Chapitre 21

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Le soleil était déjà haut dans le ciel quand Victor décida de monter voir Garance. Elle n'avait pas donné de signes de vie depuis près de trois heures et certains dans la maisonnée commençaient à s'inquiéter. Mais contrairement à eux, son père ne fut pas surpris de son absence.

Il avait emmené le passe-partout de l'hôtel avec lui, les domestiques ayant expliqué que la porte de sa chambre était verrouillée. Lorsqu'il entra, la moitié de la pièce était encore plongée dans la pénombre. A droite, Garance gisait dans son lit, la couverture remontée jusqu'au cou, sa respiration lente et profonde. Elle dormait à points fermés. La matinée avait été éprouvante pour tout le monde, en particulier pour elle et William.

Il s'approcha puis s'assit doucement au bord du lit. Il descendit ensuite la couette jusqu'au bas de son dos. Là, il posa une de ses mains sur son épaule et la secoua légèrement.

— Garance.

Il s'arrêta, attendit quelques secondes puis recommença. Cette fois-ci, un profond soupir vint marquer le début de son éveil.

— Garance. Réveille-toi, ma chérie.

Enfin, elle ouvrit les yeux et commença à se mouvoir. Elle se redressa dans le lit tout en s'essuyant les yeux et en baillant.

— Il est treize heures passées.

Elle s'adossa confortablement contre ses coussins puis posa ses bras sur ses cuisses. Sur l'instant, elle eut l'impression que chacun de ses membres pesait plus lourd qu'à l'accoutumée. Son sommeil avait été lourd et sans rêves ; elle avait presque l'impression de s'être évanouie. Elle regarda son père, un profond soupir s'échappant de ses lèvres sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle lui sourit tristement.

— Salut, papa.

— Comment te sens-tu ?

— Épuisée.

Un court silence s'en suivit, Victor peinant à trouver correctement ses mots.

— Je sais que la matinée a été longue. Je n'aurais pas été contre le fait que tu te reposes plus longuement, seulement, les circonstances étant ce qu'elles sont, c'est un luxe que je ne peux te permettre plus longtemps. Aussi, les autres commençaient à s'inquiéter pour toi.

— Il ne faut pas...

— Il ne faut pas quoi ? Qu'ils s'inquiètent pour toi ? Et pourquoi donc ?

— Je n'aime pas que l'on s'inquiète pour moi, répondit-elle presque en chuchotant.

Son père ne sut que lui répondre. Il lui tendit le bras.

— Allez, viens là.

Garance se rapprocha de lui, tout en prenant soin d'attraper le journal de sa mère et de le poser sur ses genoux, de sorte à ne pas l’écraser. Elle se blottit contre son père tandis que celui-ci l'enlaçait de son bras.

— J'ai pris le temps de discuter avec ton frère. Et...si tu veux parler de quoi que ce soit... Je suis tout ouïe.

— Je…

Garance prit une profonde inspiration.

— Une part de moi ne t’en veux pas, papa… Mais l’autre…est en colère, très en colère. Même si je ne sais pas après qui… Maman ou toi… Je n’en sais rien… Mais… Je t’aime quand même tu sais…

Il la serra contre lui et lui embrassa le front.

— Merci...

Les larmes lui montèrent aux yeux mais il ne pleura pas. Ces mots étaient importants.

Aucun des deux ne dit rien pendant quelques secondes. Garance fut celle qui brisa le silence.

— Pourquoi maman a fait ça ? Pourquoi elle a menti comme ça ? On aurait pu comprendre. On... demanda-t-elle d'une voix tremblotante.

— Ton frère aussi voulait savoir mais... Je n'en sais rien, Garance, je n'en sais fichtrement rien.

— Il y a forcément une raison.

A nouveau, son père ne sut que répondre. Au bout de quelques secondes, ne trouvant toujours pas de réponse, il décida de changer de sujet.

— Tu devrais aller un peu dans la cour. Prendre l'air te ferait du bien.

— C'est gentil mais non merci... Je n'ai pas vraiment le cœur à sortir.

— Comme tu voudras, lui répondit-il en soupirant.

Le regard de Garance se dirigea vers le journal posé sur ses cuisses.

— Désolée. Je n'ai pas encore eu le temps de le lire.

— Ce n'est rien, ma chérie. Sache que tu peux le garder pour le moment mais pense à le passer à ton frère en début de soirée. Ishaa voudrait aussi pouvoir l’étudier de nouveau.

— De nouveau ? Mais elle ne l'avait pas déjà fait ?

