Chapitre 19 (4/5)

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Il enfouit de nouveau son visage entre ses mains et fut traversé par de nombreux hoquets de pleurs. Walther était toujours à ses côtés, une main serrée sur son épaule. Il demeurait silencieux, incapable de trouver les mots pour réconforter son ami d'enfance. La mâchoire serrée, il faisait tout son possible pour ne pas succomber à l'émotion.

Au bout de longues minutes, Victor parvint à regagner un certain contrôle de ses émotions et sa respiration se fit moins saccadée. Se redressant, il parvint à conclure.

— Si vous n'avez pas pu la voir les jours entre son retour et son trépas c'est...parce qu'elle ne voulait pas que...que vous la voyiez telle qu'elle était à ce moment-là, aussi affaiblie, aussi...dégradée. Elle voulait que...que vous gardiez une image plus heureuse d'elle. Et pourtant...j'ai longuement insisté pour qu'elle vous laisse la voir mais elle...elle n'a jamais cédé... Elle a toujours eu son caractère...jusqu'à la fin... dit-il un léger sourire sur lèvres.

Une dernière larme coula sur son visage. Il l'essuya avec le dos de sa main.

Voilà qui répondait aux nombreuses questions de ses enfants dont celle portant sur leur brusque déménagement il y a treize ans. Victor n'avait pas supporté d'être ainsi dans l'ombre concernant le triste voyage de sa femme. Il n'y avait rien de pire que le doute, le fait de ne pas savoir, le fait de ne jamais parvenir à savoir.

William avait les yeux rouge de larmes. Il tenait toujours aussi fermement la main de sa sœur qui elle avait commencé à pleurer. Elle arrivait encore à se maintenir, à ne pas s'effondrer en sanglots, même si sa respiration un peu plus irrégulière semblait suggérer le contraire. Mais une autre émotion montait en silence.

Pendant un long moment personne ne dit rien, jusqu'à ce que Sérion ne s'essaye à une théorie.

— Est-ce lui alors ? Le fameux Zinnar ? Seigneur Mortis, si le Sang noir est…responsable de sa mort… L'Archonte que nous avons vu ne pourrait-il pas en être à l'origine ?

— Pourquoi nous aurait-il sauvé dans ce cas ? lui demanda alors sèchement Garance.

— Je... Je n'en sais rien...

Elle lui jeta un regard noir. Il baissa alors la tête, quelque peu honteux d'avoir abordé ce sujet à cet instant. Peut-être aurait-il été plus sage qu'il patiente et en parle plus tard dans la journée ? En vérité, il avait du mal à imaginer ce que pouvait ressentir Garance et William en ce moment, lui qui avait grandi sans parents.

— Pardon, Garance.

— Hmpf...

Elle détourna son regard et l'ignora.

— Enfin... Cela...explique certaines choses mais pas tout. Il nous manque une information cruciale... Le lien qui unit l'Immaculé, cet Archonte et Mère, dit alors William cherchant à trouver un semblant de stabilité.

— J-j'espérais trouver des réponses en venant ici mais...ce fut peine perdue. Maintenant, avec du recul et au pied du mur, j'ai l'impression d'avoir gaspillé ces treize dernières années...

Bien que ses pleurs se soient apaisés, leur père parlait d'une voix toujours emplie d'une forte émotion, et vraisemblablement, d'un profond regret.

— Pourrais-je en parler à Louise ?

— Bien sûr, mon garçon. Bien sûr que tu peux...

William se contenta d'opiner du chef puis baissa à nouveau son regard vers le sol.

— Et notre oncle, Calderon ? S'il est ici, c'est forcément à cause de maman... Est-ce qu'il sait pour...

— Non, Garance. Ils n'ont jamais su. Je leur ai menti, à eux aussi. Ils ne savaient même pas que Kaerolyn était partie en expédition dans les ruines d'Agrisa. Je ne sais comment il est parvenu à obtenir ces informations.

Avant que qui que ce soit ne puisse poursuivre, la porte s'ouvrit brusquement. Ishaa apparut juste derrière.

— Il y a des chances pour que l'Immaculé soit derrière cela.

Elle avait entendu les dernières lignes de leur conversation. Balayant la salle du regard, elle reprit lentement sa position contre le mur. La porte se referma derrière elle sans qu'elle ne fasse aucun geste.

— Bien... Etant donné vos têtes, j'imagine que vous savez la vérité désormais.

Ishaa ne manqua pas le regard noir que Garance lui lança.

— Et vos Sages ? demanda Victor qui s'essuyait les yeux à l'aide d'un petit mouchoir en soie blanche.

Il se moquait bien qu'elle le voie dans cet état.

— Dispersés dans la cité. Ils me tiendront informés. Je les rejoindrais plus tard.

Ishaa replongea dans le silence. Elle observa de nouveau Garance qui fixait depuis quelques secondes le carnet de sa mère. L’humaine se leva alors brusquement, lâchant la main de son frère, et s’approcha de la table. Elle prit le journal sans un mot ou regard pour son père.

— Garance, je...

