Chapitre 23 (1/3)

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Garance était assise sur la bordure d’une des fenêtres du premier étage. Elle avait ouvert le rideau pour pouvoir prendre l’air et regardait en silence les rues et maisons en contrebas. Parmi les quelques passants, certains s’attardaient parfois et observaient alors la façade d’un air surpris. En effet, pour la première fois depuis deux jours, quelqu’un se tenait à une fenêtre que des rideaux ne couvraient pas. Mais ils ne restaient guère plus que quelques secondes, les gardes présents les dispersant rapidement.

La mage laissa s’échapper un long soupir. Entre l’organisation et l’empaquetage de leurs affaires, le sommeil qui leur manquait et les voix qui s’élevaient contre eux hors de leurs murs, la fatigue commençait à s’installer. Ces deux derniers jours écoulés depuis la proclamation de leur exil avaient été très occupés. Mais ils ne pouvaient baisser la cadence car ils se devaient de quitter au plus tôt cette ville maudite. Il n’y avait désormais plus d’avenir possible pour eux.

Grâce aux efforts de tous, leurs affaires personnelles, maintenant triées et rangées, étaient entreposées dans les souterrains en attente de leur départ. Mais ils n’emmèneraient pas tout en Agertha, comme la totalité du mobilier qu’ils laisseraient à l’Ordre d’Eril.

L’inquiétude était palpable dans l’air mais ceux chez qui elle s’exprimait le plus étaient Louise, Emile et Morga. Pour les deux femmes, le fait que leur famille soit essennienne leur faisait craindre des représailles. Louise avait écrit à sa famille, leur demandant, sous la suggestion de William, de faire profil bas quelques temps. Morga avait elle profité du couvert de la nuit pour rendre visite à la sienne une ultime fois. Accompagnée de Sérion, les adieux avaient été longs et émouvants. Il arrivait parfois d’entendre Emile pleurer longuement car il comprenait difficilement ce qu’il se passait autour de lui.

Elle se souvenait des adieux émus d’Isabelle qui l’avait accompagnée depuis son arrivée il y a treize ans. Elle et les autres domestiques les avaient quittés la veille, retournant dans leur foyer respectif mais la vieille chambrière lui manquait déjà, son absence plus qu’évidente dans cette nouvelle journée.

Parmi les légionnaires, ceux qui n’étaient pas occupés à monter la garde venaient en aide aux chevaliers noirs. Anceus et Margrave, le plus souvent de garde à l’entrée de la demeure, se souciaient grandement des voix de l’autre côté des portes, demandant, de plus en plus nombreuses, leur départ immédiat. Les gardes essenniens ne faisaient pas non plus grand-chose pour tempérer la situation. Irvirn, le plus haut gradé, s’était posté dans la petite chapelle, au-dessus de l’entrée de l’hôtel, observant attentivement l’évolution de la situation dans la rue. Walther passait le voir de temps à autre. Tous espéraient que la situation ne dégénère pas. Une foule haineuse à leurs portes était la dernière chose dont ils avaient besoin en cet instant.

Son père, en compagnie d’Ishaa, n’avait toujours pas quitté son bureau, finalisant les dernières avancées de la Neavathary en sa présence. Ce matin, une étape importante avait été franchie, ses gens ayant pu leur trouver chariots, montures, vivres et équipements nécessaires au long voyage qui les attendaient. Peu nombreux, voir même inexistants, étaient ceux prêts à aider de nouveaux exilés à quitter la ville ou le pays. Mais là n’était pas la seule problématique.

Garance savait qu’il hésitait, qu’il ne savait encore s’ils devaient quitter ces lieux sans se retourner ou descendre au cœur d’Agrisa. Mais elle qui avait pris sa décision, elle préférait qu’ils partent de sorte qu’elle puisse descendre seule, même si cette perspective l’effrayait. Elle savait que sa décision aurait des conséquences et elle ne voulait être un fardeau pour personne.

Son regard finit par croiser ceux du chevalier de la garde royale et des trois soldats en contrebas. Depuis qu’elle s’était installée là, ils semblaient n’avoir eu de cesse que de la dévisager. Était-ce dû au fait qu’elle soit la première de la maisonnée à apparaître aux fenêtres depuis que ses habitants en avaient tirés les tentures ? Ou peut-être s’imaginaient-ils qu’elle essaierait de prendre la fuite ? Une pensée ridicule ; elle ne mettrait pas les siens en danger en agissant aussi inconsciemment et, pourtant, avec ce qu’elle s’apprêtait à faire…

La tension parmi eux était plus palpable que la veille car ce jour était celui de l’arrivée de l’Ordre d’Eril dans la capitale. De ce qu’elle et les siens avaient entendu des domestiques avant leur départ, le roi avait fait prestement préparer l’avenue principale au couleur des Eriliens, de rouge et d’or. La ville s’apprêtait à les accueillir comme les invités d’honneur de ce royaume.

