Chapitre 22 (1/3)

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Son repas terminé, Garance entama la lecture de l’épais carnet. Ses entrées aux dates éparses étaient toutes suivies d'un texte bien fourni. La première couvrait d'ailleurs une vingtaine de pages et parlait uniquement de l'arrivée et de l'installation de Kaerolyn à la Nouvelle-Essenie. Son domaine d'érudition l’avait obligée à entrer clandestinement dans la cité, sachant pertinemment que sa présence n'aurait jamais été tolérée dans la capitale. Alan et le Commandant Rostand de l'hôtel Portelune l'avaient accueillie à l’époque avec ses quatre collègues dans les salles secrètes des souterrains, au premier sous-sol. Sa mère ne mentionna qu'à deux reprises le mystérieux « mécène » derrière son expédition, indiquant seulement avoir été engagé par cet individu afin d'explorer les niveaux les plus bas, dans les profondeurs d'Agrisa.

Intercalée entre les pages suivantes, une étrange missive l'avertissait des actes étranges de leur commanditaire qui n'intervenait jamais directement, passant sans cesse par moults intermédiaires. Ce que l’auteur de la lettre pensait être son nom n'était peut-être même qu'un pseudonyme ou un faux. Il s’excusa de n’avoir plus d'informations à lui apporter et finit par parler de lui comme d’un fantôme. Un peu plus loin, il évoquait sa grande difficulté à récupérer puis envoyer une série de documents précis et l’alertait sur l’Ordre d’Eril. Il conclut en lui rappelant que plus elle s'intéresserait à l’Inconnu, plus elle deviendrait une menace à leurs yeux, et même si seulement par alliance, elle faisait partie de la Maison Mortis. Le papier, qui n’était pas signé, venait du Nélaen. S'agissait-il d'un collègue, d'un ami ou avait-il un autre statut ?

Dans la deuxième entrée qui suivait, sa mère mentionnait à peine le contenu de cette lettre comme si la perspective de finir sur la liste noire des Eriliens ne l'effrayait pas. Sa mère semblait bien plus téméraire que dans ses souvenirs.


J'ai confié à Alan mon exemplaire du Cantique. Il ne me sera d'aucune utilité en bas. Je sais déjà ce que j'ai à savoir.


Les extraits du Cantique qu'elle avait lu plus jeune chez son oncle aurait donc appartenu à sa mère ? Une petite visite à la Bibliothèque s’imposait. Lire ce journal commençait à lui donner une tout autre impression de sa mère.

Un autre passage attira son regard.


Ces imbéciles de l’Eril ne cessent d'aboyer à propos des dangers des « ténèbres » comme s'ils savaient absolument tout d'elles. Ils ne cessent d'agir comme si la « lumière » était la seule chose bonne et pure en ce monde. Quand je pense que par le passé la Légion, les Grandes-archives et l’Ordre d’Eril ne formaient qu'une seule et même entité sous la grande et noble bannière des Markheim et de leur empire... Comment pourraient-ils connaître, comprendre les ténèbres, alors même qu'ils ont oublié ce qu'elles étaient, qui elles étaient ? Leur bêtise m’écœure.


La Lumière ? Les Ténèbres ? Mais de quoi parlait-elle ?


Le Sombre Père veille toujours sur ses enfants.


Ainsi se concluait la deuxième entrée. Cette dernière phrase lui posait questionnement. Sa mère n'avait jamais été quelqu'un de très spirituelle alors pourquoi écrire cela ? Comme si elle parlait d'une quelconque obscure divinité veillant sur ses croyants comme pour d'autres. C'était complètement ridicule, et pourtant, cette phrase était bien présente. Elle poursuivit sa lecture malgré son trouble.

Au fur et à mesure, elle remarqua dans sa manière d’écrire, dans le choix de ses mots et dans la formulation de ses phrases, si elle avait ou non été pressé par le temps. La distinction était parfois nette.

Depuis le début, elle parlait principalement de ses impressions et observations personnelles et rarement de celle de ses collègues. Ces mêmes chercheurs qui apparemment périrent avant elle, lors du fameux incident. Elle semblait si concentrée sur sa tâche que même ceux qui l’accompagnaient ne semblaient pas avoir de grande importance. Elle n'avait d'ailleurs vu leur nom énoncé au complet qu'une seule fois, griffonnés à la hâte sur une marge.


Angus Rersevan

Milliandra Arvragas

Samson de Rochebois

Rolf Arn-Kotorn


Garance n'en reconnut aucun. La consonance de ces noms lui permit de déduire que son groupe avait été certainement composé de deux hauts-elfes, d'un humain et d'un nain. Elle repensa alors au rêve qu’elle fit la nuit qui suivit sa première rencontre avec Lua. Elle avait vu sa mère dans les souterrains accompagnée d’une elfe et d’un nain. Comment aurait-elle pu savoir ? L’humaine en vint à se demander si elle avait véritablement rêvé. Aurait-elle revécu une sorte de souvenir ? Mais comment une telle chose serait possible ? Certains rituels nécromantiques permettaient de revoir les souvenirs des morts récents en rêves. Mais elle n’en connaissait aucun et y avait encore moins pris part.

