Chapitre 23 (3/3)

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Iveln arriva enfin devant l’hôtel et demanda aux gardes esseniens présents sur place, d’un ton très impérieux, qu’on lui ouvre les portes.

— Nous n’avons pas les clés, Seigneur.

— Alors, ordonnez-leur ! Qu’attendez-vous ?!

— Le Seigneur Inquisiteur souhaite entrer ! Ouvrez les portes, sur-le-ch…

Le garde n’eut pas le temps de finir sa phrase. A peine eut-il touché la porte de son poing qu’il fut repoussé en arrière. Déséquilibré, il tomba à la renverse et atterrit sur les fesses. Son compagnon d’arme se pressa alors à ses côtés.

— Mais qu’on fait ces maudits…

— Une barrière, comme c’est original. Et elle semble couvrir l’ensemble du bâtiment, observa simplement Iveln, l’air amusé.

Il rit sombrement puis dressa son regard sur les fenêtres de la petite chapelle qui surplombait l’entrée de l’hôtel.

— Victor Mortis ! Je sais que vous êtes là ! Alors ouvrez ! Nous avons à parler.

Un temps passa sans que rien n’advienne jusqu’à ce qu’enfin une des fenêtres de la bâtisse s’ouvre et laisse apparaître le maître des lieux fortement contrit par l’intervention de l’Inquisiteur.

— Mes gens n’en feront rien. Maintenant, taisez-vous et passez votre chemin.

Iveln fronça brièvement les sourcils avant de reprendre son sourire habituel.

— En voilà une façon d’accueillir vos remplaçants, Mortis. Encore plus quand ils sont présents avec l’intention de vous informer de vos conditions de départ.

— Des conditions dont le roi n’est pas au courant, je suppose ?

— N’ayez crainte, Mortis. Il ne tardera pas à l’être et nul doute qu’il les approuvera dans l’instant.

Victor sembla hésiter un instant. Qu’avait donc ce fanatique en tête ? Il réprima une grimace.

— Dans ce cas, parlez promptement. Je ne vous ai déjà accordé que trop d’attention.

Ce dernier commentaire déplut fortement au Seigneur Inquisiteur, se percevant sans mal dans son regard que Victor n’avait d’ailleurs pas lâché un seul instant depuis qu’il avait ouvert la fenêtre. Iveln rit sombrement.

— Soit… La Légion devra avoir quitté la capitale d’ici ce lendemain matin. Vous cèderez à mes gens l’ensemble de vos archives ainsi que la majeure partie du trésor de l’hôtel. Je vous permets d’en garder une partie, naturellement réservée aux dépenses nécessaires à votre prompt retour en Agertha. Je suis également disposé à vous envoyer deux de mes paladins afin de vous faciliter la tâche. (Il sourit de plus belle.) Vous voyez, Mortis ? Je sais faire preuve de générosité, même envers mes adversaires. Je n’ai rien d’un monstre.

Cette dernière phrase sonna presque comme une insulte.

— Ha, la belle affaire, marmonna alors Garance, adossée au mur qui faisait face à la fenêtre où se tenait son père.

A l’arrière, elle, William et Irvirn en croyaient à peine leurs oreilles. Iveln de Meault semblait bien déterminé à leur mener la vie la plus difficile possible. Victor serra ses poings, tâchant au mieux de ne pas montrer la colère qui montait lentement. Il répondit alors à l’Inquisiteur au pas de sa porte une ultime fois, le ton sec.

— Le roi nous a donné jusqu’à ce vendredi. Nous partirons donc lorsque nous serons prêts à partir et pas avant. Maintenant, hors de ma vue.

Il referma alors la fenêtre de la chapelle, sans jamais un instant dévoiler plus en avant les émotions qui l’animait.

— Mortis !!

Mais plus personne ne répondit. Le visage grimaçant, Iveln se prépara alors à partir en direction du château royal.

— Seigneur Inquisisteur…

— Retournez donc à vos postes, misérables !

Les deux gardes reculèrent de peur tandis qu’Iveln s’en allait sans se soucier un instant de la bonne exécution de son ordre.

