Chapitre 22 (3/3)

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Garance reposa le portrait de son aïeul dans le coffret et examina le reste des documents présents. Les cinq lettres étaient adressées à son père. Kaerolyn y parlait seulement de ce qu'elle faisait en généralités et à quel point leur père et eux lui manquait. Les parchemins et les carnets eux, ne contenaient que des dessins d'architectures d'origine ashéenne, qu'il s'agisse de ruines ou d'anciennes cités investies par les humains. La femme fut quelque peu déçue par ce contenu. A l'exception de cette étrange ancêtre, elle n'avait rien appris de plus. Soupirant, elle rangea tout tel qu'elle l'avait trouvé dans le coffret en bois.

Alan l’observa faire en silence. Il voyait bien qu’une part d’elle-même semblait chagrinée par ses maigres découvertes. Il ne dit donc rien, ne voulant pas la bousculer sur le sujet. Il préférait qu’elle y réfléchisse tranquillement de son côté. Enfin, aussi tranquillement qu’elle le pourrait compte tenu de leur situation actuelle. Elle serait toujours libre de revenir vers lui d’ici leur départ.

— Avais-tu besoin d'autre chose ?

— Non, pas pour le moment. Merci, Oncle Alan.

— Comme tu voudras. Tu devrais rentrer maintenant. Te connaissant, je suis persuadée que tu es venue ici sans dire quoi que ce soit à ton père ou ton frère. Et compte tenu des circonstances, ils vont finir par s’inquiéter.

— Oui, c’est vrai, dit-elle en souriant.

Ils se levèrent tous les deux, chacun leur tour.

— Bon, et bien dans ce cas, je vais y aller. Merci encore, Oncle Alan.

— Tu reviens quand tu veux. Ma porte te sera toujours ouverte, sache-le bien, lui expliqua-t-il tout en la raccompagnant jusqu’à l’entrée.

A leur approche, la porte s’ouvrit d’elle-même comme si elle avait compris par avance leur intention. La jeune femme salua une dernière fois le vieux sage d’un hochement de tête et d’un sourire puis quitta la salle pour revenir à l’hôtel. Alan la regarda s’éloigner pendant quelques instants avant de refermer la porte et retourner à ses obligations.

Garance rebroussa chemin. Pendant son absence, le sort qui alimentait les torches avait fini par se dissiper et par paresse, elle ne songea pas à le réactiver. Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite l’ombre adossée au mur le plus tranquillement du monde. Là, « Lua » l'attendait de nouveau.

— Bonsoir, lui dit-il le plus simplement du monde.

Sursautant légèrement, Garance soupira par la suite. Était-elle condamnée à endurer sa présence jusqu'à la fin de ses jours ?

Il se présentait à elle sans masque et sans capuche, celle-ci retombant à l'arrière, dans le haut de son dos. Même dans le noir, les traits de son visage témoignaient toujours d’une froide beauté. Il la fixait de ses yeux violets, son éternel sourire mystérieux sur les lèvres.

Garance s'arrêta à quelques mètres de lui et croisa les bras.

— Que me veux-tu d'autre à la fin ?

— A cet instant précis, absolument rien.

Elle soupira de nouveau. Liel prit un air faussement offusqué.

— Quoi, n’ai-je pas le droit de t'observer ?

Son sourire s’agrandit.

Garance ne dit rien. Plus ennuyée que surprise, elle commençait étrangement à s’y habituer. Sa présence lui semblait de plus en plus familière. Ce trait de caractère l’agaçait quelque peu mais elle ne pouvait guère faire autrement. Mais, elle le pouvait, faire différemment. Il lui suffirait d’en parler aux autres. Seulement, cette idée la dérangeait et ça, elle ne se l’expliquait toujours pas.

— Alors cette charmante petite étude ?

Garance ignora sa question.

— Cet Immaculé... C'est pour toi qu'il est là, non ? Serait-ce pour cela qu'il cherche à se frayer un chemin jusqu'au cœur de la cité-souterraine ? Pourquoi ?

Liel rit doucement. Malgré ses nombreux souvenirs flous, une chose lui était certaine.

— Il se pourrait que j’aie tué un de ses aïeuls. Quelqu'un pour qui je n'ai très certainement jamais éprouvé la moindre once de sympathie. En général, c’est très souvent la raison principale.

