Chapitre 19 (3/5)

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Galbali était préoccupé.

— Zinnar donc... Étrange qu'il ait à nouveau autant de partisans, après la défaite qu'il a subie il y a un demi-siècle.

— Il aura toujours des partisans, jeune homme. Tous ceux un peu trop épris de justice. Il a toujours eu un don pour happer dans ses filets cette masse grouillante d'imbéciles. La réalité n'est pas toujours tendre, et certains, peinent à le comprendre.

Son ton se fit plus vif et tranchant sur les derniers mots.

— Et sachez aussi que Calderon et l'Immaculé travaillent bien ensemble.

— Comment l'avez-vous appris ?

Si Garance ne connaissait pas aussi bien son père, elle aurait cru qu'il allait littéralement s'étrangler de surprise. Elle ne l'avait jamais vu comme ça.

— Nakita a surpris un de ses hommes de main en train de vous espionner tandis que vous redescendiez l'avenue en direction de Portelune. Il ne fut pas très bavard mais nous sommes parvenus à obtenir deux ou trois informations.

— Seulement deux ou trois ? N'êtes-vous pas un membre dirigeant des Grandes Archives ? Sans vouloir vous offensez, ma Dame.

— Morga, c'est ça ? Sache que certains Archontes apprécient leurs serviteurs…obéissants, très obéissants. Ils n’hésitent donc pas à les laisser avec une mémoire plus que sélective la plupart du temps. Ce qui a toujours le don de me contrarier. C'est une des raisons pour lesquelles il a toujours été très compliqué d'obtenir quoi que ce soit d'entièrement fiable venant de certains de ces rats. Et également une des raisons pour lesquelles ils posent un aussi gros problème en fonction des situations.

— Comment se fait-il que nous n’ayons jamais entendu parler de ces Immaculés ? Et vous semblez bien renseignée sur eux.

Victor était méfiant. L'aide d'Ishaa était certes la bienvenue mais il n'avait pas oublié qu'il s'agissait d'une Neavathary. Ils avaient toujours leur propre agenda même s'il n'était pas impossible qu'ils aient leurs élans d'altruisme spontanés, pour reprendre l'expression de sa fille.

A sa remarque, Ishaa se contenta de sourire. Elle attendait ce qu'il allait dire.

— Sauriez-vous quoi que ce soit de plus les concernant, Ishaa ?

— Hormis le fait qu'ils existent depuis des siècles voire des millénaires et associent toujours les cultistes à leurs méfaits ? Hmmm... Ah, si... Ils font toujours appel à des intermédiaires et n'interviennent presque jamais en personne. Des intermédiaires, pour qui l'objectif véritable de leurs employeurs demeure un mystère ou en tout cas très éloigné de la réalité et qui n'ont la plupart du temps aucune idée de qui véritablement les engagent. Des gens, à l'image de cette chère Kaerolyn par exemple.

Son ton ne masqua nullement son ironie.

— Je vous demande pardon ?

— Elle a stupidement agi il y a treize ans. (Elle soupira.) Si seulement elle était venue me voir... Mais pour sa défense, je ne m'en suis rendue compte que trop tard. Quand je l'ai retrouvée, elle était déjà...mourante.

— Pourquoi donc parlez-vous de notre mère ainsi ? N'avez-vous donc aucun respect ? s'offusqua alors William.

Il n'appréciait guère son petit sourire narquois, pas plus que son ton hautain à certains instants. Sa remarque désobligeante sur ceux en quête de justice ne lui avait pas échappé non plus. Quel mal y avait-il à cela ? Devaient-ils vraiment laisser les gens sombrer dans le désespoir plutôt que de leur venir en aide, sous prétexte que la réalité est traîtresse ?

Le sourire sur le visage d'Ishaa s'effaça quelque peu.

— Jeune homme, ne te méprends pas sur ma personne. Faire preuve de respect, c'est aussi être capable de faire preuve d'honnêteté. Votre mère a commis une erreur et ça lui a coûté la vie, disons-le franchement.

— Coûtée la vie ? Mais... Mère est morte de maladie. Et quel rapport avec cet Immaculé ?

— N'as-tu rien écouté de ce que je viens d'expliquer ?

Elle soupira longuement.

— Victor... Victor... Tu entraînes tes enfants malgré eux aux cœurs des problèmes que ton épouse a laissé dans son sillage sans rien leur dire ?

