Chapitre 24 (1/4)

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— Comme je l’avais envisagé, Iveln s’est finalement présenté à nous.

— Ce rapace ne s’arrêtera pas de nous tourner autour tant que nous n’aurons pas quitté l’Essenie. Victor, il serait préférable d’éviter toute confrontation supplémentaire.

— Oui, raison de plus pour partir dans la nuit comme nous l’avions prévu. La seule chose qui nous manque désormais est l’assurance de notre sortie sans heurt hors du royaume.

Victor et Walther se trouvaient face à face, tous deux dans le bureau du commandant. La pièce, désormais vidée de la quasi-totalité de ses documents, était plongée dans la pénombre. Les rideaux tirés, seules quelques bougies éclairaient la pièce donnant une lueur jaune-orangée à l’ensemble.

Le commandant s’enfonça dans son fauteuil et soupira longuement.

— Ishaa ne devrait plus tarder.

Cinq longues minutes s’écoulèrent alors sans qu’aucun des deux hommes ne prononce un mot. Le silence parvenait à peine à masquer la tension des lieux. Et enfin, la personne tant attendue entra dans la pièce d’un pas relativement pressé et sans frapper à la porte, comme à sa grande habitude. A sa ceinture, se trouvait un étui en cuir qu’elle tenait fermement de sa main gauche, comme si elle cherchait absolument à en préserver le contenu.

Victor se redressa brusquement.

— Alors ?

Ishaa prit place dans le fauteuil à la gauche de Walther et posa sa canne à tête de dragon contre l’un des accoudoirs.

— C’est fait. Vous avez le soutien plein et entier des Diaths Volusien et Héloïse.

— Parfait. Cela facilitera les choses pour tout le monde.

Semblant retrouver toute sa vigueur, Victor se pencha alors sur les cartes de l’Essenie et de la région alentour qu’il avait dépliées sur le bureau.

— Bien, récapitulons.

Il indiqua la capitale de son index.

— Nous partirons à minuit par les souterrains. Juste après notre départ, un de vos Sages se chargera de donner l’illusion de notre présence. La barrière que vous avez placé autour du bâtiment devrait masquer cette magie pour les Eriliens. Le temps qu’ils l’investissent et se rendent compte de la supercherie, nous serons déjà loin. Ensuite, nos affaires quitteront les lieux en premier, au coucher du soleil, dans le dernier convoi qui sort de la ville. Elles accompagneront des prêtres lothreannais et deux Sages et prendront la route de l’ouest en direction de l’Agertha. A cette heure-ci, les Veilleurs commencent à prendre le relais de la garde. Ils sont toujours moins vigilants à ce moment et le seront encore moins face à un convoi du culte lothreannai.

Lothrean n’était pas seulement le dieu du savoir et de la connaissance ; il était aussi le dieu de la stratégie militaire et des secrets. Ses serviteurs n’étaient pas en reste dans ce domaine et n’appréciaient guère qu’autrui chercher à dévoiler ce qui leur était si précieusement et secrètement confié. Par peur de leurs possibles malédictions ou par superstition, les soldats gardaient souvent leurs distances avec ces prêtres.

— Pour ce qui sera de nous…

Ishaa sortit un parchemin tandis que Victor prononçait ces mots.

— Est-ce le document ?

— Oui, la Diath l’a réalisé en deux exemplaires. Voici le vôtre, expliqua-t-elle tout en tendant au commandant le parchemin.

— Parfait. Merci, Ishaa.

Il le parcourut rapidement des yeux et constata par lui-même le sceau de cire rouge du Sanctuaire des Trois accompagné de la signature de la Diath Héloïse. Victor déposa le vélin à la droite des deux cartes et se pencha de nouveau sur elles.

— Pour ce qui sera de notre groupe, nous prendrons la vieille route en direction du nord. Nous nous rendrons à Mérina et nous assurerons du bon départ des nôtres de la forteresse. Sur place, nous serons également attendu par des membres de la congrégation de l’Aube crépusculaire. Nous serons chargés d’escorter les Frères et Sœurs de ce groupe jusqu’au royaume de Dreimos. Pour ce faire, une fois dans le royaume de Dras, après avoir passé la Rionne, nous longerons le fleuve par la route jusqu’à Dreimos, indiqua-t-il du doigt, le faisant glisser sur la carte, le long des différents trajets.

