Chapitre 26 (2/3)

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Ailleurs dans les souterrains, au cœur de la dernière salle investie par les récents occupants des catacombes, un groupe hétéroclite formé d’une vingtaine de personnes s’était réuni une nouvelle fois. Composé de douze zélotes dont Nirnante et de sept des hommes de main des Nimra ici dirigé par Calderon, il attendait le retour de Valion. Les anoriens gardaient toujours une certaine distance avec les zélotes, leur lançant parfois un regard tantôt méfiant tantôt préoccupé. Les partisans de Zinnar leur répondaient avec un air amusé. Parmi les hommes de confiance de Calderon, Vorn et Orian avait fait leurs au revoir il y a une trentaine de minutes et avaient depuis pris leur poste plus haut dans les catacombes, à l’affût des éventuels intrus. Tous étaient fin prêts. Ils avaient réuni l’équipement qui leur avait semblé nécessaire pour leur exploration prochaine des lieux : outres d’eau et rations, torches supplémentaires, cordes ou trousses de premiers soins.

Un tremblement léger, perceptible à la fois par les mages et les non-mages, fut ressenti dans l’air. Valion venait d’achever sa tâche. Enfin, au bout d’une longue minute, l’Immaculé apparut. Une joie sinistre se lisait sur son visage.

— La voie est libre. Il est temps de partir.

Très vite, le groupe se mis en ordre de marche. Ceux qui n’était pas en possession de sortilèges ou de capacités naturelles pour voir dans le noir allumèrent des torches. Les quelques autres mages invoquèrent des flammèches ou de petites lueurs dansantes. Le groupe enfin prêt à partir, Valion s’en retourna à son point de départ.

Nirnante s’adressa alors à Calderon :

— Après vous. Nous fermerons la marche.

Cette configuration déplut à certains qui avaient l’impression que l’on cherchait à les empêcher de reculer. Cependant, une nouvelle fois, ils ne dirent rien, s’accommodèrent des choix de leur seigneur et le suivirent.

Arrivé dans la nouvelle salle, Calderon constata enfin par lui-même la nature de l’obstacle clos par le verrou arcanique. Il s’agissait d’une lourde porte en métal, qui gisait maintenant au sol, et qui, en apparence, se trouvait être très similaire à celle, plus grande, trouvée à la jonction des quatrième et cinquième sous-sols. Les mages présents sentaient encore les quelques traces restantes de la magie du verrou. Cependant, Calderon y reconnut des traces familières qui lui rappelèrent immédiatement sa sœur, en particulier toutes ces fois où ils étudièrent ensemble les bases de ces arcanes dans leur jeunesse. Il chassa bien vite ces pensées ; l’heure n’était pas à la nostalgie mais à l’action et aux réponses.

Le groupe traversa ce passage, juste assez grand pour laisser passer deux personnes à la fois, et arriva dans un large couloir très différent de ce à quoi il avait été habitué jusque-là. Ici, les bâtiments commençaient de plus en plus à se distinguer comme des unités et l’architecture des lieux, bien plus riche de détails, montrait bien qu’ils étaient enfin dans le premier niveau des quartiers nobles d’Agrisa.

Une fois l’ensemble de l’expédition avancée dans ce large couloir, Valion fit face à ses membres :

— A partir d’ici, il nous faudra agir avec la plus grande méfiance. L’être qui a élu domicile dans ces lieux est ancien. Je ne sais quel contrôle il y exerce mais, même affaiblit, il demeure une menace. Ne vous laissez pas perturber par ses paroles, finit-il d’un ton glacial, tout en dirigeant son regard vers Calderon et son groupe.

Le mage anorien ignora ce dernier commentaire. Son regard était tourné vers le fond de la galerie. Il ne pouvait s’empêcher de se demander quelle folie avait bien pu pousser sa sœur à s’enfoncer dans ces ténèbres. L’idée qu’elle ait pu chercher à venir en aide à un être malfaisant l’écœurait. Sa sœur avait toujours été une dame de haute prestance ; elle n’avait rien d’une sorcière. Et pourtant, tant de choses venaient contredire les souvenirs qu’il avait d’elle.

Il s’avança à la hauteur de Valion.

— Allons-y.

*****

Garance avançait dans les recoins obscurs les plus isolés du troisième sous-sol depuis une dizaine de minutes. Plus le temps passait et plus elle avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Cependant, elle se trouvait incapable d’exprimer ce sentiment avec précision. Elle secoua la tête et mit ces pensées troubles de côtés. Au bout d’un petit couloir de trente mètres, elle finit par déboucher dans un passage bien plus large qui fut jadis l’une des artères principales de cette partie de la cité. Elle n’était désormais plus bien loin d’un des nombreux accès au quatrième présent dans la zone. Elle pressa alors le pas, abaissant quelque peu sa garde, pour le moment sûre de la sécurité de son chemin.