Ainsi la vengeance motivait probablement cet individu. D’autres raisons étaient-elles possibles ?

— Je sais que tu veux des réponses et malheureusement pour toi, il s'avère que je suis le seul à pouvoir te les donner. Et comme je le dis un jour à ta mère, en ce monde, tout à un prix. Reste à savoir lequel tu es prête à payer pour obtenir ce que tu veux.

Comprenant qu’elle n’obtiendrait rien d’autre sur ce sujet, Garance posa une autre question.

— Des mots pour retrouver ce qui a été perdu... Tu parles toujours par énigmes. Que voulais-tu dire par là ?

— Tu sais une part des événements survenus il y a treize ans. Mais qu'en est-il de ceux advenus six siècles auparavant ?

Il esquivait sa question en parlant là de la mystérieuse disparition des habitants d'Agrisa. Avait-il quelque chose à voir avec ces évènements comme elle le suspectait ?

Aux yeux de Lielandr’ath, le silence de Garance était suffisamment explicite. Elle ne savait rien. Si ce n’est légendes et rumeurs, n’avaient-ils réellement aucune connaissance des évènements ?

— Ai l'obligeance de faire montre d'un peu plus d'esprit.

Son ignorance l'agaçait au plus haut point. Hélas, comme il le craignait, cela ne fit que confirmer un peu plus ses soupçons. Les Mortis étaient tombés bien bas. Il fut un temps où de tels événements ne lui auraient pas été inconnus, même advenus si loin dans le passé. Il se refusa à lui en dire plus malgré le souhait de voir l’humaine l’aider à dissiper ses doutes et la brume qui recouvrait sa mémoire d’un voile épais, presque impénétrable par endroits.

Ignorant de nouveau son commentaire, Garance réfléchit à ce qu’il lui avait dit précédemment en parlant de l’étrange partie à la fin du carnet de sa mère. Des mots. Peut-être s’agissait-il d’un langage en lieu d’un code ? Mais dans ce cas, à quelle civilisation appartenait-il ? Une oubliée ?

Si c’était le cas, peut-être avait-elle était engloutie par l’Inconnu, il y a très longtemps. Il avait cette déplaisante capacité de pouvoir remodeler la réalité lorsque les conditions nécessaires étaient réunies. Mais alors, comment sa mère en aurait-elle eu connaissance ? Qu’est-ce qui aurait pu permettre une telle chose ?

L’écho d’un bruit se fit entendre. Le frisson qui lui parcourut l’échine la tira brusquement hors de ses pensées. Au loin, de nouvelles ombres à forme humanoïde parcouraient les murs dans une pénombre déjà importante. Un vertige la pris soudainement et elle tomba à genoux. Autour d’elle, tandis que des hurlements de peur et de terreur lui vrillaient les tympans, elle vit d’autres ombres passer, comme si elles fuyaient quelque chose, avant de s’effacer au loin dans les ténèbres. Ce phénomène, qui ne dura que quelques instants, parut lui durer une éternité. Ses mains sur les oreilles, elle pouvait sentir son cœur battre à toute allure.

— Tu les vois donc. Les souvenirs de terreurs de ces lieux.

— Qu’était-ce ?

— L’un des très nombreux cauchemars de ce monde. Un de ceux que même le temps aura du mal à effacer.

Cet événement prouva une autre chose pour Lielandr’ath. Cette humaine avait bien hérité du don de sa mère. L’Aethelsild s’éveillait. Mais jusqu’à quel point ? Là demeurait une inconnue.

— Ma mère… Fut-elle aussi témoin de telles scènes lors de sa descente ?

— Quelques-unes, oui, bien que vécues moins intensément que toi.

Garance ne dit rien et ferma les yeux. Elle prit une grande inspiration tentant de calmer son cœur et sa respiration. Au fond d’elle-même, elle le savait, qu’elle ne pourrait quitter cette ville sans connaître la vérité, qu’il n’y aurait de paix pour elle si elle ne descendait pas, qu’elle le regretterait toute sa vie. Il n’y avait rien de pire que les regrets.

Elle rouvrit les yeux et se leva. Elle descendrait, qu’importe ce que son père déciderait.

— Tu as dit plus tôt que tout avait un prix… Quel est le tiens ?

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