— Je lui ai fait une promesse...

— Une promesse ? Hmpf. Il y a un temps pour les mensonges et il y a un temps pour la vérité. Tu devrais pourtant savoir cela depuis longtemps.

— ...

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Père...

Il ne répondit toujours pas, le regard perdu dans le vague. En ayant finalement assez, Garance trancha le silence d'un ton légèrement plus acide que ce qu'elle n'avait voulu.

— C'est ce dont tu voulais nous parler tout à l'heure, c'est ça ? Elle n'est pas morte de maladie, alors... Tout ce que tu nous as raconté pendant des années, ce n'était que des mensonges, pas vrai ?

— Mais qu'est-ce que tu...

William n'eut pas le temps de finir sa phrase, Ishaa interrompant de nouveau leur discussion.

— Sur ce... Je vais vous laisser. Vous avez des choses à vous dire, il semblerait. Je repasserai un peu plus tard, une fois que j'aurais fini de donner mes directives à mes gens. Et tant que j'y pense, tâchez de vous faire discrets jusqu'à votre départ. Encore plus quand ce cher Iveln fera sa grande entrée dans la cité. Il ne sera aussi guère heureux de me savoir ici.

Elle se redressa puis déverrouilla la porte qui s'ouvrit seule.

— Bien... A tout à l'heure.

La Neavathary referma brusquement la porte du pied. Garance n'attendit pas une seconde de plus avant d'insister de nouveau auprès de son père.

— Papa ? Si tu as quelque chose à dire, dis-le... Tu nous la promis.

Elle voyait bien qu'il hésitait désormais à partager ce qui le troublait. Il fuyait leur regard comme s'il craignait une quelconque réaction négative de leur part. Les mots d'Ishaa semblaient avoir heurté une partie de son être.

De l'autre côté de la table, Walther avait bien conscience du dilemme qui hantait l'esprit de son ami. Ces jours funestes le hantaient depuis presque treize ans. Mais ils avaient tous assez attendu. Il fallait qu'il parle aujourd'hui même, s'ils voulaient tous espérer pouvoir arriver sereinement au fin mot de cette histoire. Il se leva, se rapprocha de son ami et mis sa main sur son épaule.

— Victor, peut-être serait-il temps d'arrêter de garder cela pour nous ? Je sais que tu lui as fait une promesse mais il faut les mettre au courant maintenant.

Accoudé à la table, le commandant enfouit son visage dans ses mains comme s'il souhaitait se soustraire à la vue de tous. Au bout de quelques secondes, il soupira longuement et se redressa.

— Tu as raison...

C'était maintenant ou jamais.

Garance croisa les bras et serra ses poings. Elle était anxieuse n'ayant encore jamais vu son père avec une telle expression. William, tout aussi inquiet, se rapprocha finalement de sa sœur. Il prit sa main dans la sienne et attendit avec elle.

Victor prit une profonde inspiration puis s'exprima, la voix tremblotante, emplie d'une émotion dont Garance et William n'avaient jamais été témoins.

— William, Garance... Il y a...quelques petites choses que je vous ai cachés...concernant l'année qui...qui précéda le décès de votre mère. Avant que je n'aille plus loin, sachez juste que si je ne vous ai rien dit jusqu'à aujourd'hui, si je vous ai menti comme je l'ai fait, cela n'a jamais été fait avec l'intention de vous nuire. Je n'en suis pas fier mais c'était...nécessaire. Ma...position faisait que...je n'avais pas vraiment le choix et surtout... Elle me l'a demandé. Elle m'a fait promettre de ne rien vous dire, jamais...

Il ravala un sanglot.

— Papa ?

Une ambiance pesante s'était installée. A chacun de ses mots, la tension qu'éprouvait William et Garance ne cessait de s'amplifier.

Après une courte pause, Victor prit une nouvelle inspiration mobilisant ses forces pour s'empêcher de s'effondrer.

— Vous savez maintenant...pourquoi votre mère est partie pour la Nouvelle-Essenie il y a treize ans ?

— Oui... Des collègues l'avaient contactée. Ils avaient des ruines à explorer et avaient besoin de son expertise pour certaines...choses. Elle est restée très vague. Nous savions cependant qu'elle partait pour le sud à l'époque. Aujourd'hui...nous savons désormais qu'il s'agissait des ruines d'Agrisa, expliqua calmement William.