Mais arrivée à deux galeries de sa destination, elle perçut une lueur orangée au loin qui s’accompagna aussitôt de plusieurs voix. Elle s’arrêta dans son élan. Qui était-ce ? Les contrebandiers ou d’autres intrus ? Qui pourrait donc s’éloigner autant des zones habitées des premiers et deuxièmes sous-sols ?

La lueur s’intensifia dans l’une des galeries de droite, proche de celle qu’elle devait emprunter, et s’apprêta à émerger dans le couloir où elle marchait. Se trouvant dans une partie de la galerie qui servait de lien entre deux zones distinctes, il n’y avait autour aucune habitation ou autre couloir proche dans lequel elle pouvait se cacher en attendant que ces probables indésirables passent.

Un groupe de trois individus finit par se montrer ; il s’agissait de trois humains. S’ils prenaient la direction sur leur droite, Garance pourrait les suivre discrètement tapie dans les ombres à bonne distance, jusqu’à ce qu’elle atteigne la galerie voulue. Malheureusement pour elle, il n’en fut pas ainsi. Tant pis pour la discrétion dans ce cas. Elle se réadapta. De la même manière qu’ils venaient vers elle, elle vint à eux. Elle constata rapidement à leur accoutrement qu’il ne pouvait s’agir que de Noirelames. Ils avaient chacun une torche à la main.

— On devrait p’tête pas s’éloigner autant du reste du groupe.

— Ferme-là, trouillard. Peuh… C’est quand même un comble que le troisième s’avère être la seule zone sûre pour…

— Attendez ! J’entends des pas, déclara soudainement celui à l’avant.

Les hommes dégainèrent ; ils semblaient bien nerveux.

— Qui va là ?

— Encore un de ces foutus squelettes ?

« Encore » ? Voilà un étrange choix de mots. Seulement, Garance ne s’en inquiéta pas outre mesure. Une telle rencontre, considérant les circonstances actuelles, ne serait pas très surprenante. Elle poursuivit sa route et s’arrêta enfin, à quelques mètres d’eux, juste en lisière de l’étendue de la lumière, suffisamment pour qu’elle soit bien visible. Ces contrebandiers n’avaient rien à faire là, dans ces zones du troisième trop loin des passages menant à l’étage supérieur.

— Tiens, tiens… Mais regardez ce que nous avons là. Un Ch’valier noir.

— Et toute seule en plus.

Ils savaient en effet qu’en théorie, les Chevaliers noirs ne patrouillaient jamais seuls dans les catacombes. Sa présence leur était d’autant plus surprenante qu’ils étaient assignés à résidence.

— Que fais-tu là ma jolie ? Tu ne devrais pas être avec les autres rats dans votre cage ?

— Celui-ci a trouvé un moyen d’passer entre les barreaux.

Garance ne put s’empêcher un sourire moqueur.

— Messieurs, je vous retourne la question.

— Oh… Elle nous « retourne la question ». Mais c’est qu’elle est bien polie, la petite Mortis.

Il insista sur le mot « petite ». Il était vrai qu’elle était légèrement en-dessous de la moyenne pour une humaine, ce qui parfois pouvait être un handicap en fonction des situations. Mais dans cet étalage de sobriquet, ils en avaient oublié un très important, que nombre de ses détracteurs employaient, la « sorcière de la Légion ».

— Fais pas comme si t’étais pas au courant. Pourquoi tu serais là sinon ?

Et s’ils continuaient ainsi, elle allait se faire un plaisir de leur rappeler pourquoi.

— Vous croyez qu’ces bons vieux gardes royaux savent qu’un de leur petit rat s’est faufilé jusqu’ici ?

Les deux hommes à l’arrière se rapprochèrent lentement jusqu’à former une ligne avec leur comparse, lui barrant la route. Garance soupira. N’ayant pas de temps à perdre, la diplomatie avec les Noirelames n’était plus à l’ordre du jour. Si nécessaire, elle tuerait tous ceux qui se mettrait en travers de son chemin.

— Foutez-moi le camp, charognes, répondit-elle d'une voix méprisante.

— Oh, mais c'est qu'il mordrait, le p'tit chaton. Allez ma mignonne, fais pas d'histoires et viens avec nous, dit l’homme situé à sa droite. Une fois ce bordel réglé, on en obtiendra peut-être un bon prix des autorités.

— On peut toujours la revendre aux esclavagistes du sud.

— J'me suis encore jamais fait d'Mortis. Vous pensez qu'elle a quel goût les gars ?

