rayures bleu sombre. Par-dessus, un simple pourpoint en cuir noir et aux coutures lacées descendait jusqu'au bas des genoux en plusieurs pans séparés, ceux de derrière étant plus longs que ceux de devant. Ses gants en cuir marron, bouclés à trois endroits, remontaient jusqu'aux coudes.

Une large ceinture d'apparat en tissu bleu mettait en valeur sa taille fine. Deux morceaux rectangulaires et droits retombaient devant. Les broderies en argent des bouts richement décorés représentaient un dragon en vol dans un ciel couvert de constellations. Le bas de sa tenue était plus simple, composé d'un pantalon de cuir noir et de cuissardes marrons de la même matière, elles aussi bouclées, à quatre endroits différents.

Elle était armée d'une canne-épée en bois sombre similaire en apparence au bâton de Galbali. Le bois, tout comme la poignée et la pointe en argent, étaient recouverts de nombreuses runes et autres glyphes. Le haut de la poignée avait la forme d'une tête de dragon aux yeux de saphir. Deux petits talismans en bois pendaient des deux extrémités d'une cordelette en cuir accrochée à la poignée.

Si elle avait été une humaine, Garance lui aurait donné dans les quarante ans.

Par politesse, certains commencèrent à se lever.

— Non, non. Restez assis. L'heure n'est pas aux mondanités. (Elle se tourna vers la Sage à l'entrée.) Nakita, rejoins les autres je te prie. Tenez-moi au courant aussi souvent que possible.

La Kahuna la salua d'une manière très typique de son peuple.

— Naakan Kelesh.

Elle s'éloigna ensuite de la pièce pour rejoindre la plus proche entrée des souterrains, dans le second sous-sol du bâtiment.

Victor ne se laissa pas décontenancer par son arrivée et chercha à en savoir plus sur cette nouvelle information.

— Le Bibliothécaire de Kissinger ?

— Oui, un très vieux monsieur, jadis proche des Nimra. Kaerolyn le consultait souvent par le passé. Un brillant érudit qu'il était. Sa mort est arrivée un peu plus tôt que ce que j'imaginais, plus brutalement surtout.

Elle s'adossa contre le mur près de l'entrée, les bras croisés. Elle semblait complètement détendue, comme si la situation actuelle de la Légion ne l'alarmait pas du tout.

A nouveau, une voix plus grave interrompit le silence.

— Pardonnez mon retard.

Cette fois-ci Victor se leva.

— Galbali ? Où est Alan ?

— A la Bibliothèque royale, mon Seigneur, expliqua-t-il tout en pénétrant dans la pièce.

Avant qu'il n'aille plus loin dans ses explications, Ishaa verrouilla brusquement la porte de la salle d'un sort puis repris tranquillement sa position initiale.

— Je t'en prie, continue, dit-elle en regardant l'apprenti de son Bibliothécaire.

Galbali se tourna vers l'ensemble du groupe.

— Considérant vos liens, le roi l'a fait mettre sous surveillance, que nous avons disons...discrètement déjouée sans le moindre problème. Je parlerai donc en son nom, avec votre permission, Maître Astanatos, finit-il en s'inclinant respectueusement.

— Fais donc, jeune homme.

— Merci, Maître. Bien... Si je suis venu jusqu'à vous, c'est parce que Maître Alan a des informations concernant l'individu qui vous a dénoncé à la cour tôt ce matin. N'étant pas présent à ce moment-là et considérant la façon dont les choses ont évolué, il a dû user de moyens détournés pour obtenir l'identité de la personne en question. Quoi qu'il en soit, il s'agirait d'un humain qui s'est présenté comme étant un certain Calderon Ahren Nimra de Kissinger.

— Quoi ? Calderon est ici ?

Victor n'en croyait pas ses oreilles.

— Si cela est vrai, nous savons maintenant qui est ce second mage dans les souterrains, dit à son tour Walther.

Le commandant se rassit, abasourdis par la nouvelle. Il se frotta la tempe de sa main droite, sa nervosité se montrant de nouveau.

— Attendez un peu. J'ai du mal à suivre là. Nimra, n'est-ce pas le nom de jeune fille de maman ?

— Oui. (Victor soupira et se redressa.) Votre mère avait deux frères. Le plus âgé se nomme Arvan et est l'actuel chef de la famille. Tandis que le second...

— C'est Calderon, c'est ça ?

— En effet, William.

— Mais qu'est-ce que notre oncle vient faire dans cette histoire ? Nous ne le connaissons même pas. C'est à peine si maman parlait de sa famille.

— Il est vrai qu'elle n'était plus en très bons termes avec eux. Elle les aimait toujours mais leurs nombreux désaccords faisaient qu'elle avait pris ses distances, beaucoup de distance, se souvint William.

— Nous n'en savons rien, Garance.

— Fait étrange, il aurait réussi à obtenir des documents divers attestant de nombreuses transactions entre vous et les Noirelames depuis deux ou trois décennies, si ce n'est plus, finit par conclure l'apprenti.

— Mais comment a-t-il... Ces contrebandiers alors... Bande d'incapables !

Il frappa la table du poing.

— Provoquer le chaos dans les rangs de leurs adversaires... Les partisans des Archontes usent toujours des mêmes méthodes. Les Immaculés aussi d'ailleurs.

— Les partisans des Archontes ? demanda Galbali. Il y aurait donc bel et bien des cultistes... De quel Archonte parlons-nous exactement, Maître Astanatos ?

— De Zinnar...

— Le Haut-Juge de certaines légendes ? s'interrogea Sérion.

— Oui, en effet.

— Les légendes ? Que disent-elles de lui ? demanda Morga.

Sérion se tourna vers elle.

— Du peu que je sais, il est à la fois juge et bourreau et applique sa vision aveugle de la justice à tout le monde, qu'ils soient mortels ou immortels. Ceux qui l’invoque doivent être prudent car Zinnar peut aussi choisir de les déclarer coupable et les punir, durement très souvent.

— La plus connue se nomme « Les Yeux de la Justice », si je me souviens bien, poursuivit Garance.

— Jeune femme, connais-tu l’ouvrage dont ce texte d’origine est issu ? Il serait peut-être sage que toi et tes camarades soyez tous sur un même pied d'égalité.

Morga se sentit quelque peu mal à l'aise face au commentaire d'Ishaa, comprenant qu'il lui était destiné.

— Du Cantique des Abysses, expliqua calmement Garance, aussi connu sous le nom de Chants de l’Inconnu. Le livre que l'ensemble des autorités religieuses ou royales de tout l'Alen, à l'exception d'une poignée, considère comme le plus hérétique et blasphématoire de tous.

Le regard de Morga se figea. Elle qui était la plus spirituelle parmi ses camarades, un tel ouvrage ne pouvait être que de très mauvaise augure.

— Honnêtement, je n’arrive pas à comprendre pourquoi. De ce qu'Oncle Alan m'a expliqué par le passé, c'est un étrange recueil de chants, d’extraits de journaux, de courts récits, de notes éparses, de schémas et d'illustrations. Tous apparemment à la « gloire de l’Inconnu ». Aussi, le titre ne correspond pas tellement à l’ensemble du contenu même si les chants sont légèrement majoritaires.

— Un tel livre existe ? s'inquiéta Morga.

— Oui, mais seul un petit nombre de copies sont accessibles. Elles sont plus ou moins éparpillées un peu partout dans l'Alen, peut-être même au-delà de ses frontières, qui sait. Nous en avons quelques-unes actuellement sous notre garde. Cependant, personne ne sait où se trouve l'original. Il a été perdu il y a des siècles, lui expliqua Ishaa.

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