Elle l’ignora et se dirigea vers la sortie. Lorsqu’elle tendit sa main vers la poignée de la porte, celle-ci se déverrouilla, sans qu’elle n’y fût pour rien. Ishaa venait de le faire pour elle. Garance ne dit rien, se mordant la lèvre. Agacée par son geste, elle ouvrit la porte d’un brusque coup du pied qui claqua contre le mur, puis s'avança vers l'escalier d'un pas plus vif.

A ce moment-là, sa seule envie était de s'enfermer à double-tour dans sa chambre, de s'isoler du reste du monde et d'oublier qu'il existait. Elle voulait hurler, si fort que sa voix en deviendrait rauque.

Garance monta les marches au plus vite de ce qu'elle pouvait, sans se rendre compte que son frère la suivait de près. Et quand bien même elle l'aurait su, cela n'aurait eu aucune importance.

A son arrivée dans le hall, Louise fut la première personne qu'elle croisa. Sa belle-sœur remarqua rapidement son visage maculé de larmes.

— Garance ? Est-ce que tout va bien ?

Elle l'ignora et entama immédiatement son ascension pour le deuxième étage où se trouvait sa chambre. La voix de Louise se répercuta dans l'escalier en un léger écho. Celle de son frère ne fut pas longue à suivre.

— Garance ?

— Laisse-la, Louise. S'il te plaît.

— Mais...

— Viens... Je vais t'expliquer.

Leur voix s'atténuèrent au fur et à mesure que Garance s'éloignait de l'escalier. Le silence s'installa de nouveau. Elle pressa encore le pas, ne voulant pas qu'un des domestiques la voit dans cet état. Par chance, le couloir demeura vide.

Une fois dans sa chambre, son « nid douillet » comme disait jadis sa mère, Garance verrouilla la porte à double-tour et déposa la clé sur la commode à sa gauche. Dans la pièce, les domestiques n'avaient pas encore eu le temps de remettre son lit en ordre ou de tirer l'ensemble des rideaux.

Elle s'approcha de la fenêtre que son frère avait découverte, près de deux heures auparavant, pour la sortir de sa torpeur. Le carnet de sa mère toujours serré contre elle, elle tira d’un coup l'épais rideau marron et couvrit de nouveau le vitrail, plongeant la pièce dans la pénombre.

Quelques rayons de lumières perçaient encore au bord des rideaux et éclairaient les meubles et décorations alentours. Garance s'adossa lourdement contre un mur entre deux fenêtres. Le feu de la cheminée se mourait. L’humaine se trouvait aisément en capacité de le rallumer mais fit le choix de le laisser s'éteindre. Pour le moment, son esprit était ailleurs, bien loin de ce genre de considérations.

Elle se laissa glisser jusqu'au sol. Là, les larmes commencèrent à envahir ses yeux. Une première finit par couler le long de sa joue puis une deuxième. Au fond d'elle, la pression montait doucement et Garance savait qu'elle ne pourrait plus la contenir très longtemps. Elle fixa un point dans le vide, quelque part sur la surface du mur qui lui faisait face.

— C'est pas juste... C'est pas juste... C'est pas juste du tout... répéta-t-elle d'une petite voix.

Chaque mot amena plus de larmes et vint un moment où elle ne put retenir le flot. Elle se mit à sangloter bruyamment. En quelques secondes, sa respiration se fit plus forte et hachée. Elle avait des difficultés à la réguler, à inspirer et à expirer normalement. Elle tenta de la contrôler mais ce fut peine perdue ; il fallait que la pression sorte. Ses pleurs redoublèrent alors d'intensité. Elle serra encore plus le journal de sa mère contre elle et enfouie sa tête dans ses genoux.

Cette nouvelle vérité faisait mal, horriblement mal. Et une part d’elle-même ne pouvait s’empêcher de ressentir de la colère à l’égard de son père.

Pendant de longues minutes, Garance demeura ainsi. Puis ses pleurs finirent par perdre en intensité, jusqu'à ce qu'une fois le plus gros de la pression retombée, elle parvint enfin à regagner un semblant de contrôle sur ses émotions. Elle se sentait si épuisée et las. Avec sa manche, elle s'essuya longuement ses joues et ses yeux rosies par les larmes.

Elle desserra sa prise sur les carnets et éloigna ses jambes de son torse pour se laisser un peu de place. Elle posa le carnet sur ses genoux. Quelques feuilles volantes dépassaient des pages à plusieurs endroits. Garance en choisit une au hasard et ouvrit le carnet à cet emplacement précis comme si ce morceau de parchemin avait servi de marque-page.

Sur cette feuille, le verso était vierge et, sur le recto, un étrange et très court texte y était écrit. Il rappela immédiatement à Garance les extraits du Cantique des Abysses qu'elle avait lu il y a quelques années.


Les entendez-vous ?

Pouvez-vous les entendre ?

Les voix de ceux qui sont morts,

Les hurlements de ceux dont l'esprit est à jamais brisé,

Les pleurs de ceux qui ont disparu,

Le désespoir de ceux que l'on a oublié.

Le pouvez-vous seulement ?


Garance n'en pensa pas grand-chose, n’ayant pas la volonté d'analyser le moindre des éléments que contenaient ces carnets, seulement de les observer.

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