— Jeune et fraîche probablement, sûrement pucelle, exactement comme je les aime.

Ils se mirent à rire. Le rictus sur le visage de Garance s’intensifia. Elle commença soudainement à ricaner. Le balafré la dévisagea du regard. Elle avait un sourire mauvais sur les lèvres. Là, elle ne plaisantait plus.

— Vous voyez, le problème avec les imbéciles, c'est qu'ils sont comme les cafards. Peu importe où vous allez, il en grouille toujours autant. Et vous savez ce que l'on dit : « Pour un de perdu, dix de retrouvés. »

— Ferme-là donc, traînée.

— Il est temps que quelqu’un la remette à sa place, celle-là !

— Oh, ma place ? Et qu’elle serait-elle ? leur répondit-elle d’un ton hautement provocateur.

— En dessous de nous, catin. Tu n'es bonne qu'à ouvrir les cuisses et à couiner.

— Oh, vraiment ?

Garance tendit brusquement son bras droit devant elle, avant d’effectuer un bref mouvement de la main. Le temps de lever son arme, le balafré se retrouva à léviter un mètre au-dessus du sol. Il se mit à suffoquer et lâcha son arme et la torche qui percutèrent le sol en-dessous. Les veines autour de son cou s’étaient toutes teintes de noir.

— Fini de jouer.

— Sale chienne !

Garance effectua un nouveau mouvement, de la main gauche cette fois-ci, provoquant l’extinction brutale des torches. L’usage de ce sortilège des plus basiques les plongea dans une certaine panique. Dans le noir total, ils ne voyaient plus rien. De son côté, la Mortis aurait pu profiter des ténèbres et leur fausser compagnie, seulement, elle craignait qu’ils n’alertent d’autres de leurs comparses et ne lui complique sa route. Elle allait s’en débarrasser ici et maintenant.

Profitant de leur surprise, elle jeta violemment l’homme sous son contrôle contre le mur à sa droite. Un craquement net fut entendu.

— Alard !

— Et merde ! Elle est où !? ELLE EST OÙ !?

Elle avança d’un coup ses deux mains ouvertes, jointes à plat, paumes ouvertes en direction des Noirelames. L’onde de choc obtenue à la réalisation de ce geste propulsa l’homme le plus proche d’elle au sol. Il s’y cogna la tête mais cela n’empêcha pas Garance d’invoquer des chaînes d’ombre qui entourèrent et brisèrent rapidement son cou tandis qu’elle refermait sa main. Elle avait fait le choix de les tuer et non de les laisser pour mort.

Le regard du dernier membre du trio portait encore sur les sombres lueurs violettes des chaînes qui s’estompaient lentement dans les ténèbres. Il ne restait plus que lui. Lorsque la dernière étincelle de magie s’estompa dans les ténèbres, il fut pris d’une peur panique et hurla tout en effectuant de large moulinet dans tous les sens avec son épée.

Le voyant s’agiter ainsi, Garance choisit de garder ses distances. Elle conjura un de ses orbes sombres et le dirigea aussitôt d’un bref mouvement du bras en direction du visage du dernier homme. Il explosa non loin et la sombre énergie qui en émana lui brûla une partie du visage et du torse et paralysa le reste de son corps. Il s’écroula au sol de toute la lourdeur de sa stature. La mage se rapprocha de lui en courant et se saisit rapidement de son épée avant de la plonger dans son torse, le tuant sur le coup. Garance retira la lame du corps et la jeta non loin.

Son regard se perdit quelques instants sur le cadavre face à elle. Dans le noir, une légère incandescence violette pouvait être perçue courant à la surface de la chair asséchée et craquelée. Elle aurait pu être hypnotisante si elle ne s’était pas montrée aussi macabre. Une nouvelle lueur apparut au loin, dans la galerie face à elle, qui se trouvait être celle qu’elle devait emprunter. Elle releva son regard. Au même moment, elle vit une torche tomber au sol suivit de celui qui la tenait quelques instants plus tôt après qu’il eut trébuché contre une des dalles au sol. Derrière lui, une autre zone lumineuse lui fit comprendre qu’un autre groupe se terrait plus loin.

— Par tous les saints… Là-bas ! C’est…

A cette distance, il n’aurait normalement pas dû voir ce qui se trouvait dans les ombres mais l’individu face à elle se trouvait être le demi-elfe qu’elle avait rencontré quelques jours plus tôt et dont elle ne se souvenait plus du nom. Bien qu’il n’ait pas hérité du physique de son parent elfique, il semblait avoir hérité de son don de nyctalopie. Il ne perdit pas une seconde et se releva aussi vite qu’il le pouvait afin de rejoindre et avertir les autres membres de son groupe non loin.

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