Il ne savait pas où il trouvait l'énergie pour cela. La tension était si forte. Il poursuivit :

— Mais maintenant, avec du recul... Je ne comprends pas. Les ruines avaient été scellées. Quels intérêts avaient-ils à...

Son père répondit à sa question avant même qu'il ne puisse finir de la formuler.

— Il est vrai qu'il n'y a eu que très peu d'expéditions au-delà du quatrième sous-sol et...quand bien même les Grandes archives furent à la tête de ces dernières, elles n'allèrent pas bien loin. Ils n'eurent aucun mal à explorer le cinquième sous-sol malgré la dangerosité des lieux, mais à partir...à partir du sixième, l'aura des lieux se faisait plus oppressante et noire. Ils n'ont jamais pu aller plus loin mais pour des raisons que j'ignore, votre...votre mère et son groupe y sont parvenus.

— Pardon ?!

— Ils ont réussi à...à atteindre le septième et dernier sous-sol, là où se trouvait le palais royal. C'est à partir de là que les choses ont apparemment...dérapé.

— ...

— Un incident, dont je ne connais ni la nature, ni l'origine, est advenu, un grave accident. A l'exception de votre mère...tous les autres chercheurs sont morts.

— Elle a réussi à en réchapper ?

— Pas exactement...

— Comment ça, « pas exactement » ?

— Ishaa a dit qu'elle était mourante lorsqu'elle l'a retrouvée.

— Elle a dit cela parce qu'elle est la raison pour laquelle votre mère est sortie... « vivante » d'Agrisa. Elle n'a rien pu faire pour les autres érudits. Il était trop tard... Qui plus est, elle a consigné une partie de ce qu’il s’est passé dans ce journal, expliqua-t-il tout en posant sa main sur le carnet en question. Mais c'est à peine si j'ai pu la traduire. Le code ou la langue dont elle semble avoir fait usage, si on peut le définir en tant que tel, est inconnue et complexe. J'ai toujours hésité à le montrer à d'autres personnes. Jusqu'à aujourd'hui, seuls Alan, Walther et Ishaa ont pu le consulter et, fait surprenant, même Ishaa, malgré ses connaissances, n'est pas parvenue à déchiffrer la fin du journal. Il faut dire aussi que je ne lui en ai jamais laissé le temps. A l'époque, j'ai catégoriquement refusé de me séparer de lui. Peut-être ai-je fait une erreur ce jour-là... finit-il en baissant son regard, l'air abattu.

Garance et William ne disaient toujours rien, le laissant s'exprimer. De toute manière, en cet instant, ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'attendre et écouter.

— Il y a...une chose dont je suis sûr... A la façon dont elle en a parlé à son retour... Quoi qu'il se soit passé en bas, cela n'était pas supposé arriver.

Un long silence s'en suivit avant que William ne cherche à nouveau à faire des liens entre tous ces éléments.

— Elle est rentrée à la maison le 27 Novembre et est morte de sa « maladie » le 11 Décembre. Qu'est-ce que tu ne nous dis pas ? Il y a un lien, pas vrai ?

— William, je...

Il prit une nouvelle inspiration.

— Le Sang noir... Le Sang noir maculait son corps...

William serra alors plus fortement la main de sa sœur. Garance encaissa plus facilement cette information, qu'elle avait déjà plus ou moins obtenue par un biais dont personne n'avait connaissance. Mais cette nouvelle vérité impliquait quelque chose de terrible.

— Attends un peu... Si c'est vrai, alors ça veut dire que...maman risquait de...de devenir un Abyssal... Et pourtant, il ne s'est rien passé...pas vrai ?

Il y était presque. Encore une information à délivrer et peut-être serait-il enfin soulagé de ce poids qui le hante depuis tant d'années.

— Tu n'as quand même pas...

Il savait ce que William cherchait à dire. Cette fois-ci, il ne put retenir ses sanglots et les larmes coulèrent sur ses joues.

— Si... C'est elle qui...c'est elle qui me l'a demandé... Le 11 Décembre dans l'après-midi, je lui ai donné un puissant poison qui...qui l'a tué en quelques minutes... Je... Je suis...tellement...désolé... Je...

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