Derrière la seconde fenêtre de la chapelle, Garance, qui avait observé les dernières secondes de la présence de l’indésirable, soupira longuement. William avait lui déjà quitté la pièce aux côtés de leur père et elle demeurait désormais ici, dans un silence que son « nouvel ami » ne tarda pas à troubler par sa présence. Il se tenait debout, non loin d’elle, sa capuche pesant lourdement sur sa tête, et observait d’un œil presque curieux les symboles des Trois présents sur les différents autels face à lui.

— Qui est cet humain ?

— Un Inquisiteur de l’Odre d’Eril. Iveln de Meault.

— Un Inquisiteur ? Depuis quand un tel titre existe-t-il ?

— Depuis quatre siècles et les guerres menées par l’Empire de Soram.

Un temps passa dans le silence.

— Je ne l’aime pas.

— Tu n’es pas le seul.

« Lua » soupira.

— Quel dommage que je ne puisse rien faire, murmura-t-il presque.

Garance ne lui répondit pas, regardant, sans vraiment les observer, les badauds qui passait devant l’hôtel.

— Tu dois partir, cette nuit.

Garance ne lui répondit toujours pas. Elle se mordit la lèvre et pris une profonde inspiration. Puis au bout de quelques secondes, elle se tourna vers Lua. Même si elle ne pouvait voir son visage, elle sentait une certaine tension se dégager de lui. La mage avait intérêt à choisir ses mots avec soin même si la décision qu’elle avait prise allait dans son sens.

— Quand bien même j’arriverai à éviter les miens, les Grandes archives vont…

— Je me charge de leurs mages. Tu n’auras pas à t’en inquiéter.

Le silence tomba à nouveau quelques instants jusqu’à ce que Garance ne soit celle qui le brise.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi moi ?

— Pourquoi toi ? Tu n’as aucune attache, pas de famille proche, à l’image de ton frère, et quand bien même tu savoures par instant leur compagnie, tu as toujours gardé tes soi-disant amis loin de ton cœur. Cette solitude ne t’a jamais quitté.

Garance se tut et se figea un long moment. Le regard perdu sur la figure sombre, elle réfléchit à ce que Lua venait de lui dire. La vérité, rien de plus que la stricte vérité. Au fond d’elle, une vieille émotion qu’elle pensait disparue remonta lentement à la surface. Une ancienne tristesse qui, en réalité, était juste restée enfouie très, très profondément.

Lua se tourna vers elle et l’observa quelques instants, le visage impassible. Il sentait le trouble qui la parcourait mais ne fit aucun commentaire. Ce n’est qu’une fois qu’il la sentit beaucoup plus maîtresse d’elle-même qu’il poursuivit, d’un ton aussi calme et assuré que depuis le début.

— Je te mènerai jusqu’à moi, en toute sécurité. Pas d’Immaculé, pas d’Abyssaux. Aucune mauvaise rencontre.

— Je t’ai déjà dit que je viendrai, lui répondit-elle rapidement, le ton un peu sec.

Lua soupira.

— Soit… Rejoins-moi devant la porte scellée du 4ème après le coucher du soleil. Je connais un raccourci.

« Fais-vite », voulut-il lui dire. Mais ces mots restèrent prisonniers de ses pensées. Impossible qu’il s’abaisse à la supplier. Jamais. N’ayant rien d’autre à rajouter, il disparut aussi soudainement qu’il était apparu, de cette manière qui le caractérisait si bien, dans un nuage de fumée noire illuminé par endroit de violet sombre. Il laissa ainsi Garance à ses pensées et préparatifs.

Désormais seule dans la chapelle, Garance laissa s’échapper une unique larme le long de sa joue qu’elle eut tôt fait d’essuyer. Une nouvelle fois, elle prit une profonde inspiration. Elle n’avait plus une seconde à perde. Elle quitta alors la pièce, résolue à tenir à son tour sa promesse jusqu’au bout.

Et plus bas, loin dans les profondeurs d’Agrisa, Lielandr’ath, face à l’incertitude de son avenir, poussa un hurlement de rage qui résonna dans toute la cité.

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