Un peu plus loin, dans les entrées du milieu, elle retrouva les débuts des descriptions architecturales de l'ancienne cité. Une partie concernant le quatrième sous-sol attira une nouvelle fois son attention. Sa mère y mentionnait la « porte scellée ». Elle se demandait, en rapport à celle-ci, si un passage plus rapide s’y trouvait dissimulé mais sembla vite abandonner l'idée, apparemment par manque de temps. Son autre option la plus rapide et la plus accessible se trouvait dans les catacombes, au-travers de galeries jadis créé par les Grandes archives. Garance se souvint alors de sa mésaventure de début de semaine. Ce passage qui semblait l’avoir conduite jusqu’à Sérion, s’agissait-il de celui dont sa mère parlait ?

Il existe donc deux chemins... Voilà qui est bon à savoir.

Elle soupira alors longuement, plongeant sa tête entre ses mains.

Mais pourquoi je pense ça, moi ?

Elle se frotta les tempes nerveusement et tâcha de finir sa lecture. Elle survola l'ensemble des passages décrivant l'architecture et le fonctionnement des souterrains et des catacombes pour atteindre plus rapidement les choses qu'elle jugerait plus important mais, entendant soudainement les cloches du sanctuaire sonner dix-huit heures, elle décida de s'arrêter là, à quelques pages des entrées cryptées. La soirée allait commencer et son frère devait encore les lire. Tant pis pour la fin, elle étudierait cette partie plus tard, sur le trajet par exemple, même si cela dépendrait de la décision de leur père.

Elle referma le journal et prit une profonde inspiration. Elle avait entamé cette lecture en espérant que ce carnet permettrait de faire la lumière sur bien des évènements passés et présents. Mais plus avançait et plus l’ombre qui les entouraient s’épaississait. Sa mère semblait si différente.

Garance repensa alors à Alan et à son implication dans ses recherches. La soirée débutait seulement ; elle avait donc amplement le temps pour une petite discussion, en espérant qu'il soit disposé à cela.

Elle se leva puis attrapa la veste de son uniforme dont elle se vêtit. Elle prit le carnet en main, le cala contre son torse et sorti de sa chambre. Elle descendit les escaliers en silence et, une fois dans le hall, chercha son frère, espérant qu’il se trouverait dans les parages. Il émergea rapidement du salon, l'ayant entendu descendre. Il l’avait simplement reconnu grâce à son rythme de pas familier.

William s'approcha sans un mot puis posa ses mains sur ses épaules. Son regard traduisait de l’inquiétude.

— Comment te sens-tu ?

Une question idiote mais il voulut tout de même la poser.

— Mieux que tout à l'heure... Euh, je...

Elle ne savait vraiment pas quoi lui répondre. N'ayant pas grande envie de s'éterniser sur le sujet pour le moment, elle préféra tendre le carnet de leur mère à son frère.

— Tiens, j'ai fini de le lire. Il faudra juste que tu le redonnes à papa plus tard. Ishaa voudrait le relire.

— Je vois, dit-il tout en se saisissant du journal. Merci, Garance.

— Pas de souci... Euh... Je-je vais y aller...

— Et où exactement ? demanda-t-il, ayant bien constaté à son accoutrement qu'elle semblait vouloir quitter le bâtiment. Tu sais que nous ne pouvons pas sortir ?

Il lui sourit.

— Pas dans la rue, je le sais, frangin. (Elle soupira.) Je voulais juste parler avec Oncle Alan, puisqu'apparemment il a aidé mère lorsqu'elle vint ici... J'ai besoin de comprendre certaines choses et je...

Elle se tut quelques instants. Elle ne savait toujours pas quoi lui répondre et préféra attendre une réaction quelconque de son frère qui ne vint pas. Elle le lança alors sur un autre sujet même si une part d'elle-même se doutait bien qu'il devait partager sa confusion.

— Et papa ? Il est où exactement ?

— Avec Ishaa et Walther dans son bureau. Ils préparent notre itinéraire.

Il observa sa sœur en silence. Son regard se perdait quelque part dans le vide. Devait-il la laisser s'éclipser malgré la situation ? Mais se souvenant comment la nouvelle de ce matin l'avait bouleversée… William soupira. Elle voulait des réponses, tout autant que lui. Il commencerait par le carnet de leur mère et quant à Garance...

— Tu passes bien par la galerie protégée, d'accord ? poursuivit-il. Et prend garde à ne pas aller au-delà de la salle secrète d'Alan. Les domestiques de la Bibliothèque connaissent ton visage.

Ils pourraient toujours discuter de leurs trouvailles plus tard.

— Je ferais attention. C'est promis, lui répondit-elle en souriant.

— Et assures-toi d'être rentrée pour le souper. Nous mangerons vers 20h ce soir. Cela te laisse deux heures devant toi, ce qui devrait être suffisant, non ?

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