Chapitre 20 (1/2)

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Morga avait les yeux rouges. Depuis six ans qu'elle côtoyait cette maisonnée, c'était la première fois qu'elle voyait Victor Mortis dans un tel état. Cela ne fit que lui rappeler toutes ces fois où elle trouva son propre père en larmes dans les cuisines de la taverne. Ses mains se serrèrent sur ses cuisses. Elle ne comprenait que trop bien la douleur que pouvait éprouver William et Garance.

Cependant, elle ne comprenait pas la décision de leur mère. Demander à son époux de mentir ainsi et pendant aussi longtemps à ses propres enfants. Elle trouvait cela cruel et injuste pour eux. Ils auraient mérité de savoir beaucoup plus tôt la vérité. Mais, en même temps, cette promesse, aussi douloureuse soit elle, faisait partie des dernières volontés de Kaerolyn Mortis. Et les dernières volontés des morts se devaient toujours d'être honoré, sous peine qu'ils reviennent nous hanter.

A sa droite, Sérion finit par se lever, la sortant brusquement de ses pensées.

— Seigneur Mortis, avec votre permission, nous allons vous laisser.

Victor le regarda avec un air un peu ébahit comme s'il ne s'était pas attendu à sa réaction.

— Ah... Oui, allez-y...

Opinant du chef, l'elfe attrapa doucement le bras de sa collègue et l'encouragea à se lever à son tour.

— Viens, Morga.

Une fois debout, ils se dirigèrent vers la sortie mais à un mètre de la porte, Victor les interrompit dans leur démarche.

— Une dernière chose.

— Oui, mon Seigneur ?

— Laissez Garance et William seuls pour le moment. Ils viendront à vous s'ils souhaitent parler. Vous êtes libre jusqu'à ce midi.

— Bien, mon Seigneur.

— C-commandant.

Les deux compagnons s'inclinèrent puis s'éloignèrent en direction du rez-de-chaussée. Une fois disparus au tournant, Victor s'adressa à Galbali.

— Tu peux aller rejoindre Alan. Pour le moment, nous allons...réfléchir. Nous pouvons difficilement faire autre chose. Et dis à Alan que Garance et William savent pour leur mère, il comprendra. Nous vous tiendrons au courant. Merci pour tout.

— Comme vous le voudrez, mon Seigneur. Nous attendrons vos nouvelles avec impatience. Maître Astanatos, finit-il en saluant sa supérieure.

Il referma la porte derrière lui puis, à son tour, pris la direction de l'escalier mais pour descendre et non monter, et avec l'intention d'emprunter le passage secret qui reliait Portelune à la Bibliothèque royale.

Dans la salle, les mains jointes sur la table, Victor attendit une fois de plus que Galbali se soit suffisamment éloigné pour poursuivre.

— Ishaa, la prochaine fois, ayez l'obligeance de faire preuve d'un peu plus de tact.

Son commentaire la fit hausser des yeux. Elle soupira.

— J'ai dit ce que j'avais à dire. Changer la formulation de mes propos n’altérera en rien la réalité des choses.

Sa réponse le fit soupirer.

— Passons...

Il l'ignora. Cette elfe noire semblait avoir un point de vue très arrêté sur les agissements de sa femme, aussi ne s'attarda-t-il pas sur le sujet. Il n'en avait ni l'énergie, ni la patience. Mieux valait qu'il se recentre sur les sujets plus importants que tous trois se devaient d'aborder. Un nouveau point sur la situation était nécessaire.

— Donc, cet Immaculé et Calderon travaillent ensemble. Mon beau-frère ayant certainement appris la vérité concernant Kaerolyn de sa bouche, nous pouvons donc imaginer qu'il soit ici afin de savoir ce qui ou qui est véritablement à l'origine de sa mort. Calderon a un intérêt véritable à être ici mais l'Immaculé ? Cela reste à déterminer. Et pourquoi l'Archonte Zinnar ? Dans nos archives, il a beau avoir été surnommé le Haut-juge, il me fait plus songer à un bourreau vindicatif qu'à autre chose. Et comme l’a dit Sérion, les victimes de ses « jugements » ont toujours été punies de façon démesuré et je ne parle même pas des « accusateurs » qui le payent parfois par la mort, s'ils sont chanceux, ou par la folie. Enfin...

— Tes enfants et Sérion se sont retrouvés nez à nez avec un Archonte m'a dit Alan ?

— Oui, un individu masqué et encapuchonné de noir.

Ishaa s'écarta du mur.

— Je doute qu'il s'agisse de Zinnar.

Elle s'installa sur la chaise qu'avait précédemment occupé Garance puis croisa les jambes avant de joindre les mains sur sa cuisse droite.

— Vous le pensez aussi ?

— Avec ce qu'Alan m'a raconté... Sa façon moqueuse de parler, son apparence et le fait même qu'il les ait aidés sans rien demander en retour... Tout cela est très éloigné des descriptions de Zinnar.

— Deux Archontes ? s'inquiéta alors Walther.