Ce souverain faisait décidément tout en son pouvoir pour humilier la Légion. Ses actes provoquaient chez elle une certaine colère et une part d’elle-même ne pouvait s’empêcher par instant de vouloir sa mort. Cela ne règlerait pas les tensions entre eux et la populace mais la soulagerait au moins du poids de son existence. Mais qui savait ? Les Grandes archives décideraient peut-être de le retirer de l’échiquier politique dans la région, s’ils parvenaient à se débarrasser d’Iveln dans un premier temps et qu’ils y voient d’abord et surtout un intérêt.

Mais en même temps, cette part d’elle se sentait soulagée de les savoir ici. Ils leur facilitaient les choses sur bien des points. Si Ishaa n’avait pas décidé de se montrer, les choses auraient certainement été plus compliquées pour eux. Seulement, l’autre part n’était pas pleinement rassuré maintenant qu’elle avait fait son choix. Elle s’apprêtait à commettre un acte que tous désapprouveraient sans le moindre doute.

Etrangement, quelque chose lui disait que son père choisirait de partir et de laisser toute cette histoire derrière lui. Elle semblait certaine de cela. Et elle ne pourrait pas lui en vouloir d’agir ainsi, de faire ce qu’il estimait le mieux pour lui ou ses enfants. Mais elle, partir ? Elle avait l’impression de fuir le problème, non d’y faire face, et, pire encore, d’avoir gâché treize ans de sa vie. Et tout ça pour quoi ? Elle n’était toujours pas en colère contre son père mais cela ne l’empêchait pas d’être exaspérée par la situation dans son ensemble.

Elle se remémora ses précédentes discussions avec Lua. Qui et qu’était réellement cet Immaculé ? Pourquoi un tel titre ? Et quels liens avait-il avec sa famille et ses ancêtres, proches comme anciens ? Telles étaient les questions sans réponse du moment ; nul doute que d’autres viendraient plus tard.

Ce sentiment profond que quoi qu’ils choisissent, d’une façon ou d’une autre, ils seraient perdants, ne la quittait pas. Les conséquences de leurs actes seraient désastreuses.

Elle repensa aux agissements de sa mère puis de Lua. Elle savait qu’il voulait de l’aide mais pourquoi ? A-t-il si peur de disparaître, de mourir ? Le pouvait-il seulement ?

Tu as dit plus tôt que tout avait un prix… Quel est le tiens ?

Rejoins-moi et sors-moi d’ici. Une fois en lieu sûr, je répondrais à tes questions.

Comme à son habitude, il ne lui avait donné aucune réponse claire. Il semblait attendre quelque chose de plus d’elle mais quoi ?

La nuit suivant cette nouvelle rencontre, elle avait mal dormi, son esprit bien trop concentré sur une autre question. Comment descendre dans les souterrains sans éveiller les soupçons de ses pairs et des Grandes-archives ? Voilà le point noir de la première moitié de son plan, si elle pouvait le nommer ainsi. Les contrebandiers, les spectres et les squelettes, elle en faisait son affaire, étant des adversaires dont elle avait grande habitude. Comme elle connaissait bien les étages supérieurs, elle pourrait éviter sans trop de mal le plus gros du danger. La seconde moitié du plan n’était qu’une gigantesque suite d’incertitudes et d’inconnues. A partir de la jonction entre le quatrième et le cinquième, l’aide de Lua serait nécessaire.

Pourquoi sa mère était si désespérée à aider cet Archonte ? Elle semblait avoir agi comme si cela avait été une sorte de devoir familial sacré qu’elle devait à tout prix accomplir. Du moins, c’est l’impression qu’elle en avait eu. Il y avait forcément une raison, une réponse à tout cela et elle gisait très certainement aux côtés de cet Archonte qui n’accepterait de dévoiler les choses qu’il savait que lorsqu’il s’estimerait enfin « libre » et en « sécurité ».

Malgré ces zones d’ombres et de doutes, elle avait envie de faire confiance à sa mère. En effet, pourquoi risquer sa vie pour protéger un « simple Archonte » ?

Son regard se porta de nouveau sur les soldats en bas dans la rue. L’idée de laisser aux Eriliens le soin de régler le problème des souterrains ne lui plaisait pas du tout. Cette tâche n’était pas la leur et ne le serait jamais.

Le son grave d’un cor retentit alors au loin. Ils étaient là.

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