Chapitre 19 (5/5)

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Délaissant cet obscur texte, elle constata que la double-page qu'elle avait ouverte était couverte de dessins représentant une variété de symboles qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Ils avaient l'air d'avoir été gravé dans la pierre. Au bas de la page gauche, une note manuscrite indiquait qu'il s'agissait de « sceaux sacrés », destinés à empêcher les morts-vivants d'entrer dans un lieu ou de le quitter. Sachant que ces carnets portaient sur Agrisa, Garance ne put s'empêcher de songer aux catacombes du quatrième sous-sol.

En tournant la page, sa théorie se confirma. De nombreux autres dessins se succédèrent, représentant des statues et des tombeaux. Tous étaient accompagnés de notes et d'observations. Certains de ces dessins avaient été fait à l'encre, et d'autres, au crayon. Par endroits, le temps semblait avoir atténué l'intensité de certains traits.

Elle ouvrit une nouvelle page au hasard. Là, les observations de sa mère portaient sur le cinquième sous-sol, et plus précisément, sur certains éléments de son architecture si particulière. Mais contrairement aux pages précédentes, les notes se firent plus rares. Les dessins semblaient ici avoir été réalisés dans une certaine hâte comme si elle avait manqué de temps pour chacun d'entre eux. Plus elle descendait dans les ruines et plus l'urgence semblait se faire sentir.

Elle ouvrit à nouveau une page au hasard, quelque part au milieu du livre. Mais se souvenant des explications de son père qui leur avait indiqué qu'une partie semblait codée, elle ne s'attarda pas sur le contenu des feuilles sous ses yeux. Elle fit défiler les pages les unes après les autres pour trouver le passage qui l'intéressait. Une feuille blanche séparait les deux parties : à sa gauche, un texte en alenois, à sa droite, un nouveau texte plus dense, rédigé dans une écriture qui lui était entièrement inconnue.

Elle s'intéressa d'abord au texte qu'elle pouvait lire. A la toute fin, une phrase attira son attention.


J'ai la sensation que nous nous apprêtons à faire une rencontre des plus intéressantes.


Après cela, seul le vide d'une page blanche demeurait. Intriguée par ces mots, elle chercha à s'intéresser au texte suivant, rédigé dans ce mystérieux « code ». Mais une voix vint soudainement troubler sa quiétude.

Une voix qu'elle aurait préféré ne pas entendre en cet instant.

— Bien, voilà qui était fort...intéressant.

Elle ne put s'empêcher de pousser un hoquet de surprise.

Il se tenait là, contre le mur face à elle, assis sur le sol un bras nonchalamment posé sur un de ses genoux. Sa capuche sur la tête, son masque était absent. Quelques mèches blanches retombaient délicatement sur sa figure.

Sur le moment, elle ne sut pas à quoi il semblait faire référence, beaucoup plus concentrée sur la question du comment il se trouvait ici, face à elle, comme si de rien était.

L'ignorant quelques secondes, Lielandr’ath balaya la pièce du regard avant de se tourner de nouveau vers Garance. Mais son regard se perdit de nouveau, comme s'il ne la regardait pas véritablement, comme si son esprit était ailleurs. Il s'exprima de nouveau, la voix empreinte d'une certaine mélancolie.

— Une histoire digne d'une tragédie mais je m’égare.

Garance était figée, l'observant avec une stupeur non déguisée. Elle venait tout juste de comprendre ce à quoi il faisait référence : la mort de sa mère. Les avaient-ils observés depuis tout ce temps ? Mais comment ?

Lua plongea son regard, noir et violet, dans le sien, un petit sourire mystérieux sur les lèvres. Il finit par soupirer. Sa réaction le décevait quelque peu.

— Oh, par pitié, ne fais pas celle qui est surprise... Cela devient lassant.

Elle ne releva pas sa moquerie. Elle n'en avait ni l'envie, ni la force. En face d'elle, il l'avait bien compris mais n'en rajouta pas. Il poursuivit.

— Pour répondre à ta question, aussi silencieuse soit-elle, oui, je vous ai tous bien observés. Au travers de tes yeux et de tes oreilles, je n'en ai pas raté une seule miette.

Instinctivement, Garance rapprocha ses jambes de son torse, comme si elle cherchait à se protéger.

— Oh, tu peux appeler à l'aide, si tu le souhaites. Mais sache que même si quelqu'un se tenait présentement dans cette pièce, cette personne ne pourrait ni me voir, ni m'entendre et encore moins sentir ma présence. Cette...conversation est purement et exclusivement entre toi et moi. Tout est dans ta tête. Et quelque chose me dit que tu n'es pas impatiente de mettre cette Neavathary au courant de nos petites...rencontre, finit-il en souriant d'un air continuellement mystérieux.