— Ennemis, peut-être ? Les querelles de pouvoir entre eux sont constantes, après tout.

Elle sourit, comme si l'idée la réjouissait.

— Et les Revenants ? J'ai songé à essayer de les contacter mais...

— Ils refusent toujours de partager quoi que ce soit avec nous et cela fait près de six cents ans que cela dure. Ils n'obéissent plus à personne depuis longtemps. Et pour qu'ils viennent, encore faudrait-il que la présence d'un Monolithe soit avérée.

— Et nous n'avons aucune preuve formelle de cela. Sans parler du fait que nous ne savons rien de leur nombre véritable. Ils ne sont peut-être même pas assez pour nous venir en aide...

— Si Zinnar posait véritablement une menace directe, ils seraient peut-être déjà là. Mais le Monolithe n'est plus et sans Monolithe, pas de Zinnar.

Un Archonte ne pouvait venir en Athran sans l’une des stèles maudites. Cependant, il n'était pas rare de voir des abyssaux de faible rang y parvenir par le biais d'une simple faille, même instable. Il ne fallait pas non plus écarter la possibilité que les cultistes tentent de réinvoquer le Monolithe.

— Sans Monolithe et sans Archonte, le sang noir de l’Inconnu n'a aucune prise sur notre monde. Il en demeure peut-être encore des traces plus bas mais à nouveau, pas assez pour constituer une réelle menace pour l'ensemble de cette cité.

— A nous de nous en charger donc.

— Oui, pour le meilleur ou pour le pire. Et... Hmmm... Tant que j'y pense, pour ce qui est des carnets de ta femme, et le fait que son frère ait les connaissances qu'il ait aujourd'hui... Sache que Kaerolyn avait les deux sur elle lors de sa fuite d'Agrisa puis de la Nouvelle-Essenie.

— Vous l'aviez retrouvé dans le quatrième, n'est-ce pas ?

Il se demandait aussi quel lien elle cherchait à faire.

— Oui, un vieux passage dans les catacombes... Quand Kaerolyn ne scellait pas les entrées avec les forces qu'il lui restait, je faisais en sorte que certaines parties des passages s'éboulent... Mais considérant le fait que nos invités se trouvent actuellement dans les catacombes... Ils doivent savoir pour notre « voie de sortie ». Mais comment ? (Elle s'interrompit quelques secondes.) Après avoir quitté la Nouvelle-Essenie, Kaerolyn a passé une bonne heure à rédiger je ne sais quoi dans son second carnet... Peu de temps après, nous avons été prises en embuscade. Des brigands, une trentaine... J'étais seule avec elle et je ne pouvais pas risquer sa sécurité, étant donné son état. Nous nous sommes enfuies mais...dans la cohue, le second carnet lui a échappé. Je n'ai pas cherché à le récupérer. Sa vie m'importait plus que ses notes. (Elle soupira.) C'est tout ce dont je me souviens de ces instants. Et cela ne répond pas à notre question.

— Vous n'êtes jamais retourné dans les catacombes depuis ?

— Non. Je n'en ai jamais eu le temps. Le devoir m'appelait à l'est.

En tant que Neavathary des Grandes archives, sa fonction consistait à superviser l'ensemble du travail des Bibliothécaires et d'un certain nombre d'autres espions infiltrés dans les cours du sud de l'Alen. Et ce poste ne lui avait guère laissé le plaisir de l'exploration.

— Enfin... Pour en revenir à notre sujet précédent... L'ensemble des parties intelligibles du carnet ne nous servira à rien. Mais il faudrait tout de même que j'examine sa fin. Peut-être pourrai-je y trouver quelque chose d'utile.

— Très bien...mais à partir de cette nuit seulement. Laissez d'abord à William et Garance la possibilité de les feuilleter.

— Comme tu voudras... Mais le plus tôt sera le mieux. Il y a autre chose ?

— Il faut que je réfléchisse à un plan de fuite de la cité... Iveln n'est pas un tendre et si les choses dégénèrent d'une façon ou d'une autre...

Ishaa se leva sans un mot puis, avançant vers la sortie, fit tourner sa canne entre les doigts de sa main droite.

— Je vais voir avec Alan et mes hommes, ce qu'il est possible ou non de faire à l'aide de certains de nos contacts. Je ne te promets rien. Cela dépendra aussi de vos choix, considérant ton…indécision actuelle.

— Nos choix ?

Il se tourna vers elle, quelque peu méfiant.

Ishaa immobilisa sa canne et la posa au sol.

— Si tu tiens vraiment à savoir ce qu'il se passe en bas, toi et les tiens devrez descendre dans Agrisa, avec les risques que de tels actes imposent. (Elle plaça sa canne sous son bras.) Ou tu peux aussi faire le choix de mettre cette histoire derrière toi, et d'avancer. Faire le choix de tous vous reconstruire ailleurs, loin d'ici. De penser vos plaies. Mais...quoi que tu choisisses d'entreprendre, sache que tu auras tous mon soutien.

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