La Rionne, ce long fleuve qui trouvait sa source dans les Marches Occidentales bien plus au nord, servait de frontière naturelle à de nombreux pays. Deux larges et longues routes, importantes pour le commerce, avaient donc été créées près de ses deux rives.

— Cet ultime contrat devrait nous offrir un semblant de sécurité. Les autorités de ce royaume ne tiendront pas particulièrement à s’attirer les foudres d’une des trois figures religieuses les plus influentes du pays.

Un nouveau silence s’installa. Silence pendant lequel Walther réfléchit calmement aux éventuels dangers de la route et comment il pourrait augmenter leurs chances d’arriver en un seul morceau à destination. Seulement, il lui faudrait, pour finaliser cela, attendre de voir à quoi ressemblerait le convoi de la congrégation.

Les yeux toujours sur les cartes, Victor était lui perdu dans ses pensées ne sachant comment expliquer le reste de son plan. Il avait l’impression d’apparaître comme un éternel indécis et ce doute qui le rongeait encore malgré son dernier choix l’ennuyait grandement.

Face à lui, Ishaa savait pertinemment ce qui préoccupait autant son esprit.

— Tu as donc pris ta décision, dit-elle alors calmement. Cela se voit à ton regard.

A sa droite, Walther observa silencieusement son ami, attendant sa réponse.

— Nous partirons. (Il marqua une pause puis un long soupir s’échappa de ses lèvres.) Une fois sorti de la ville, Walther et moi descendrons dans les souterrains. Je laisserai à Sérion la charge de guider le reste du groupe jusqu’à Mérina puis à Hautelune.

— Voilà qui explique ton insistance quant à ce document.

— Oui…

Ramenant ses bras contre lui, il croisa ses doigts.

— Ishaa, je…

— Je descendrai avec vous. Nakita nous accompagnera. Je dois au moins cela à Kaerolyn.

Elle avait beau s’être montrée dure dans ses mots à l’égard de la défunte, elle n’en éprouvait pas moins depuis toujours un certain respect à son égard. Par le passé, en d’autres circonstances, elle l’aurait accueilli avec joie au sein des Grandes archives. Nul doute qu’elle y aurait fait une Sage exemplaire, au même titre qu’Alan ou Nakita.

— Merci…

Victor ne savait que lui répondre d’autre.

— Tes enfants risquent de ne pas apprécier.

— J’en ai conscience, seulement… C’est le meilleur compromis auquel j’ai pu arriver.

— Quitte à y perdre la vie ?

Il ne lui répondit pas ; il n’en eut pas besoin. Ishaa pouvait aisément voir sa réponse transparaître dans la tension qui parcourait les muscles de son visage. Fermant les yeux, elle prit une profonde inspiration. Elle les rouvrit puis se saisit de sa canne avant de se lever de son siège, le regard porté sur le commandant.

— Je vais prévenir mes gens. Préviens les tiens… En totalité ou en partie, peu m’importe, mais préviens-les au plus vite.

Détournant le regard des deux hommes, elle s’avança vers la sortie et leur adressa quelques derniers mots juste avant de quitter le bureau.

— Ne vous couchez pas trop tard. La nuit va être longue.

La porte se referma derrière elle sans qu’elle eût touché une seule fois la poignée. Pendant de longues secondes, le seul son perceptible fut celui des pas de l’elfe s’éloignant en direction du sous-sol.

Le second se leva à son tour.

— Victor…

Le commandant se redressa et tourna son regard en direction de Walther. l se doutait des mots à venir.

— Même si nous nous trouvons au dernier moment, il ne sera jamais trop tard pour changer d’avis. Comme Ishaa te l’a déjà dit, personne ne te jugera pour cela, personne. (Il marqua une pause.) Quoi que tu choisisses, tu auras mon soutien, comme depuis toujours.

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