— Elle veut réessayer, s'assurer qu'elle n'aurait rien manqué. Quelque chose parmi les notes de votre mère pourrait peut-être nous en dire plus, ou pas.

— La partie avec les symboles étranges ? demanda-t-elle tout en ouvrant une page au hasard au milieu de ce segment précis.

— Oui, surtout celle-ci...

Il n'était pas aussi érudit que son épouse mais il en savait suffisamment pour savoir que ce langage n'appartenait à aucuns des peuples connus, vivants comme morts, présents comme passés. Ce langage lui était véritablement inconnu. Une civilisation disparue peut-être ? Les Ashéens s’était-il dit un jour. Mais il savait à quoi ressemblait leur alphabet et il était différent de ces lettres ou signes. Et le fait qu'une Neavathary n'ait aucunement connaissance de leur signification le troublait plus encore. Mais où donc Kaerolyn avait pu mettre la main sur un tel savoir ? Un code qu'elle avait elle-même créé et qu'elle n'avait partagé avec personne d'autre ? Toutes les possibilités avaient été sur la table et elles l'étaient encore.

Caressant la page du regard, Garance soupira. Elle aurait aimé avoir un peu plus de temps pour sa future lecture.

— Très bien. Je tâcherai de ne pas trop tarder.

— Merci, Garance.

Il lui sourit.

— Je comprends que tu ne veuilles pas aller dans la cour mais sort au moins de ta chambre. Viens dans le réfectoire et mange quelque chose.

— Désolé, papa mais...je voudrais rester seule, je...

Pour le moment, elle n'avait pas vraiment le cœur d'aller parler à qui que ce soit d'autre.

— Très bien, comme tu voudras... lui répondit Victor en soupirant. Accepteras-tu au moins que je demande à Isabelle de te porter ton repas ? Tu n'auras qu'à lire en suivant.

— Non, cela ne me dérange pas. Merci.

— Bien. (Il embrassa de nouveau son front.) Nous survivrons à tout ça, ma fille. Nous survivrons comme nous avons survécus à bien d'autres choses. Après tout, ne sommes-nous pas les « Hérauts des Ombres », les « Noirs messagers ailés de la Mort » ?

— Encore ces vieilles histoires... dit-elle en riant doucement. Je ne sais pas qui est à l'origine de ces surnoms mais à mon avis, il n'avait pas toute sa tête.

— Ah ! Qui sait ? Nous serions peut-être bien surprit.

Ils rirent tous deux quelques instants. Garance finit par se blottir un peu plus contre son flanc et ferma les yeux.

— Je t'aime, papa.

— Je t'aime aussi, ma chérie.


*****


— Isabelle. Garance prendra son repas dans sa chambre. Faites-le lui monter en priorité, je vous prie.

— Oui, mon Seigneur, répondit la servante qui s'éloigna ensuite en direction des cuisines.

Dans le réfectoire, une grande tablé avait été installée près de l'âtre principal. L'ensemble des effectifs de l'hôtel était présent, y compris les légionnaires. Exceptionnellement, Louise et Emile mangeaient tout deux sur une autre table éloigné du groupe principal, près des fenêtres qui donnaient sur la cour.

— Comment va-t-elle ? demanda William.

— Du mieux qu'elle puisse aller. Elle dormait quand je suis entré.

— Elle a encore décidé de s'isoler...

— Oui, mais ainsi est ta sœur. Si elle a besoin de nous parler, elle viendra. Pour l'instant, elle a besoin d'être seule. Octroyons-lui au moins ce droit.

William acquiesça en silence. Il n'aimait pas la savoir seule trop longtemps, en particulier lors de tels moments. Mais il savait aussi qu'elle en avait besoin, de cette solitude, bien plus que lui. Elle l'aidait à remettre de l'ordre dans son esprit et à reprendre des forces. Il attendrait qu'elle sorte et espérait bien qu'ils auraient à un moment la possibilité de parler. Il finit par se recentrer sur la discussion et écouta son père.