Il prononça le titre d'Ishaa avec une profonde moquerie.

La mâchoire de Garance se serra un peu plus. Elle baissa le regard. Il venait de pointer du doigt un élément pertinent. En effet, pourquoi n'avait-elle encore rien dit ?

Lua avait remarqué la façon dont la jeune humaine avait réagi face à cette Astanatos. Elle dépréciait ses paroles et ses manières. Mais pour le moment, il estimait que les choses étaient mieux ainsi. Ishaa Astanatos se devait de rester dans l'ignorance aussi longtemps que possible. Il n'était pas prêt à lui accorder ne serait-ce qu'un soupçon de sa confiance. Elle n'était ni une Millervius, ni une Mortis. Cependant, cela avait-il encore de la valeur de leurs jours ?

— « Maître de la Connaissance » est un titre pompeux. Ils savent certes bien des choses mais pas tout. A la fin, eux aussi sont mortels.

Garance ne lui répondit toujours pas, attentive au moindre de ses mots. Mais qu'aurait-elle bien pu ajouter pour le contredire ? Au plus profond d'elle-même, pour une raison qu'elle n'expliquait pas encore, elle se savait en accord avec ses paroles.

Le regard de Liel se porta sur le journal de Kaerolyn, sur les genoux de Garance. Son sourire s'atténua légèrement. Cette étrange tristesse fit de nouveau une brève apparition dans son regard. Il soupira.

— Le Cantique...

Il se redressa et regarda Garance.

— Veux-tu que je t'aide à le traduire ?

Son regard se porta sur le mystérieux texte rédigé de la main de sa mère. Quel vocabulaire avait-elle donc bien pu utiliser ? Elle avait passé un temps considérable à étudier les Ashéens, leurs ruines et leur histoire. Pouvait-il y avoir un lien avec leur langue ? Seulement, le contenu de ce texte ne semblait avoir aucun rapport avec les lignes dures des lettres ashéennes. Les lignes de ces symboles étaient plus douces, plus en courbe. Pourtant, quelque unes d'entre-elles semblaient avoir une certaine ressemblance. Il était étrange, qu'Ishaa soit parvenue à ne rien déceler.

Liel voyait bien que le texte préoccupait Garance. Il l'observa en silence puis, au bout de quelques instants, finit par donner un semblant de réponse à ses question.

— Ce que tu as sous les yeux n'est pas un code mais du Despiméen.

Garance entrouvrit les lèvres pour lui répondre mais avant même qu'un seul son ne sorte, Liel la coupa dans son élan.

— J'ai observé ta génitrice pendant des jours, des semaines même. Tu crois sincèrement que leur contenu m'est étranger ?

— Et que dit-il ? Ce texte ?

Elle murmura ses mots mais l'Archonte les entendit clairement.

— Des mots pour retrouver ce qui a été perdu...

Elle baissa son regard et observa le texte, cherchant à comprendre le sens de ses paroles, une fois de plus. Mais lorsqu'elle redressa la tête, Lua avait disparu.

Son sursaut fut cette fois plus discret. Elle serra les poings. Il avait commencé à hanter ses rêves et maintenant, c'était au tour de son esprit. Que cherchait-il donc à accomplir à la fin ?

Il avait cet inquiétant talent de savoir à l'avance l'ensemble de ce qu'elle allait dire ou demander. Les questionnements qui la troublaient, les choses qui la hantaient, et plus encore. Ce Lua était frustrant et profondément déstabilisant.

Un soupir s'échappa de ses lèvres. Au plus profond d'elle-même, un souhait se fit de plus en plus pressant, celui d'en savoir plus sur sa mère, ses recherches, qui elle était vraiment. Avec du recul, et ces nombreux nouveaux éléments la concernant, Garance avait maintenant cette désagréable sensation de ne plus vraiment la connaître.

Seulement, comble de l'ironie, la personne qui lui semblait la plus à même d'éclairer ces zones d'ombres n'était pas son père mais bien cet Archonte, perdu au fin fond d'une cité en ruine.

Garance referma le journal. Elle était épuisée. D'un air vague, elle contempla encore quelques instants le mur contre lequel Lua s'était trouvé puis elle se leva, non sans une certaine lourdeur, et se dirigea vers son lit. Elle enleva ses bottes puis se glissa sous les draps épais, bien au chaud dans son « nid ». Le carnet de sa mère posé sur le matelas près de sa tête, elle plongea dans un sommeil lourd et sans rêves.

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