— Puisque tout le monde est là, nous allons pouvoir commencer. Avant d'entamer le repas, je tenais à faire un premier point. Nous en effectuerons un second ce soir. Sur ce... L’Ordre d’Eril sera là dans trois jours. Le roi nous a sommé d'avoir quitté les lieux vendredi au coucher du soleil mais ne soyons pas dupe. Avec la présence des Inquisiteurs et d'un élément aussi radical qu'Iveln, nul doute qu'ils essaieront de nous pousser vers la sortie aussitôt arrivé. Ils ne nous laisseront pas tranquillement faire nos malles et nous accompagner jusqu'aux portes de la capitale. Par conséquent... Nous sommes dimanche, en début d'après-midi... Il faut que mardi, au coucher du soleil, nous soyons prêts à partir. Et quand je dis prêt à partir, je ne fais pas simplement mention à nous et à nos effets personnels mais aussi et surtout à notre trésor et à nos archives. Je ne serais guère surprit qu'ils cherchent à s’approprier le bâtiment et tout ce qu'il contient au nom d'une de leur pseudo-règle ou loi. Qu'ils prennent l'hôtel et son mobilier, si cela leur chante, grand bien leur en fasse. Mais les archives et le trésor, hors de question. Il y a trop de documents sensibles et je ne veux pas donner à Edwald plus de grain à moudre concernant nos petites affaires avec les Noirelames.

— Ça va faire un certain nombre de documents à déplacer. Ce n'est certes pas autant que les Grandes archives en leur temps mais il y a quand même 60 ans d'histoire dans cette pièce.

— J'en ai conscience, Sérion, mais plus tôt nous nous y mettons et plus tôt nous aurons fini. Nous les conserverons dans la chambre forte dans les souterrains, celle sous l'auberge des Bravant. Lorsque les malles seront prêtres, deux Sages nous aideront à tout transporter. Ishaa va ensuite s'assurer qu'elles parviennent dans une de nos forteresses dans le royaume de Dras. J'ai aussi envoyé, il y a deux heures, un Ourargent à la forteresse Mérina. Ils ont ordre de faire de même dans les plus brefs délais.

— Et pour nos affaires, père ?

— Le minimum possible. Vêtements, armes et objets précieux. Il nous faudra aussi prévoir les provisions nécessaires, sans parler de notre moyen de locomotion.

— Très bien. Dans ce cas, avec ta permission, je m'en occuperais avec Louise et les domestiques.

— Accordé.

— En parlant des domestiques, si nous partons, qu'adviendra-t-il d'eux ? demanda Morga.

— Je paierai le reste de leur salaire dû pour ce mois-ci puis ils rentreront chez eux avec leurs affaires...de préférence avant l'arrivée d'Iveln... J'ai conscience qu'une telle décision ne fera que les mettre dans l'embarra mais je préfère qu'ils partent rapidement. Je veux le moins de dommages collatéraux possible.

Victor n'excluait pas le fait que les autorités du royaume puissent s'en prendre à eux ultérieurement. Mais en vérité, à ce stade-là, il ne pourrait plus rien pour eux. Ils ne pouvaient simplement pas les accompagner jusqu'au Domaine. La route était longue et bien trop dangereuse. Sans parler que l'hiver arriverait dans trois semaines.

— Je m'en occuperai après le repas, poursuivit-il. Ils feront leurs affaires demain matin et devront avoir quitté l'hôtel au moment de notre départ.

— Quelle route prendrons-nous, mon Seigneur ?

— Celle de l'ouest, probablement, en direction de Rougemont, la capitale du royaume de Covhan, puis nous passerons par le royaume de Logris avant d'arriver au Domaine. Sinon, nous prendrons celle du nord, en direction du royaume de Dras, puis nous passerons par les Maeveryns.

— Celle du nord, c'est bien celle qui passe par la forêt ?

— Oui, Morga.

Son regard se fit triste. C'est sur cette route qu'elle perdit sa mère et son frère il y a quelques années. Un autre élément lui vint à l'esprit.

— Commandant.

— Autre chose ?

— Oui... Je vais devoir partir avec vous tous, n'est-ce pas ?

— Malheureusement.

— Et ma famille ? Qu'en sera-t-il pour eux ? Je... Je ne veux pas qu'il leur arrive quelque chose par ma faute.

— Je comprends ton dilemme. (Il se tut quelques secondes.) Si tu le veux bien, nous en discuterons un peu plus tard, dans mon bureau et en privé.

— Très bien, Commandant.

— Vous vous mettez à table un peu tardivement il semblerait.

L'ensemble du groupe se tourna brusquement en direction de cette voix à la fois nouvelle et familière. Les légionnaires, ayant été mis au courant de la présence possible de cette étrangère dans la maisonnée, ne s'alarmèrent pas.

— Ishaa.

— Bon appétit à tous, dit-elle d'un air nonchalant, adossée à l'embrasure de la porte qui menait au hall d'entrée.

— Des nouvelles ?

— Pas pour le moment

— Je vois… Voulez-vous vous joindre à nous ?

La Neavathary sourit.

— Pourquoi pas ?

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